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se troubler ni se déconcerter par aucun événement; car, comme le remarque le même Polybe, à peine le Pag 552 concours de toutes les mesures le plus sagement concertées et exécutées, est-il suffisant pour faire réussir un dessein; au lieu que, souvent l'omis sion d'une seule, quelque légère qu'elle paraisse, suffit pour en empêcher le succès.

Tel fut le caractère d'Annibal et de Scipion. Tous deux formèrent un projet grand, hardi, singulier, d'une vaste etendue, d'une longue suite, capable de troubler les plus fortes têtes, mais seul salutaire et seul décisif.

Annibal, dès le commencement de la guerre, comprit que le seul moyen de vaincre les Romains, était de les aller attaquer dans leur propre pays. Il disposa tout de loin pour ce grand dessein; il prévit toutes les difficultés et tous les obstacles; le passage des Alpes ne l'arrêta point. Un capitaine si sage, comme l'observe Polybe, Pag. 201. n'aurait eu garde de s'y engager, si auparavant il ne s'était assuré que ces montagnes n'étaient point impraticables. Le succès répondit à ses

vues. On sait quelle fut la rapidité de ses victoires, et combien Rome se vit près de sa perte.

Scipion forma un dessein qui ne paraissait guère moins hardi, mais qui eut un succès plus heureux: ce fut d'attaquer l'Afrique dans l'Afrique même. Que d'obstacles semblaient s'opposer à ce dessein! N'était-il pas naturel, disait-on, de défendre son pays, avant que d'attaquer celui de l'ennemi, et d'assurer la paix dans T'Italie, avant que de porter la guerre en Afrique? Quelle ressource resterait-il à Tempire, si Annibal vainqueur marchait contre Rome? Seraitil temps pour lors de rappeler à son secours le consul? Que deviendraient Scipion et son armée, s'il venait à perdre une bataille ? et que ne devaiton pas craindre des Carthaginois et de leurs alliés réunis tous ensemble, et combattant pour leur liberté et pour leur vie, sous les yeux de leurs femmes, de leurs enfans et de leur patrie? C'étaient les réflexions, de Fabius, qui paraissaient fort plausibles, mais qui n'arrêtèrent point Scipion; ét le succès de l'entreprise fit assez voir avec quelle sagesse elle avait été

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formée, et avec quelle habileté elle fut conduite et l'on reconnut que dans les actions de ce grand homme, rien ne venait du hasard, mais que tout était l'effet d'un solide raisonnement, et d'une prudence consommée; ce qui fait le capitaine, au lieu que les coups de main ne font que le soldat.

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Un des moyens les plus sûrs dé faire réussir une entreprise, est le secret; et Polybe veut qu'un général Pag. 542. soit tellement impénétrable sur cet article, que non-seulement l'amitié ni la familiarité la plus intime ne puisse jamais arracher de lui une seule parole indiscrète, mais qu'il ne soit pas possible même à la plus subtile curiosité de rien découvrir sur son visage, ni dans son air, de ce qu'il a dans l'esprit.

Le siége de Carthagène fut la première entreprise de Scipion eu Espagne, et comme le premier degré à toutes ses autres conquêtes. Il ne s'en ouvrit qu'à Lélins seul, et il ne le mit dans sa confidence, que parce que cela était absolument nécessaire.

Ce ne put être aussi que par le silence, et par un profond secret, que réussit une autre entreprise encore plus importante, et qui entraîna la conquête de l'Afrique, lorsque Scipion brûla de nuit les deux camps, et tailla en pièces les deux armées, des ennemis.

Les fréquens succès qu'eut Annibal à dresser des embuscades aux Romains, et à y faire périr tant de généraux avec leurs meilleures troupes; à leur dérober ses marches; à les surprendre par des attaques imprévues; à se porter d'un endroit de l'Italie à l'autre, sans y trouver d'obstacles de la part des ennemis, sont une preuve du profond secret avec lequel il concertait et exécutait toutes ses entreprises. La ruse, la finesse, le stratagême, était son talent dominant; et tout cela ne peut réussir que par un secret impénétrable.

3. Bien connaître le caractère des chefs contre qui l'on a à combattre.

C'est une grande habileté, et une partie importante de la science militaire, de bien connaître le caractère

des généraux qui commandent l'armée ennemie, et de savoir profiter de leurs défauts: car, dit Polybe, c'est l'ignorance ou la négligence des chefs qui fait échouer la plupart des entreprises. Annibal possédait cette science en perfection; et l'on peut dire que son attention continuelle et suivie à étudier le génie des généraux romains, fut l'une des principales causes qui lui firent gagner les batailles de Trébie et de Trasimene. Il savait ce qui se passait dans le camp ennemi (a), comme ce qui se faisait dans le sien. Quand on eut envoyé contre lui Paul et Varron, il fut bientôt informé du différent caractère de ces deux chefs, et de leurs divisions: dissimiles discordesque imperitare; et il ne manqua pas de profiter du caractère vif et bouillant de Varron, en jetant un appåt et une amorce à sa témérité, par quelques légers avantages qu'il lui laissa remporter, qui furent suivis de la fameuse défaite de Cannes.

(a) Omnia ei hostium haud secus, quàm sua, nota erant. Liv. lib. 22. n. 41.

Nec quicquam corum que apud hostes agebanttur, cum fallebat. Ibid.n. 28.

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