Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]
[ocr errors]

facie ad faciem. Je ne le connais maintenant qu'imparfaitement; mais alors je le connaîtrai comme je suis moi-même connu de lui (1). » Or cette destination est évidemment surnaturelle; l'homme ne pouvait y avoir aucun droit en vertu de sa nature. Nous lisons aussi que Dieu l'a créé dans la justice ou la grâce sanctifiante, qui nous rend en quelque sorte participants de la nature divine, divinæ consortes naturæ (2). Il a fait l'homme droit, fecit Deus hominem rectum (3); ce qui signifie, dans le langage de l'Écriture, que Dieu l'a créé juste et saint; ou, comme l'explique saint Paul, qu'il l'a créé dans la justice et la véritable sainteté, in justitia et sanclitate veritatis (4). Avec la justice, Dieu avait accordé le don de science à nos premiers parents: « Il a créé en « eux la science de l'Esprit, dit l'Ecclésiastique; il a rempli leur « cœur de sens, et il leur a montré le bien et le mal (5). » Il avait aussi soumis à leur empire la concupiscence, dont ils n'ont éprouvé les révoltes que par suite de leur infidélité. « D'où as-tu su, dit le Seigneur à Adam, que tu étais nu, si ce n'est parce que tu as mangé du fruit dont je t'avais défendu de manger (6)? » Aussi l'apôtre désigne-t-il la concupiscence sous le nom de péché (7), pour nous faire connaître que non-seulement elle nous porte au péché, mais qu'elle vient du péché : quia ex peccato est, et ad peccatum inclinat (8). Enfin, Dieu les avait faits heureux, en faisant toutefois dépendre leur bonheur de leur fidélité; et ce n'est que parce qu'ils n'ont pas été fidèles, qu'ils ont été condamnés, eux et leurs descendants, à la mort et à toutes les misères de cette vie. Le Seigneur avait dit à Adam : « Le jour même que tu man« geras du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, tu « mourras de mort (9). » La mort est donc le salaire du péché, stipendia peccati mors (10). « C'est par le péché, dit saint Paul, que la mort est entrée dans le monde (11). » Dieu l'avait fait im

[ocr errors]
[ocr errors]

(1) Videmus nunc per speculum in ænigmate; tunc autem facie ad faciem.' Nunc cognosco ex parte; tunc autem cognoscam sicut et cognitus sum. Ire épît. aux Corinthiens, c. x¡¡¡, v. 12.—(2) Saint Pierre, 11o épître, c. 1, v. 4.— (3) Ecclésiaste, c. vII, v. 30. — (4) Saint Paul, Épitre aux Éphésiens, c. Iv, v. 23.— (5) Creavit illis scientiam Spiritus, sensu implevit cor illorum; et mala et bona ostendit illis. Eccl., c. xvn, v. 6.- (6) Quis indicavit tibi quod nudus esses, nisi quod ex ligno de quo præceperam tibi ne comederes, comedisti? Genèse, c. 11, v. 11. — (7) Saint Paul, Epitre aux Romains, c. vi, v. 6, etc. (8) Concile de Trente, Sess. v, can. v. — (9) De ligno autem scientiæ boni et mali ne comedas; in quocumque enim die comederis, morte morieris. Genèse, c. 11, v. 17. ― (10) Saint Paul, Epitre aux Romains, c. vi, v. 23. (11) Epitre aux Romanus, c. v, v. 12.

[ocr errors]

[ocr errors]

mortel, inexterminabilem (1). C'est encore au péché qu'il faut attribuer les peines qui traversent la vie de l'homme. Après avoir maudit l'esprit tentateur qui avait pris la forme du serpent, le Seigneur dit à la femme, qui s'était laissé séduire : « Je multiplierai « les souffrances pendant ta grossesse, et tu enfanteras dans la douleur; tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. « Il dit ensuite à Adam: Parce que tu as écouté la voix de ta « femme, et que tu as mangé du fruit de l'arbre dont je t'avais dé« fendu de manger, la terre sera maudite à cause de toi ; tu n'en a tireras de quoi te nourrir pendant ta vie qu'à force de travail; « elle te produira des épines et des ronces, et tu te nourriras de « l'herbe de la terre. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré; car « tu n'es que poussière, et tu retourneras en poussière (2).

