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I.

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SERMON

POUR LE DIMANCHE

DE LA QUINQUAGÉSIME.

Préoccupation de l'esprit, dépravation de la volonté, causes de l'aveuglement des hommes sur la passion du Sauveur. Dispositions essentielles pour connoître les choses de Dieu. Souffrances, combien nécessaires à une vie chrétienne : dans quels sentimens il faut les recevoir et les supporter.

Ipsi nihil horum intellexerunt, et erat verbum istud absconditum ab eis, et non intelligebant quæ dicebantur.

Les apôtres ne comprirent rien dans tout ce discours que le Fils de Dieu leur fit de sa passion, et ces choses leur étoient cachées, et ils n'entendirent point ce qu'il leur disoit. Luc. Xviii. 34.

L'HISTOIRE sacrée de l'Evangile nous représente les saints apôtres en trois états différens depuis leur vocation. Elle nous les représente premièrement dans une grande ignorance des célestes vérités; ensuite nous les voyons dans une incrédulité manifeste; enfin ils nous sont montrés pleins de lumières et de connoissances, et tellement éclairés qu'ils éclairent eux-mêmes tout le monde. Lorsque Jésus-Christ

étoit avec eux, leur entendement grossier ne pénétroit pas les mystères. Quand il se retira du monde, le scandale de la croix les troubla de sorte qu'ils en perdirent la foi. Enfin quand le Saint - Esprit fut descendu, leur foi fut établie immuablement, et toutes les ténèbres qui enveloppoient leurs esprits furent dissipées. Ne nous persuadons pas que ces divers changemens nous soient inutiles : tout se fait ici pour notre salut. Les saints Pères nous ont appris que non-seulement ces hommes choisis de Dieu nous ont instruits par leur sainte et salutaire doctrine; mais encore qu'ils nous ont appuyés par leurs doutes, qu'ils ont affermi notre foi par leur incrédulité; et je puis bien ajouter qu'ils nous ont aussi enseignés par leur ignorance. C'est pour cela, chrétiens, que la voyant si bien marquée dans les paroles de notre Evangile que j'ai récitées, j'ai cru que je devois m'appliquer à vous proposer aujourd'hui les instructions admirables que le Saint-Esprit veut que nous tirions de l'ignorance où étoient nos maîtres, lorsque se laissant encore guider par leurs sens, ils entendoient si peu les secrets de la sagesse éternelle. Mais comme c'est un ouvrage divin de faire sortir la lumière du sein des ténèbres, et que c'est par un tel ouvrage que Dieu a commencé la création de l'univers, Dixit de tenebris lumen splendescere (1); avant que de nous engager dans une semblable entreprise, appelons à notre secours sa toute-puissance, et demandons-lui tous ensemble la grâce de son Saint-Esprit par l'intercession de la (1) II. Cor. iv. 6.

bienheureuse Vierge, en lui disant avec l'ange: Ave, Maria.

QUAND Jésus-Christ propose aux peuples avec des paroles sublimes les impénétrables secrets qu'il a vus dans le sein de son Père; quand il enveloppe dans des paraboles les mystères du royaume de Dieu, afin, comme il dit lui-même, que les hommes ingrats et superbes << en voyant ne voient point, et en écou>>tant n'entendent point (1) »; on ne doit pas s'étonner beaucoup, chrétiens, si les apôtres ne comprennent point ces mystérieux discours. Mais qu'ils n'aient pu concevoir les choses que le Fils de Dieu leur dit aujourd'hui en termes si clairs, je vous confesse, mes Frères, que j'en suis surpris. En effet, écoutez, je vous prie, de quelle sorte il leur parle dans notre Evangile. « Nous montons, leur dit-il, » en Jérusalem; et toutes les choses que les pro» phètes ont écrites du Fils de l'homme, seront bien>> tôt accomplies: car il sera livré aux gentils, il sera moqué, flagellé, on lui crachera au visage; et après l'avoir fouetté, ils le feront mourir, et il >> ressuscitera le troisième jour (2) ». Je vous demande, Messieurs, en quelle partie de ce discours vous trouvez de l'obscurité: au contraire ne paroît-il pas que tout y est fort intelligible? Il spécifie tout fort distinctement; et il ne s'étoit pas énoncé en termes plus clairs, quand les apôtres lui dirent en un autre endroit : « Maître, vous nous parlez à >> cette heure tout ouvertement, et vous n'usez d'au» cune figure ni parole » : Ecce nunc palàm loque(1) Marc. 1v. 12. — (2) Luc. Xvin. 31, 32, 33.

