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à la gloire; en le prédestinant, Dieu s'engage à lui donner des grâces efficaces qui, sans nuire à son libre arbitre, doivent le faire arriver infailliblement au salut éternel. Les autres, au contraire, croient que le décret de la prédestination à la gloire est conditionnel, et fondé sur la prévision des mérites surnaturels de l'homme. Dieu, disent-ils, voulant le salut de tous les hommes, leur accorde à tous les grâces nécessaires au salut, sans toutefois que ces grâces soient les mêmes pour tous; et, dans la prévision que les uns feront bon usage de ces grâces, il les prédestine à la gloire; comme il réprouve ceux dont il a prévu la désobéissance et l'impénitence finale. Suivant le premier de ces deux sentiments, le décret de la prédestination est absolu, antécédent, et gratuit à tous égards; suivant le second, ce décret est conditionnel et conséquent, mais réellement gratuit, en ce qu'il ne suppose que des mérites acquis par la grâce, qui est essentiellement gratuite. Ainsi l'on ne doit point confondre le second sentiment avec l'erreur des pélagiens et des semi-pélagiens, qui niaient que la grâce fût nécessaire pour toutes les œuvres du salut; comme il ne faut pas confondre le premier système avec l'erreur des hérétiques connus sous ·le nom de prédestinatiens, qui prétendent que, par un décret absolu et antécédent, Dieu prédestine au malheur éternel ceux qui ne sont point prédestinés au royaume des cieux. Tout catholique reconnaît que le décret de réprobation n'est fondé que sur la prévision de l'abus des grâces.

184. Les théologiens qui défendent le décret absolu de la prédestination à la gloire invoquent les oracles sacrés et les saints Pères; ceux qui sont pour le décret conditionnel leur opposent, avec plus ou moins d'avantage, les mêmes autorités. On ne peut donc décider directement la question par l'Écriture ni par la tradition; elle ne peut être décidée que par l'autorité de l'Église. Or, jusqu'ici l'Église s'est abstenue de prononcer; elle laisse à chacun la liberté d'abonder en son sens ; de sorte qu'on peut indifféremment se déclarer pour le décret absolu ou pour le décret conditionnel. II est vrai que ce dernier décret se concilie plus facilement que le décret absolu avec la volonté de Dieu de sauver tous les hommes; il est vrai qu'il offre moins de difficultés, et qu'il paraît plus conforme à l'idée que nous avons de la providence et de la bonté divine: mais si cette considération suffit pour nous faire préférer le sentiment qui fonde le décret de la prédestination sur la prévision des mérites futurs de l'homme juste, au sentiment qui le fonde sur une volonté absolue, antérieure à cette prévision, elle n'est pas assez

forte pour dissiper tout doute, ou pour faire rejeter l'autre sentiment comme une opinion erronée ou téméraire.

ARTICLE III.

Du nombre des prédestinés.

185. Dieu seul connaît le nombre des prédestinés. Toutes les conjectures qu'on a faites sur ce point sont dénuées de fondement. Mais il se présente une question, savoir: si le nombre des prédestinés ou des élus l'emporte sur le nombre des réprouvés, ou si le nombre des réprouvés l'emporte sur le nombre des élus? Au sujet de cette question, qui a été soulevée, dit Benoît XIV, avec plus de curiosité que d'utilité, sane curiosius quam utilius (1), nous pourrions nous contenter de dire: 1o qu'il est certain que tous les hommes ne seront pas sauvés; que, malheureusement, il y en a un trop grand nombre qui transgressent la loi de Dieu, qui meurent dans l'impénitence et encourent la damnation éternelle; 2° que la moitié du genre humain dût-elle être sauvée, n'y eût-il même parmi les catholiques qu'un seul réprouvé sur cinq, sur dix, sur vingt, sur cinquante, sur cent, nous devrions toujours craindre souverainement d'être du nombre de ceux qui se perdent, et opérer notre salut avec crainte et tremblement. Cependant, parce que les prédicateurs se permettent facilement des exagérations en parlant du petit nombre des élus, nous ferons observer : qu'on n'est pas dans le vrai lorsqu'on présente le petit nombre des élus parmi les fidèles comme un dogme catholique; soit parce que l'Église n'a rien décidé sur ce point, soit parce qu'en admettant (ce que nous admettons en effet) que le plus grand nombre des hommes se damnent, il ne s'ensuit pas que le plus grand nombre des catholiques soient damnés, vu surtout qu'il y a près de la moitié des enfants qui, après avoir reçu le baptême, meurent avant d'avoir perdu l'innocence baptismale. Il existe trois sentiments, parmi les interprètes sacrés, sur la question de savoir si dans l'Église de Jésus-Christ le nombre des réprouvés l'emporte sur celui des élus. Quelques-uns pensent qu'il y a plus d'élus que de réprouvés, s'appuyant sur la parabole où Notre-Seigneur compare le royaume des cieux au festin des noces, dont un seul des convives a été exclu pour n'être pas revêtu de la robe nuptiale. D'autres

(1) Institutions ecclésiastiques, Instit. xxvi.