"

[ocr errors]
[ocr errors]

113. Secondement, les Pères de l'Église, s'appuyant sur l'Écriture, s'accordent à nous représenter la mort et les infirmités de l'homme comme les suites de la chute d'Adam, qui, en perdant pour lui et pour sa postérité la justice, la sainteté, et les dons qui s'y rattachaient, a perdu en même temps le bonheur dont il jouissait dans le paradis terrestre. Ils nous parlent tous de l'état primitif de nos premiers parents comme d'un état surnaturel, dont le souvenir s'est généralement conservé, sous le nom d'âge d'or, chez tous les peuples. Écoutez, entre autres, saint Augustin: « L'homme vivait dans le paradis comme il voulait, tandis qu'il « voulait ce que Dieu lui avait commandé; il vivait dans la jouis«sance de Dieu, qui le rendait bon par sa souveraine bonté; il « vivait sans aucune indigence, et il pouvait vivre éternellement. « Il avait de quoi se garantir de la faim et de la soif, et l'arbre de a vie le garantissait des infirmités de la vieillesse. Il ne ressentait a rien en son corps qui pût le fatiguer. Il n'appréhendait ni les « maladies au dedans, ni les accidents au dehors. Son corps jouis<< sait d'une pleine santé, et son âme d'une tranquillité parfaite. « Comme il n'y avait ni froid ni chaud dans le paradis, de même il

[ocr errors]

(1) Sagesse, c. II, v. 23. · (2) Mulieri quoque dixit: Multiplicabo ærumnas tuas et conceptus tuos; in dolore paries filios, et sub viri potestate eris, et ipse dominabitur tibi. Adæ vero dixit: Quia audisti vocem uxoris tuæ, et comedisti de ligno ex quo præceperam tibi ne comederes, maledicta terra in opere tuo; in laboribus comedes ex ea cunctis diebus vitæ tuæ. Spinas et tribulos germinabit tibi, et comedes herbam terræ. In sudore vultus tui vesceris pane, donec revertaris in terram de qua sumptus es; quia pulvis es, et in pulverem reverteris. Genèse, c. ш, v. 16, etc.

« n'y était agité ni de craintes ni de désirs : la tristesse et les • fausses joies en étaient bannies. Toute sa joie venait de Dieu, « qu'il aimait d'un amour ardent; et cet amour prenait sa source « d'un cœur pur et d'une foi sincère. La société conjugale y était « accompagnée d'un amour honnête. Le corps et l'esprit y étaient « dans un parfait accord; et l'obéissance au commandement de « Dieu était facile. Point de lassitude qui le fatiguât, point de som« meil qui le surprît. Loin de nous la pensée que, dans une si grande félicité, nos premiers parents n'aient pu engendrer sans concupiscence (1)! »

[ocr errors]

114. Faire connaître l'état dans lequel l'homme a été créé, c'est-à-dire, la fin à laquelle il était destiné et les dons qu'il avait reçus du Créateur, c'est assez faire connaître que cet état n'était point réclamé par l'exigence de notre nature; que c'était un état surnaturel, un don gratuit de la part de Dieu, comme nous le verrons plus particulièrement dans l'article suivant.

ARTICLE II.

Si Dieu a pu créer l'homme dans l'état de nature pure.

115. Dieu aurait certainement pu créer l'homme dans l'état de nature pure. Cet état ne renferme rien qui soit incompatible avec la justice, la bonté, la sagesse ou la sainteté de Dieu. L'homme non coupable aurait pu n'être heureux que d'un bonheur naturel, sans avoir à se plaindre du Créateur. Dieu ne lui devait, même dans l'hypothèse de la création, que de le placer dans un état tel, qu'il fût plus avantageux pour lui d'être que de n'être pas, ou qui ne lui permit point de regretter le néant. Il ne lui devait, en un mot, que ce qui répond à l'exigence de notre nature. Tout ce que nous avons reçu de plus, soit pour le corps, soit pour l'âme, est un bienfait de la bonté divine; et si ce bienfait est d'un ordre auquel nous ne puissions nous élever naturellement, comme la grâce sanctifiante qui nous fait enfants de Dieu et héritiers du royaume des cieux, alors c'est un don surnaturel, une grâce proprement dite. Évidemment, ni la vision intuitive, ni ce qui se rapporte à une fin si sublime, n'est impérieusement réclamé par la nature de l'homme. Il en est de même de l'empire que nos premiers parents avaient sur leurs sens, et de la faculté de se prémunir contre la douleur et

(1) De la Cité de Dieu, liv. xiv, c. XXVI.

la mort. On ne peut regarder ces différents dons comme des dons naturels, ou dus à la nature de l'homme. Dieu aurait donc pu les lui refuser quand il l'a tiré du néant, ou, ce qui revient au même, le créer dans l'état de nature pure, sans lui donner d'autres secours que ceux qui lui eussent été nécessaires pour arriver à sa fin, c'està-dire, à un bonheur purement naturel.

116. Le sentiment que nous émettons n'est point une de ces opinions que l'Église abandonne aux discussions de l'école. On ne peut nier la possibilité de l'état de nature pure, sans s'écarter de l'esprit catholique. En effet, les papes saint Pie V, en 1567, Grégoire XIII, en 1579, et Urbain VIII, en 1641, ont condamné solennellement comme hérétiques, erronées, suspectes, téméraires, scandaleuses et offensives des oreilles pieuses, respectivement, plusieurs propositions de Baïus, parmi lesquelles se trouvent les propositions suivantes :

« Les mérites de l'homme, avant le péché, ne peuvent raisonnaablement être appelés grâce.

