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avait de la vigueur. Chacun s'était émerveillé de cette figure majestueusement terrible en se demandant où ce bon Castanier l'avait prise; mais Castanier, dépouillé de son pouvoir, apparaissait fané, ridé, vieilli, débile. Il était, en entraînant Claparon, comme un malade en proie à un accès de fièvre, ou comme un thériaki dans le moment d'exaltation que lui donne l'opium; mais en revenant, il était dans l'état d'abattement qui suit la fièvre, et pendant lequel les malades expirent, ou il était dans l'affreuse prostration que causent les jouissances excessives du narcotisme. L'esprit infernal qui lui avait fait supporter ses grandes débauches était disparu; le corps se trouvait seul, épuisé, sans secours, sans appui contre les assauts des remords et le poids d'un vrai repentir. Claparon, de qui chacun avait deviné les angoisses, reparaissait au contraire avec des yeux éclatants et portait sur son visage la fierté de Lucifer. La faillite avait passé d'un visage sur l'autre.

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Allez crever en paix, mon vieux, dit Claparon à Castanier.

Par grâce, envoyez-moi chercher une voiture et un prêtre, le vicaire de Saint-Sulpice, lui répondit l'ancien dragon en s'asseyant sur une borne.

Ce mot « Un prêtre ! » fut entendu par plusieurs personnes, et fit naître un brouhaha goguenard que poussèrent les boursiers, tous gens qui réservent leur foi pour croire qu'un chiffon de papier, nommé une inscription, vaut un domaine. Le Grand-Livre est leur Bible.

-Aurai-je le temps de me repentir? se dit Castanier d'une voix lamentable qui frappa Claparon.

Un fiacre emporta le moribond. Le spéculateur alla promptement payer ses effets à la Banque. L'impression produite par le soudain changement de physionomie de ces deux hommes fut effacée dans la foule comme un sillon de vaisseau s'efface sur la mer. Une nouvelle de la plus haute importance excita l'atten tion du monde négociant. A cette heure où tous les intérêt sont en jeu, Moïse, en paraissant avec ses deux cornes lumineuses obtiendrait à peine les honneurs d'un calembour, et serait nié par les gens en train de faire des reports. Lorsque Claparon eut pay es effets, la peur le prit. Il fut convaincu de son pouvoir, revint à la Bourse et offrit son marché aux gens embarrassés. L'inscription sur le grand-livre de l'enfer, et les droits attachés à la jouissance d'icelle, mot d'un notaire que se substitua Claparon, fut

achetée sept cent mille francs. Le notaire revendit le traité d diable cinq cent mille francs à un entrepreneur en bâtiment, qu s'en débarrassa pour cent mille écus en le cédant à un marchand de fer; et celui-ci le rétrocéda pour deux cent mille francs à un charpentier. Enfin, à cinq heures, personne ne croyait à ce singulier contrat, et les acquéreurs manquaient faute de foi.

A cinq heures et demie, le détenteur était un peintre en bâtiment qui restait accoté contre la porte de la Bourse provisoire, bâtie à cette époque rue Feydeau. Ce peintre en bâtiment, homme simple, ne savait pas ce qu'il avait en lui-même. Il était tout chose, dit-il à sa femme quand il fut de retour au logis.

La rue Feydeau est, comme le savent les flâneurs, une de ces rues adorées des jeunes gens qui, faute d'une maîtresse, épousent tout le sexe. Au premier étage de la maison la plus bourgeoisement décente, demeurait une de ces délicieuses créatures que le ciel se plaît à combler des beautés les plus rares, et qui, ne pouvant être ni duchesses ni reines, parce qu'il y a beaucoup plus de jolies femmes que de titres et de trônes, se contentent d'un agent de change ou d'un banquier de qui elles font le bonheur à prix fixe. Cette bonne et belle fille, appelée Euphrasie, était l'objet de l'ambition d'un clerc de notaire démesurément ambitieux. En effet, le second clerc de maître Crottat, notaire, était amoureux de cette femme comme un jeune homme est amoureux à vingt-deux ans. Ce clerc aurait assassiné le pape et le sacré collége des cardinaux, afin de se procurer une misérable somme de cent louis, réclamée par Euphrasie pour un châle qui lui tournait la tête, et en échange duquel sa femme de chambre l'avait promise au clerc. L'amoureux allait et venait devant les fenêtres de madame Euphrasie, comme vont et viennent les ours blancs dans leur cage, au Jardin-desPlantes. Il avait sa main droite passée sous son gilet, sur le sein gauche, et voulait se déchirer le cœur, mais il n'en était encore qu'à tordre les élastiques de ses bretelles.

Que faire pour avoir dix mille francs? se disait-il, prendre la somme que je dois porter à l'enregistrement pour cet acte de vente. Mon Dieu! mon emprunt ruinera-t-il l'acquéreur, un homme sept fois millionnaire? Eh! bien, demain, j'irai me jeter à ses pieds, je lui dirai: «< Monsieur, je vous ai pris dix mille francs, j'ai vingt. deux ans, et j'aime Euphrasie, voilà mon histoire. Mon père es riche, il vous remboursera, ne me perdez pas! N'avez-vous pas

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eu vingt-deux ans et une rage d'amour? » Mais ces fichus propriétaires, ça n'a pas d'âme! Il est capable de me dénoncer au procureur du roi, au lieu de s'attendrir. Sacredieu! si l'on pouvait vendre son âme au diable! Mais il n'y a ni Dieu ni diable, c'est des bêtises, ça ne se voit que dans les livres bleus ou chez les vieilles femmes. Que faire ?

Si vous voulez vendre votre âme au diable, lui dit le peintre en bâtiment devant qui le clerc avait laissé échapper quelques paroles, vous aurez dix mille francs.

J'aurai donc Euphrasie, dit le clerc en topant au marché que lui proposa le diable sous la forme d'un peintre en bâtiment.

Le pacte consommé, l'enragé clerc alla chercher le châle, monta chez madame Euphrasie; et, comme il avait le diable au corps, il y resta douze jours sans en sortir en y dépensant tout son paradis, en ne songeant qu'à l'amour et à ses orgies au milieu desquelles se noyait le souvenir de l'enfer et de ses priviléges. L'énorme puissance conquise par la découverte de l'Irlandais, fils du révérend Maturin, se perdit ainsi.

Il fut impossible à quelques orientalistes, à des mystiques, à des archéologues occupés de ces choses, de constater historiquement la manière d'évoquer le démon. Voici pourquoi.

Le treizième jour de ses noces enragées, le pauvre clerc gisait sur son grabat, chez son patron, dans un grenier de la rue SaintHonoré. La Honte, cette stupide déesse qui n'ose se regarder, s'empara du jeune homme qui devint malade,, il voulut se soigner lui-même, et se trompa de dose en prenant une drogue curative due au génie d'un homme bien connu sur les murs de Paris. Le clerc creva donc sous le poids du vif-argent, et son cadavre devint noir comme le dos d'une taupe. Un diable avait certainement passé par là, mais lequel? Était-ce Astaroth?

-- Cet estimable jeune homme a été emporté dans la planète de Mercure, dit le premier clerc à un démonologue allemand qui vint prendre des renseignements sur cette affaire.

Je le croirais volontiers, répondit l'Allemand.

Ha!

- Oui, monsieur, reprit l'Allemand, cette opinion s'accorde avec les propres paroles de Jacob Boehm, en sa quarante-huitième proposition sur la TRIPLE VIE DE L'HOMME, où il est dit que si Dieu a opéré toutes choses par le FIAT, le FIAT est la secrète

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