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disent qu'il y a autant de prédestinés que de réprouvés ; ils s'appuient sur la parabole des cinq vierges prudentes et des cinq vierges folles. D'autres enfin croient que les réprouvés l'emportent en nombre sur les prédestinés. On invoque en faveur de ce sentiment ces paroles de Notre-Seigneur: « Il y en a beaucoup d'ap« pelés, mais peu d'élus (1). Entrez par la porte étroite, car la « porte large et la voie spacieuse est celle qui conduit à la perdition, et il y en a beaucoup qui y passent. Qu'elle est petite la porte, qu'elle est étroite la voie qui conduit à la vie! et qu'il y "en a peu qui la trouvent (2) ! » Ce troisième sentiment est le plus commun cependant, parce que les textes que l'on cite à l'appui, tout en prouvant que le plus grand nombre des hommes se perdent, ne déterminent pas s'il y a moins d'élus que de réprouvés parmi les catholiques, la chose demeure douteuse, comme le dit très-bien Suarez; res dubia est. Ce docteur, que Benoît XIV appelle une des grandes lumières de l'école, ajoute qu'il est plus vraisemblable pour lui que le plus grand nombre de ceux qui meurent dans le sein de l'Église catholique sont sauvés (3).

ARTICLE IV.

Du bonheur des prédestinés après cette vie.

186. Il existe une autre vie, où les bons sont récompensés et les méchants punis (4). C'est un dogme admis chez tous les peuples (5). Mais en quoi consiste la récompense des bons ou des prédestinés? La récompense du juste, après cette vie, consiste dans la possession du souverain bien. Dieu lui-même est la récompense des saints, ego ero merces tua (6). Il est écrit : « L'œil de l'homme « n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a a point compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (7). » Non,

(1) Multi enim sunt vocati, pauci vero electi. Saint Matthieu, c. xx, v. 16; et xvn, v. 14. — (2) Intrate per angustam portam : quia lata porta et spatiosa via est, quæ ducit ad perditionem; et multi sunt qui intrant per eam. Quam angusta porta et arcta via est, quæ ducit ad vitam, et pauci sunt qui inveniunt eam! Ibidem, c. vп, v. 13 et 14. (3) Tract. de divina prædestinatione et reprobatione, lib. vi, c. 1. — - Voyez aussi les Institutiones ecclesiasticæ, de Benoît XIV, Instit. xxvii; le Traité de la vraie religion, par l'abbé Bergier, tom. x, pag. 355, édit. in-8°, etc., etc. (4) Voyez, ci-dessus, le n° 109 et je n° 150. (5) Voyez le tome jer, no 591, etc. (6) Genèse, c. xxv, v. 1. (7) Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit quæ præparavit Deus iis qui diligunt illum. Ire épître aux Corinthiens, c. 11, v. 9.

il n'est point donné à l'homme ici-bas de connaitre toute l'étendue du bonheur dont les élus jouissent dans le ciel. Ce que nous savons, ce que la foi nous enseigne, c'est que Dieu, en devenant lui-même l'objet de la béatitude céleste, remplit le vide de l'intelligence et du cœur de l'homme, satisfait et rassasie ses désirs jusqu'alors insatiables, et le rend souverainement heureux. Le bonheur des saints dans le ciel est un bonheur complet; ils possèdent Dieu, et ils trouvent dans cette possession le repos le plus parfait, et la jouissance de tous les biens; le repos le plus parfait, puisque Dieu est leur fin dernière, et que chaque être parvenu à sa fin s'y repose comme dans son centre; la jouissance de tous les biens, puisque Dieu seul est la vérité par excellence, la vie par excellence, le bien par excellence, et que lui seul, par une conséquence naturelle, leur tient lieu de toutes choses. Le bonheur du ciel est un bonheur complet, non-seulement parce que les élus possèdent le souverain bien, mais encore parce qu'ils le posséderont éternellement: il nous est annoncé, dans l'Écriture, comme devant être éternel. Les justes, dit le sage, vivront à jamais; a justi in perpetuum vivent (1); ils iront dans la vie éternelle; « justi (ibunt) in vitam æternam (2). » C'est une joie durable et permanente que personne ne pourra leur ravir; gaudium vestrum nemo tollet a vobis (3). Éternellement ils verront Dieu face à face, éternellement ils aimeront Dieu et ils seront aimés de Dieu; et, dans cet amour mutuel et inaltérable, ils jouiront en paix de la lumière, de la gloire, du bonheur, de la vie même de Dieu, comme s'ils étaient participants de la nature divine, divinæ consortes naturæ (4).