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ris, et proverbium nullum dicis (1). Et toutefois admirez que Jésus ayant dit ces choses sans aucune ambiguité, saint Luc remarque aussitôt qu'ils ne comprirent rien en tout son discours et comme si c'étoit peu de l'avoir observé une seule fois, il continue en disant : « Cette parole leur étoit cachée » : et enfin il ajoute encore; « et ils n'entendoient pas » ce qu'il leur disoit ».

Certainement ce n'est pas en vain que l'évangéliste insiste si fort sur cette ignorance des apôtres : il veut que nous entendions, par ces fréquentes répétitions, combien étoient épais les nuages qui enveloppoient leurs esprits; et tout ensemble il nous avertit qu'il ne faut point passer ici légèrement, mais nous arrêter avec attention, et sérieusement réfléchir sur une telle ignorance. Or, mes Frères, pour me conformer à l'intention de l'auteur sacré et à celle du Saint-Esprit, j'ai dessein de vous proposer les réflexions que j'ai faites. Ce que je découvre d'abord, c'est qu'il ne suffit pas que le soleil luise, et que les flambeaux soient allumés, si la vue est mal disposée, et que la clarté se présente en vain, lorsque les yeux sont malades. Mais quel étoit cet aveuglement qui empêchoit les apôtres d'entendre des paroles si manifestes, et de voir, pour ainsi dire, dans un si grand jour ? C'est ce qu'il nous faut rechercher; et c'est là qu'en trouvant la cause qui offusque leur intelligence, nous connoîtrons les empêchemens qui obscurcissent aussi si souvent la nôtre. Pour pénétrer ce secret, conférons un autre passage avec celui-ci : c'est une excellente méthode (1) Joan. XVI. 29.

pour entendre les Ecritures; je m'en servirai en ce lieu, et saint Luc nous expliquera les sentimens de saint Luc.

Après qu'il a rapporté dans son neuvième chapitre, un discours du Sauveur des ames sur le sujet de sa passion et de sa mort, semblable à celui qu'il tient dans l'Evangile de ce jour, il remarque pareillement que les apôtres n'y comprirent rien : « Et les disciples, dit-il, n'entendirent point cette

parole, et elle étoit comme voilée devant eux, en » sorte qu'ils n'en sentoient pas la force; et ils crai» gnoient de l'interroger sur cette parole » : At illi ignorabant verbum istud, et erat velatum ante eos, ut non sentirent illud: et timebant eum interrogare de hoc verbo (1). Cette ignorance les tient quand Jésus leur parle de sa passion. Je vois, si je ne me trompe, les deux causes de l'aveuglement. Si les apôtres n'entendent pas les paroles très-évidentes du Sauveur Jésus, c'est que non-seulement leur esprit, mais encore leur volonté est mal disposée. Premièrement ils n'entendent pas, parce qu'ils ont l'esprit occupé par d'autres pensées, et obscurci par les préjugés qui naissent des sens; et voilà ce voile qui est devant eux, et les empêche de voir. Et erat velatum ante eos. Secondement ils n'entendent pas, parce qu'ils refusent de chercher l'éclaircissement nécessaire; ils craignent d'être éclaircis; et ils ne découvrent pas la lumière, à cause qu'ils détournent les yeux délibérément. « Ils appréhendoient, dit l'Evangéliste, de l'interroger sur cette parole » : Et timebant eum interrogare de hoc verbo. Voilà (1) Luc. 1x. 45.

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