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FEU A LA MAISON.

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d'eau-de-vie; mais la précipitation, inféparable d'un tel embarras, empêcha d'y penfer. L'embrasement redoubla avec plus de rage: l'apartement du Roi était confumé, la grande falle où les Suédois fe tenaient, était remplie d'une fumée affreufe, mêlée de tourbillons de feu qui entraient par les portes des apartemens voifins; la moitié du toit était abimée dans la maifon même, l'autre tombait en dehors en éclatant dans les flammes.

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Un garde, nommé Walberg, ofa dans cette extrémité crier qu'il fallait fe rendre. Voilà un étrange homme, dit le Roi, qui s'imagine qu'il n'eft pas plus beau d'être brulé que d'ètre prifonnier. Un autre garde, nommé Rosen, s'avifa de dire, que la maifon de la Chancellerie, qui n'était qu'à cinquante pas, avait un toit de pierre, & était à l'épreuve du feu; qu'il fallait faire une fortie, gagner cette maifon, & s'y défendre. Voilà un vrai Suédois, s'écria le Roi: il embraffa ce garde, le créa Colonel fur le champ. " Allons, mes amis, dit-il, prenez avec vous le plus de poudre & de plomb que vous » pourrez, & gagnons la Chancellerie l'épée à la

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main.

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Les Turcs, qui cependant entouraient cette maison toute embrafée, voyaient avec une admiration mêlée d'épouvante, que les Suédois n'en fortaient point; mais leur étonnement fut encor plus grand, lorfqu'ils virent ouvrir les portes, & le Roi & les fiens fondre fur eux en defefpérés. Charles & fes principaux Officiers Hift. de Ch. XII. Liv.VI. T étaient

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CH. XII. EST ENFIN PRIS

étaient armés d'épées & de pistolets: chacun tlra deux coups à la fois à l'inftant que la porte s'ouvrit; & dans le même clin d'oeil jettant leurs piftolets & s'armant de leurs épées, ils firent reculer les Turcs plus de cinquante pas. Mais le moment d'après, cette petite troupe fut entourée: le Roi qui était en bottes, felon fa coutume, s'embarraffa dans fes éperons, & tomba: vingt-un Janiffaires fe jettent auffi-tôt fur lui; il jette en l'air fon épée, pour s'épargner la douleur de la rendre; les Turcs l'emmènent au quartier du Pacha; les uns le tenant fous les jambes, les autres fous les bras, comme porte un malade, que l'on craint d'incommoder.

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Au moment que le Roi fe vit faifi, la violence de fon tempérament & la fureur où un combat fi long & fi terrible avaient dû le mettre, firent place tout-à-coup à la douceur & à la tranquillité. Il ne lui échapa pas un mot d'impatience, pas un coup d'oeil de colère. Il regardait les Janifaires en fouriant, & ceux-ci le portaient en criant, Alla, avec une indignation mèlée de 1efpect. Ses Officiers furent pris au même tems & dépouillés par les Turcs & par les Tartares; ce fut le 12. Fevrier de l'an 1713. qu'arriva cet étrange événement, qui eut en cor des fuites finguliéres (*).

(+) Mr. Norberg, qui n'était pas présent à cet événement, n'a fait que

fuivre ici dans fon hiftoire celle de Mr. de Voltai re; mais il l'a tronquée,

PAR LES JANÌSSÁIRÉS.

il én a fupprimé les circonftances intéreffantes, & n'a pû justifier la témérité de Charles XII. Tout ce qu'il a pû dire contre Mr. de Voltaire au fujet de cette affaire de Bender, fe réduit à l'avanture du Sr. Frederic, valet de Chambre du Roi de Suée, que quelques-uns prétendaient avoir été brulé dans la maifon du Roi, & que d'autres difaient avoir été coupé en

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deux par les Tartares. La Mottraye prétend auffi que le Roi de Suéde ne dit point ces paroles: Nous combattrons, pro aris & focis; mais Mr Fabrice qui était préfent affûre que le Roi prononça ces mots, que la Mottraye n'était pas plus à portée d'écouter, qu'il n'é. tait capable de les comprendre, ne fachant pas un mot de Latin.

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HISTOIRE

DE

CHARLES XII.

ROI DE SUEDE.

LIVRE SEPTIEME.

ARGUMENT.

Les Turcs transfèrent Charles à Démirtash: le Roi Staniflas eft pris dans le même tems : action hardie de Mr. de Villelongue: révolutions dans le Serrail: bataille donnée en Pomeranie: Altena brûlé par les Suédois: Charles part enfin pour retourner dans fes Etats: fa manière étran ge de voyager: fon arrivée à Stralfund: difgra ces de Charles: fuccès de Pierre le Grand : fon triomphe dans Petersbourg.

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E Pacha de Bender attendait Charles grave. ment dans fa tente, ayant près de lui Marco un Interprète. Il reçut ce Prince avec un profond refpect, & le fupplia de fe repofer fur un

fopha;

TRISTE ETAT DES SUEDOIS. 293

fopha; mais le Roi ne prenant pas feulement garde aux civilités du Turc, fe tint debout dans la tente.

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Le Tout - puiffant foit béni, dit le Pacha, de » ce que Ta Majefté eft en vie: mon defefpoir eft ,, amer d'avoir été réduit par Ta Majefté à exécuter les ordres de Sa Hauteffe. Le Roi fâché feulement de ce que fes trois - cent foldats s'étaient laiffés prendre dans leurs retranchemens, dit au Pacha: Ah s'ils s'étaient défendus comme ils devaient, on ne nous aurait pas forcés en dix jours. Hélas! dit le Turc, voilà du courage. bien mal employé. Il fit reconduire le Roi à Bender fur un cheval richement caparaçonné. Ses Suédois étaient ou tués ou pris: tout fon équipage, fes meubles, fes papiers, fes hardes les plus néceffaires pillées ou brulées; on voyait fur les chemins les Officiers Suédois prefque nuds, enchaînés deux à deux, & fuivants à pied des Tartares ou des Janiffaires. Le Chancelier, les Généraux n'avaient point un autre fort; ils étaient efclaves des foldats à qui ils étaient échus en partage.

Ifmael Pacha ayant conduit Charles XII. dans fon Serrail de Bender, lui céda fon appartement, & le fit fervir en Roi, non fans prendre la précaution de mettre des Janiffaires en fentinelle à la porte de la chambre. On lui prépara un lit; mais il fe jetta tout botté fur un fopha, & dormit profondément. Un Officier qui fe tenait debout auprès de lui, lui couvrit la tête d'un bonnet, que le Roi jetta en fe réveillant de fon premier fommeil : & le Turc voyait avec T 3 éton

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