POUR LE DIMANCHE DE LA SEPTUAGÉSIME. Eminente dignité des pauvres dans l'Eglise : leurs droits, leurs prérogatives: comment et pourquoi les riches doivent honorer leur condition, secourir leur misère, prendre part à leurs priviléges. Erunt novissimi primi, et primi novissimi. Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers. Matth. xx. 16. Parcet pauperi et inopi, et animas pauperum salvas faciet. Il pardonnera au pauvre et à l'indigent, et il sauvera les ames des pauvres: Ps. LXXI. 23. ENCORE que ce qu'a dit le Sauveur Jésus, que les premiers seront les derniers, et que les derniers seront les premiers, n'ait son entier accomplissement que dans la résurrection générale, où les justes, que le monde avoit méprisés, rempliront les premières places, pendant que les méchans et les impies, qui ont eu leur règne sur la terre, seront honteusement relégués aux ténèbres extérieures; toutefois ce renversement admirable des conditions humaines est déjà commencé dès cette vie, et nous en voyons les premiers traits dans l'institution de l'Eglise. Cette BOSSUET. XII. > cité merveilleuse, dont Dieu même a jeté les fondemens, a ses lois et sa police, par laquelle elle est gouvernée. Mais comme Jésus-Christ son instituteur est venu au monde, pour renverser l'ordre que l'orgueil y a établi; de là vient que sa politique est directement opposée à celle du siècle : et je remarque cette opposition principalement en trois choses. Premièrement, dans le monde les riches ont tout l'avantage et tiennent les premiers rangs: dans le royaume de Jésus-Christ la prééminence appartient aux pauvres, qui sont les premiers-nés de l'Eglise, et ses véritables enfans. Secondement, dans le monde les pauvres sont soumis aux riches, et ne semblent nés que pour les servir: au contraire, dans la sainte Eglise, les riches n'y sont admis qu'à condition de servir les pauvres. Troisièmement dans le monde les grâces et les priviléges sont pour les puissans et les riches; les pauvres n'y ont de part que par leur appui au lieu que dans l'Eglise de Jésus-Christ les grâcès et les bénédictions sont pour les pauvres, et les riches n'ont de privilége que par leur moyen. Ainsi cette parole de l'Evangile, que j'ai choisie pour mon texte, s'accomplit déjà dès la vie présente ; « Les derniers » sont les premiers, et les premiers sont les der»niers » puisque les pauvres, qui sont les derniers dans le monde, sont les premiers dans l'Eglise ; puisque les riches, qui s'imaginent que tout leur est dû, et qui foulent aux pieds les pauvres, ne sont dans l'Eglise que pour les servir; puisque les grâces du nouveau Testament appartiennent de droit aux pauvres, et que les riches ne les reçoivent que par : leurs mains. Vérités certainement importantes, et qui vous doivent apprendre, ô riches du siècle, ce que vous devez faire à l'égard des pauvres ; c'est-àdire honorer leur condition, soulager leurs nécessités, prendre part à leurs priviléges. C'est ce que je me propose de vous faire entendre avec le secours de la grâce. PREMIER POINT. Le docte et éloquent saint Jean - Chrysostôme, nous propose une belle idée pour connoître les avantages de la pauvreté sur les richesses. Il nous représente deux villes, dont l'une ne soit composée que de riches, l'autre n'ait que des pauvres dans son enceinte ; et il examine ensuite laquelle des deux est la plus puissante. Si nous consultions la plupart des hommes sur cette proposition, je ne doute pas, chrétiens, que les riches ne l'emportassent: mais le grand saint Chrysostôme conclut pour les pauvres (1); et il se fonde sur cette raison, que cette ville de riches auroit beaucoup d'éclat et de pompe, mais qu'elle seroit sans force et sans fondement assuré. L'abondance ennemie du travail, incapable de se contraindre, et par conséquent toujours emportée dans la recherche des voluptés, corromproit tous les esprits, et amolliroit tous les courages par le luxe, par l'orgueil, par l'oisiveté. Ainsi les arts seroient négligés, la terre peu cultivée, les ouvrages laborieux, par lesquels le genre humain se conserve, entièrement délaissés ; et cette ville pompeuse, sans avoir besoin d'autres ennemis, tomberoit enfin par (1) De div. et paup. Hom. xi, tom. xu, pag. 505, 506. elle-même, ruinée par son opulence. Au contraire, dans l'autre ville où il n'y auroit que des pauvres, la nécessité industrieuse, féconde en inventions, et mère des arts profitables, appliqueroit les esprits par le besoin, les aiguiseroit par l'étude, leur inspireroit une vigueur mâle par l'exercice de la patience; et n'épargnant pas les sueurs, elle acheveroit les grands ouvrages, qui exigent nécessairement un grand travail. C'est à peu près ce que nous dit saint Jean-Chrysostôme au sujet de ces deux villes différentes. Il se sert de cette pensée pour adjuger la préférence à la pauvreté. Mais à parler des choses véritablement, nous savons que la distinction de ces deux villes n'est qu'une fiction agréable. Les villes, qui sont des corps politiques, demandent, aussi bien que les naturels, le tempérament et le mélange: tellement que, selon la police humaine, cette ville de pauvres de saint Chrysostôme ne peut subsister qu'en idée. Il n'appartenoit qu'au Sauveur et à la politique du ciel de nous bâtir une ville, qui fût véritablement la ville des pauvres. Cette ville c'est la sainte Eglise : et si vous me demandez, chrétiens, pourquoi je l'appelle la ville des pauvres, je vous en dirai la raison par cette proposition que j'avance que l'Eglise dans son premier plan n'a été bâtie que pour les pauvres, et qu'ils sont les véritables citoyens de cette bienheureuse cité, que l'Ecriture a nommée la cité de Dieu. Encore que cette doctrine vous paroisse peut-être extraordinaire, elle ne laisse pas d'être véritable: et afin de vous en convaincre, remarquez, s'il vous plaît, Messieurs, qu'il y a cette différence entre la Synagogue et l'Eglise ; Quoique ces différentes conduites de Dieu dans l'ancienne et dans la nouvelle alliance soient fondées sur de grandes raisons, qu'il seroit trop long de rapporter, nous en pouvons dire ce mot en passant : (1) Ps. XLIV. 15. — (2) Genes, xxvII. 39. |