Ambition démesurée, desir effréné de dominer, suivis de factions, de séditions, de meurtres, de proscriptions, et de la ruine entière de la liberté. Offic, lib. Cicéron, après Platon prescrit deux règles essentielles à ceux qui 1. n. 85. sont chargés du gouvernement. La première est de n'avoir en vue que le bien public, sans jamais regarder ce qui serait de leur avantage particulier; et la seconde, d'étendre leurs soins également sur tout le corps de l'Etat, et de n'en pas négliger une partie, en faisant du bien à l'autre: car, ajoute-t-il, il en est de celui qui gouverne comme d'un tuteur, et il doit en cette qualité faire le bien de ceux dont les intérêts lui ont été confiés, et non le sien propre. Et celui qui n'aurait soin que d'une partie des citoyens, quinégligerait les autres, exciterait la discorde et la sédition, qui sont ce qu'il y a de plus pernicieux à toutes les républiques. On peut dire que ce sont là les lois fondamentales de tout bon et sage gouvernement; et c'est l'observation exacte de ces lois qui avait toujours fait le caractère des bons citoyens et des grands hommes de la république, parce que c'était sur ce plan et sur ces principes que la république avait d'abord été formée et établie. Cic. Orat Lor: qu'à la puissance des rois, qui pro Sext a était devenue insupportable, on subs137. ངེལ titua celle des magistrats annuels, le sénat fut considéré comme le conseil perpétuel et public de l'Etat, pour être en quelque sorte l'ame et la tête de la république le gardien et le défenseur des lois, le protecteur de la liberté et des priviléges du peuple; et l'entrée dans cet illustre corps fut ouverte à tous les citoyens, sans autre distinction que celle du mérite et de la vertu, Les magistrats faisaient gloire de respecter l'autorité du sénat, et étaient regardés comme les ministres de cet auguste conseil; et les différens ordres de l'Etat contribuaient par leur éclat particulier à relever la gloire de la première et de la plus noble compagnie. C'est ce concert et cette union pour le bien public, qui conservèrent si long-temps la bonne intelligence dans la république, qui firent réussir toutes les guerres qu'on entreprit, et qui répandirent partout la gloire et la terreur du nom romain. Une conduite opposée produisit un effet contraire. Avant la destruction de Carthage, les disputes entre les citoyens, pour la domination et la puissance, n'étaient point portées jusqu'aux dernières violences: la crainte des forces étrangères était un frein qui les retenait dans la modération, et qui leur faisait respecter les lois. Jusque-là les Romains n'avaient pas eu encore assez de courage pour répandre le sang des citoyens (a); et le dernier excès des dissensions civiles était de sortir de la ville, et de se retirer sur quelque montagne voisine. Quand Rome se vit délivrée de toute crainte au-dehors, la licence et l'orgueil, suites ordinaires de la prospérité, troublèrent bientôt le concert et l'union qui avaient régné jusque-là. La noblesse et le peuple, sous prétexte de défendre, l'une sa dignité, l'autre sa liberté ne songèrent plus, chacun de leur côté, qu'à attirer tout à eux, et à se rendre maîtres de tout. La plupart (a) Nondum erant tam fortes ad sanguinem civilem, nec præter externa noverant bella; ultimaque rabies secessio ab suis habebatur. Liv, lib. 7. n. 4o̟, Sallust in Bello Jugurt. de ceux qui se mirent à la tête de ces deux partis (a), sous le beau nom de défenseurs du bien public, ne travaillèrent en effet qu'à établir leur puissance particulière; et au milieu de ces deux factions, la république, déchirée par ce partage, et livrée à l'ambition de ses citoyens, suivait toujours la loi du plus puissant. Il ne faut point demander qui, parmi ces chefs de parti, avait pour lui la justice et le bon droit (b): tous étaient injustes, tous étaient usurpateurs; mais celui qui était le plus fort, et qui demeurait le vainqueur, était toujours sûr d'être applaudi. On voit par-là que ce qu'il y a de plus capable de faire oublier la justice et les fois (c), c'est la passion de (a) Per illa tempora, quicumque rempublicam agitavere, honestis nominibus, alii sicuti jura populi defenderent, pars quo senatus auctoritas maxima foret, bonum publicum simulantes, pro sua quisque potentia certabant. Sallust. in Bello Catilin. (b) Boni et mali cives appellati, non ob merita in rempublicam, omnibus pariter corruptis; sed uti quisque locupletissimus, et injuria validior, quia præsentia defendebat, pro bono ducebatur. Sallust. in Fragm. (c) Maximè adducuntur plerique ut eos justitia capiat oblivio, cùm in imperiorum, honorum, gloriæ cupiditatem inciderunt..... Est autem in hoc genere molestum, quòd in maximis animis splendidissimisque ingeniis plerumque existunt honoris, imperți, potentiæ, gloriæ cupiditates. Offic. lib. 1. n. 26. dominer, et de se rendre maître des. autres; passion d'autant plus dangereuse, qu'elle est couverte d'une apparence de vertu et de gloire, et que par cette raison elle entraîne ordinairement ceux qui passent pour avoir plus d'élévation et de grandeur d'âme. Nous allons voir ces funestes dis positions se développer peu-à-peu, croître comme par degrés avec le temps, et causer enfin la ruine entière de la liberté. 1. Les Gracques. Tibérius et Caïus Gracchus, descendus par leur mère du fameux Scipion, soutinrent par un rare mérite l'éclat de leur naissance. Ils avaient l'un et l'autre l'esprit grand, l'âme haute, un désintéressement parfait, une éloquence véhémente et propre à entraîner les esprits, un zèle vif et ardent pour la justice, une compassion naturelle pour les misérables une haine irréconciliable contre toute oppression, que la résistance faisait. dégénérer en animosité personnelle contre les oppresseurs. On ne peut nier que ces deux illustres frères n'eus |