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gir sur la terre l'espérance d'un homme de bien, il regarde le revers de la main de Dieu, et il entend avec foi, comme une voix céleste qui dit aux méchans fortunés qui méprisent le juste opprimé : O herbe terrestre, ô herbe rampante, oses-tu bien te comparer à l'arbre fruitier pendant la rigueur de l'hiver, sous prétexte qu'il a perdu sa verdure et que tu conserves la tienne durant cette froide saison? Viendra le temps de l'été, viendra l'ardeur du grand jugement, qui te desséchera jusqu'à la racine, et fera germer les fruits immortels des arbres que la patience aura cultivés. Telles sont les saintes pensées qu'inspire la foi de la Providence.

Chrétiens, méditons ces choses, et certes elles méritent d'être méditées. Ne nous arrêtons pas à la fortune ni à ses pompes trompeuses. Cet état que nous voyons aura son retour, tout cet ordre que nous admirons sera renversé. Que servira, chrétiens, d'avoir vécu dans l'autorité, dans les délices, dans l'abondance, si cependant Abraham nous dit: Mon fils, tu as reçu du bien en ta vie, maintenant les choses vont être changées. Nulles marques de cette grandeur, nul reste de cette puissance. Je me trompe, j'en vois de grands restes et des vestiges sensibles; et quels? C'est le Saint-Esprit qui le dit; « les puis>> sans, dit l'oracle de la sagesse, seront tourmentés >> puissamment » : Potentes potenter tormenta patientur (1). C'est-à-dire qu'ils conserveront, s'ils n'y prennent garde, une malheureuse primauté de peine à laquelle ils seront précipités par la primauté de leur gloire. Ah! encore que je parle ainsi, «j'es(1) Sap. VI. 7.

br» père de vous de meilleures choses»: Confidimus autem de vobis meliora (1). Il y a des puissances saintes: Abraham qui condamne le mauvais riche, a lui-même été riche et puissant; mais il a sanctifié b sa puissance en la rendant humble, modérée, souemise à Dieu, secourable aux pauvres si vous profitez de cet exemple, vous éviterez le supplice du riche cruel, dont nous parle [l'Evangile], et vous irez avec le pauvre Lazare vous reposer dans le sein du riche Abraham, et posséder avec lui les richesses éternelles.

(1) Heb. VI. 9.

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Différens degrés de la servitude des pécheurs : grandeur de la difficulté qu'ils éprouvent au dernier moment, pour briser les liens de leurs attaches. Causes de la négligence des hommes dans la grande affaire du salut. Peinture naturelle de la vie des gens du monde : dans quel état ils se trouvent à l'heure de la mort. Insensibilité que l'attachement aux plaisirs produit dans les riches à l'égard des pauvres : énormité de ce crime: terrible abandonnement où se trouveront ceux qui les auront délaissés.

Mortuus est autem et dives.

Le riche mourut aussi. Luc. XVI. 22.

E

Je laisse Jésus-Christ sur le Thabor dans les splendeurs de sa gloire, pour arrêter ma vue sur un autre objet moins agréable, à la vérité, mais qui nous presse plus fortement à la pénitence. C'est le mauvais riche mourant, et mourant comme il a vécu, dans l'attache à ses passions, dans l'engagement au péché, dans l'obligation à la peine.

Dans le dessein que j'ai pris de faire tout l'entretien de cette semaine sur la triste aventure de ce misérable, je m'étois d'abord proposé de donner comme deux tableaux, dont l'un représenteroit sa mauvaise vie, et l'autre sa fin malheureuse; mais j'ai cru que les pécheurs, toujours favorables à ce qui éloigne leur conversion, si je faisois ce partage, se persuaderoient trop facilement qu'ils pourroient aussi détacher ces choses, qui ne sont pour notre malheur que trop enchaînées, et qu'une espérance présomptueuse de corriger à la mort ce qui manqueroit à la vie, nourriroit leur impénitence. Je me suis donc résolu de leur faire considérer, dans ce discours, comme par une chute insensible on tombe d'une vie licencieuse à une mort désespérée; afin que contemplant d'une même vue ce qu'ils font et ce qu'ils s'attirent, où ils sont et où ils s'engagent, ils quittent la voie en laquelle ils marchent, par la crainte de l'abîme où elle conduit. Vous donc, ô divin Esprit, sans lequel toutes nos pensées sont sans force et toutes nos paroles sans poids, donnez efficace à ce discours, touché des saintes prières de la bienheureuse Marie, à laquelle nous allons dire: Ave, Maria.

C'EST trop se laisser surprendre aux vaines descriptions des peintres et des poètes, que de croire la vie et la mort autant dissemblables, que les uns et les autres nous les figurent. Pour les peindre au naturel, pour les représenter chrétiennement, il leur faut donner les mêmes traits. C'est pourquoi les hommes se trompent, lorsque trouvant leur con

version si pénible pendant la vie, ils s'imaginent que la mort aplanira ces difficultés; se persuadant peutêtre qu'il leur sera plus aisé de se changer, lorsque la nature altérée touchera de près à son changement dernier et irrémédiable: car ils devroient penser au contraire que la mort n'a pas un être distinct qui la sépare de la vie, mais qu'elle n'est autre chose sinon une vie qui s'achève. Or qui ne sait, chrétiens, qu'à la conclusion de la pièce, on n'introduit pas d'autres personnages que ceux qui ont paru dans les autres scènes; et que les eaux d'un torrent, lorsqu'elles se perdent, ne sont pas d'une autre nature que lorsqu'elles coulent. C'est donc cet enchaînement qu'il nous faut aujourd'hui comprendre et afin de concevoir plus distinctement comme ce qui se passe en la vie porte coup au point de la mort, traçons ici en un mot la vie d'un homme du monde.

Ses plaisirs et ses affaires partagent ses soins: par l'attache à ses plaisirs, il n'est pas à Dieu; par l'empressement de ses affaires, il n'est pas à soi; et ces deux choses ensemble le rendent insensible aux malheurs d'autrui. Ainsi notre mauvais riche, homme de plaisirs et de bonne chère, ajoutez, si vous le voulez, homme d'affaires et d'intrigues, étant enchanté par les uns et occupé par les autres, ne s'étoit jamais arrêté pour regarder en passant le pauvre Lazare qui mouroit de faim à sa porte.

Telle est la vie d'un homme du monde ; et presque tous ceux qui m'écoutent se trouveront tantôt, s'ils y prennent garde, dans quelque partie de la parabole. Mais voyons enfin, chrétiens, quelle sera la

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