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SECTION CINQUIEME.

L'homme eft fufceptible de Morale.

CHAPITRE PREMIER.

De la Nature, & de l'objet de la Morale.

Le bonheur eft la fin de tous les hommes, chacun y tend par les moyens qui lui paroiffent les plus propres à y conduire relativement aux circonstances dans lesquelles il se trouve. Chacun regarde comme la route & comme la fource du bonheur les actions & les objets qui l'ont rendu heureux.

Ainfi, pour me fervir d'un exemple groffierement sensible, L'homme

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que

l'homme que le malheur de fa condition oblige à des travaux qui épuifent fes forces, a recours aux liqueurs fpiritueufes & enivrantes, pour réparer fes forces & pour fufpendre le mal-aife caufe l'épuifement. Recommençant fans ceffe ce cercle de fatigues, & prefque toujours dans l'épuisement, il eft déterminé à recourir fans ceffe au vin, aux liqueurs enivrantes comme à l'unique moyen de fe dérober à la douleur de l'épuisement. Comme il hait néceffairement le mak aife, & qu'il aime le bonheur; il cft déterminé par ces deux motifs à s'enivrer, toutes les fois qu'il le peut; lors même qu'il n'a befoin de réparer fes forces, il a befoin d'être heureux, & il ne connoît point d'autre moyen de l'être, qu'en fe procurant cette efpéce de force momentanée que donnent les liqueurs eni

pas

vrantes. L'ivresse est l'oubli cou l'ignorance de fon malheur, & le bonheur de ce miférable eft d'ignorer l'horreur de fon fort. Ainfi, l'homme que fa condition n'oblige point à ces travaux mais qui fans avoir éprouvé le malheur de Bindigence, a fenti l'éguillon du besoin, les défagréments de la médiocrité, s'eft occupé des moyens de s'enrichir, parce qu'il a régardé les richelles comme le moyen de s'arracher au malheur & d'arriver au bonheur. Chaque acquifition qu'il a faite à été un pas vers le bonheur ; cette acquifition en l'approchant du bonheur lui a procuré un plaifir, elle est devenue elle-même une fource de bonheur, Toutes fes forces, toute fon induftrie, tous Les talents fe font dirigés natu rellement vers l'acquifition des richeffes, comme vers le vrai bon heur, il n'en a point connu d'au

tre, il est devenu avare, avide & infatiable, comme le porte-faix eft devenu ivrogne. Le befoin qu'il a d'être heureux le porte fans ceffe vers les richeffes.

Ainfi, l'homme d'un état fubal terne qui a fouffert de la fupériorité des autres, cherche à s'élever, & regarde comme un bonheur, tout ce qui le tire de l'humiliation dans laquelle il gémit. Il regarde l'élévation au-deffus de fon état, comme la fource du bonheur; chaque pas qu'il fait vers cette élévation, l'approche du bonheur, lui procure un plaifir & le rend par conféquent heureux pour ce moment. Toutes fes facultés, tous fes vœux fe tournent vers les moyens d'acquérir de nouvelles diftinctions; il ne s'est point ouvert d'autres fources de bonheur; le defir qu'il a d'être heureux qui agit fans ceffe & invinciblement en lui, forme fans

ceffe de nouveaux projets d'élévation & de grandeur.

Ainfi autrefois, l'homme qui avoit de la naiffance, & dont l'efprit n'avoit été occupé dans fa jeuneffe que des avantages de fa naiffance, la regardoit comme le fouverain bonheur, il vouloit que tout la lui rappellât; que tout l'en entretînt, que fes meubles, fes vitres armoriées, fes flatteurs, fes complaifants, le cortège de fes domeftiques, fes profufions & fon ignorance même ne lui permiffent pas de la perdre de vue.

En un mot chacun se fait un fyftême de bonheur & attend fa félicité de la poffeffion d'un objet auquel il tend conftamment, invariablement & fans relâche, parce que l'homme veut conftamment & inceffamment être heu

reux.

Cette difpofition de chaque homme qui le fait tendre conf

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