187. Ils verront Dieu face à face; ils le verront intuitivement, immédiatement, sans intermédiaire : « Heureux ceux qui « ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu (5). Ils le verront eux-mêmes, ipsi Deum videbunt. Je vous déclare, disait NotreSeigneur à ses disciples, que les anges de ces enfants voient sans « cesse la face de mon Père qui est dans les cieux (6). » Ils ne voient pas seulement Dieu, mais ils voient la face de Dieu. Or, dit encore Jésus-Christ, les justes seront dans le ciel comme les anges de Dieu; erunt sicut angeli Dei in cœlo (7). Ils seront

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(1) Livre de la Sagesse, c. v, V. 5. (2) Saint Matthieu, c. xxv, V. 46. — (3) Saint Jean, c. XVI, v. 22.—(4) IIe épître de saint Pierre, c. 1, v. 4.— (5) Beat mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt. Saint Matthieu, c. v, v. 8. (6) Angeli eorum in cœlis semper vident faciem Patris mei, qui in cœlis est. Ibidem, c. xvIII, v. 10. — (7) Ibidem, c. xx11, v. 30.

même égaux aux anges; æquales angelis (1). « Maintenant nous « voyons Dieu comme dans un miroir et d'une manière obscure; « mais alors (après cette vie) nous le verrons face à face: mainte«nant je le connais en partie; mais alors je le connaîtrai comme « je suis, moi, connu de lui (2). » C'est cette claire vue, cette connaissance parfaite de Dieu qui nous mettra en possession du bonheur du ciel; alors il n'y aura plus ni foi, ni espérance; la charité seule demeurera pour nous unir à Dieu et nous faire aimer éternellement le souverain bien, que nous connaîtrons toujours comme infiniment aimable, et dont nous jouirons pleinement pendant toute l'éternité. C'est pourquoi la vision intuitive est aussi appelée vision béatifique : elle est la source de la béatitude céleste.

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188. Saint Jean s'exprime comme saint Paul: « Mes bien« aimés, nous sommes dès à présent enfants de Dieu; mais ce que « nous serons un jour ne parait pas encore. Nous savons que lorsqu'il se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, « parce que nous le verrons tel qu'il est (3). » Voir Dieu tel qu'il est, n'est-ce pas le voir intuitivement, face à face? Etre semblable à Dieu, à Jésus-Christ, n'est-ce pas régner avec Jésus-Christ, être glorifié de la gloire de Jésus-Christ, vivre de la vie bienheureuse de Jésus-Christ?

La tradition n'est pas moins expresse que l'Écriture: les Pères grecs et latins, les docteurs de tous les temps, professent comme dogme catholique que les saints jouissent de la vision intuitive de Dieu. Aussi les Pères du concile de Francfort, de 794, font-ils consister la béatitude éternelle, l'heureuse éternité, dans la vision bienheureuse de Jésus-Christ, vrai Dieu, Dieu vivant et vraiment Fils de Dieu (4). Suivant la définition du concile de Florence, les bienheureux « voient intuitivement et clairement Dieu luimême, tel qu'il est, dans l'unité de nature et la trinité de per« sonnes; de sorte, toutefois, que les uns le voient plus parfaite«ment que les autres, selon la diversité des mérites (5). »

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(1) Saint Luc, c. xx, v. 36. · (2) Videmus nunc per speculum in ænigmate; tunc autem facie ad faciem. Nunc cognosco ex parte; tunc autem cognoscam sicut, et cognitus sum. Ire épître aux Corinthiens, c. xIII, v. 12. - (3) Carissimi, nunc filii Dei sumus; et nondum apparuit quid erimus. Scimus quoniam cum apparuerit, similes ei erimus; quoniam videbimus eum sicuti est. Ire épít., C. III, v. 2. (4) Prædicemus eum (Christum) Deum verum et vivum et vere Filium Dei, ut ad ejus beatissimam visionem pervenire mereamur, in qua est æterna beatitudo et beata æternitas. Labbe, Concil., tom. vi, col. 1047.-(5) 11

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