« Les mérites du premier homme, avant le péché, ont été des a avantages de sa première création; mais, selon la manière de << parler de l'Écriture, on ne peut raisonnablement les appeler grâce ainsi on doit seulement les appeler mérites, et non pas « grâce.

"

་་

"

[ocr errors]

་་

[ocr errors]

117. « L'élévation de la nature humaine, son exaltation à la participation (consortium) de la nature divine, était due à l'intégrité de sa première condition; par conséquent, il faut l'appeler naturelle, et non pas surnaturelle.

« Le sentiment de ceux qui disent que l'homme, dans le principe, a été élevé, par un don surnaturel et gratuit, au-dessus de « la condition de sa nature, afin d'honorer Dieu surnaturellement « par la foi, l'espérance et la charité, est un sentiment absurde. L'intégrité du premier homme, au moment de sa création, n'était point une élévation gratuite, mais sa condition naturelle.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

« L'immortalité du premier homme n'était pas un bénéfice de « la grâce, mais sa condition naturelle (1). »

(1) Les propositions de Baïus condamnées par l'Église sont :

« Nec angeli, nec primi hominis adhuc integri merita recte vocantur gratia: › Prop. 1. « Primi hominis integri merita fuerunt primæ creationis munera; sed juxta modum loquendi Scripturæ sacræ, non recte vocantur gratia; quo fit ut << tantum merita, non etiam gratia debeant nunenpari: » Prop. vii. « Humanæ naturæ sublimatio et exaltatio in consortium divinæ naturæ debita fuit inte

118. D'après la condamnation de ees propositions, à laquelle l'Église entière a souscrit, il est manifeste que l'état dans lequel le premier homme avait été placé avant son péché n'était point dû à la nature humaine; que c'était un état surnaturel et gratuit; que Dieu aurait pu, par conséquent, le créer dans un état moins élevé, dans l'état de nature pure, où il eût été, du moins à peu de chose près, tel que sont ses descendants, sauf la tache et le reatus du péché qu'il leur a transmis; ce qui s'accorde avec l'enseignement des Pères, notamment de saint Augustin, sur les écrits duquel Baïus et Jansénius prétendaient pouvoir appuyer leurs erreurs. « C'était une grande grâce de Dieu, dit ce docteur, que le corps « d'Adam fût exempt de la concupiscence (1). Le premier homme « a été créé immortel; ce qu'il devait à l'arbre de vie, et non à la a constitution de sa nature. Il était donc mortel par la condition « du corps animal, et immortel par le bienfait du Créateur (2), « par une grâce merveilleuse de Dieu (3).

α

[ocr errors]

119. A la vérité, saint Augustin prouve, contre les pélagiens, l'existence du péché originel par les misères de cette vie, comme si elles n'avaient pu s'introduire dans le monde que par le péché, ou que personne ne pût y être sujet sans l'avoir mérité. Mais il ne procède ainsi contre ces hérétiques qu'en supposant l'état primitif et surnaturel, dans lequel notre premier père était exempt des infirmités du corps et de l'âme. Comme cet état ne devait cesser que par le péché, et qu'il est d'ailleurs constant qu'il a cessé, on peut dire, avec saint Augustin, que l'ignorance, la convoitise, la douleur et la mort viennent du péché; qu'elles sont entrées dans le monde par le péché, et qu'elles ne peuvent être considérées que comme autant de suites du péché d'Adam, en tant qu'il est passé à tous ses descendants. On peut dire alors que, sous un Dieu bon

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

gritati prima conditionis, et proinde naturalis dicenda est, et non supernatu. «<ralis:» Prop. x1. « Absurda est eorum sententia qui dicunt hominem ab ini«tio, dono quodam supernaturali et gratuito, supra conditionem naturæ suæ fuisse exaltatum, ut fide, et spe, et charitate Deum supernaturaliter coferet : >> Prop. xxi. Integritas primæ creationis non fuit indebita humanæ naturæ « exaltatio, sed naturalis ejus conditio: » Prop. XXVI. « Immortalitas primni ho<< minis non erat gratiæ beneficium, sed naturalis conditio: » Prop. LXXVIII. — (1) Gratia Dei magna ibi erat, ubi terrenum et animale corpus bestialem libidinem non habebat. Lib. iv, contra Julianum, c. XVI. — (2) Mortalis ergo erat conditione corporis animalis, immortalis autem beneficio conditoris. Lib. IV, de Genesi ad litteram, c. xxvI. · (3) Qui status (immortalitatis) eis de ligno vitæ, quod in medio paradisi cum arbore vetita simul erat, mirabili Dei gratia præstabatur. De Civilute Dei, lib. xш, c. xx.

« PrécédentContinuer »