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de l'homme, ses intérêts d'honneur, de liberté, quelquefois même d'existence. Il expose ces intérêts, mais c'est pour les sauvegarder. Il est tout à la fois une menace et une protection.

Le Droit pénal a toujours occupé une grande place dans la vie des sociétés ; il facilite ou entrave leur développement, suivant qu'il est ou n'est pas en rapport avec leurs besoins; il est la partie du Droit le plus en rapport avec la religion et avec la morale, qui ne l'ont cependant pas pour sanction, mais qui réagissent puissamment sur lui.

Je n'ajoute pas que le Droit pénal a de grandes affinités avec la politique, puisque, s'il se lie à toutes les parties du Droit, il se lie principalement au Droit public.

Toute législation pénale résout explicitement trois questions :

1 Quels sont les faits à imposer ou à interdire à peine d'un châtiment social?

2° Quels sont les châtiments sociaux applicables ? 3° Quels sont les moyens, les procédés à organiser pour juger les auteurs des faits ou des omissions punissables, et pour leur appliquer les châtiments sociaux ?

Les lois qui résolvent les deux premières questions sont les lois pénales proprement dites, les lois de fond.

Les lois qui résolvent la troisième question sont les lois de forme, les lois de procédure.

Enfin toute législation pénale suppose résolue,

plutôt qu'elle ne résout, une question qui domine tout le système pénal, à savoir en vertu de quels principes les peines sont infligées.

Le législateur ne se rend pas toujours un compte exact de ces principes; cependant il est certain, que ce soit ou non le résultat d'une volonté réfléchie, que les principes qui servent de base, de justification au pouvoir de punir, exercent une influence considérable sur la détermination des faits ou omissions punissables, sur la détermination des pénalités, et sur l'organisation de la procédure établie pour l'application de ces pénalités.

Ainsi, dans le Droit pénal il y a quatre questions: trois questions résolues explicitement, une question résolue implicitement: c'est la question mère, c'est la question fondamentale.

La science de la législation pénale n'est pas seulement la connaissance d'une collection de textes; c'est aussi, c'est surtout la connaissance de l'esprit qui est sous ces textes, de l'esprit qui les anime et doit diriger leur application.

L'étude de cette législation ne saurait être séparée de l'étude de son fondement philosophique et rationnel et de l'étude de ses précédents historiques.

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Isolée de son fondement philosophique, la loi pénale, la loi pénale proprement dite, la loi de fond, ne serait qu'une nomenclature aride de commandements et de prohibitions sans raison et sans cause, qu'une série de menaces sans justice et sans moralité. La loi de forme, la loi de procédure ne se

rait qu'un réseau de précautions, qu'un ensemble d'embûches combinées pour assurer à la pénalité sa proie.

Isolée de ses précédents historiques, la loi pénale perdrait son meilleur commentaire; elle serait obscure et incomplète. Une règle n'est bien connue, n'est bien appréciée qu'autant qu'on sait son origine, sa filiation; qu'on assiste à son développement et qu'on est en mesure de placer chacune de ses modifications en face des circonstances au sein desquelles elle s'est produite.

Je sais bien qu'un professeur, qui a beaucoup fait pour le Droit pénal, et qui eût fait plus encore si la mort ne l'eût trop tôt enlevé à une science sur laquelle il a su jeter tant d'intérêt, Boitard, a écrit dans un livre qui est ou qui sera dans vos mains à tous, que l'étude et la connaissance de l'ancien Droit criminel importaient assez peu à l'intelligence et à l'application pratique de notre Droit actuel. Il a donné de ce jugement deux raisons, qui pourraient laisser dans vos esprits des préventions que je tiens à combattre.

« 1° Les lois pénales, a-t-il dit, doivent être appliquées à la lettre ; elles ne sauraient être élargies, complétées avec des textes anciens;

<< 2° Le droit pénal est subordonné aux temps, aux mœurs, aux révolutions; il a rarement des racines dans le passé; il est en général exclusivement l'œuvre du présent. La Révolution de 1789 notamment, en matière criminelle, contrairement au système suivi

pour les matières civiles, a fait table rase et construit un édifice tout nouveau. >>

Je reprends et je discute chacune de ces deux rai

sons:

1° La loi pénale doit être appliquée à la lettre.Cette première raison, si elle était fondée, dépasserait de beaucoup les conséquences que Boitard en a déduites. Non seulement elle écarterait l'étude des précédents, mais elle exclurait tout commentaire et tout enseignement; Boitard faisait plus qu'ébranler sa chaire, il la sapait par sa base. Si la loi pénale dit tout, et dit tout clairement, si elle est parfaitement comprise sans secours, à quoi bon un professeur qui l'interprète et en expose les principes? Ouvrez et lisez vos codes, voilà toute votre tâche, Messieurs; elle sera, si non amusante, au moins facile. Mais malheureusement pour vous, votre tâche est plus lourde que ne l'a cru Boitard: vous aurez à m'écouter.... Le cours de Droit pénal n'est pas un cours de luxe, et l'excellent livre de Boitard n'est pas une superfluité.

Gardez-vous de croire, en effet, que le Droit pénal exclut toute interprétation. Sans doute il ne comporte pas d'interprétation extensive; mais il admet, mais il appelle l'interprétation explicative, l'interprétation à l'aide de laquelle on découvre le vrai sens, la pensée exacte, la portée de ses dispositions: Omnis interpretatio vel declarat, vel extendit, vel restringit. Or, justement parce qu'en cette matière les erreurs d'interprétation sont plus graves qu'en aucune autre, il importe de ne point répudier les ressources dont

usent les jurisconsultes sur les autres parties du Droit.

2o La seconde raison de Boitard, pour dédaigner le secours des précédents, c'est que le Droit pénal n'est pas un Droit traditionnel, c'est que le nôtre sur-. tout est exclusivement le fils de la Révolution de 1789.

Cette seconde raison repose sur une erreur de fait. Sans doute, les lois pénales portent toujours l'empreinte du système politique contemporain de leur rédaction, et nos lois pénales actuelles sont marquées au coin des idées dont l'avénement date de 1789.

Mais s'il y a dans les lois pénales des éléments qui changent, se transforment, en traversant les âges et les révolutions politiques, il en est d'autres qui sont durables, permanents, qui survivent à toutes les vicissitudes des temps, et ces derniers éléments sont le fond de toute législation pénale.

Nous avons vu, en effet, que toute législation pénale résout explicitement trois questions: la question des faits et omissions punissables,-la question des pénalités,-la question des moyens pour découvrir les faits et omissions et pour en punir les au

teurs.

Eh bien sur la première question, la conscience humaine, la conscience des gouvernants et des gouvernés ne s'est jamais radicalement trompée, parce qu'il s'agit, au fond, de la distinction impérissable du bien et du mal, et du danger du mal; sans doute, la conscience humaine a pu subir l'entraînement de préjugés, se laisser aller au courant de certaines opi

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