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Persécution continuelle que le chrétien doit se faire à lui-même. Dangers des plaisirs : leurs funestes effets sur le corps et sur l'ame : comment ils nous empêchent de retourner à Dieu par une sincère conversion. Captivité où nous jettent les joies sensuelles Sainte tristesse de la pénitence, combien salutaire : ses amertumes, sources fécondes de joies pures et ineffables.

Homo quidam habuit duos filios, et dixit adolescentior ex illis patri: Pater, da mihi portionem substantia quæ me contingit.

Un homme avoit deux fils, et le plus jeune des deux dit à son père: Mon père,donnez-moi mon partage du bien qui me touche. Luc. xv. 11.

LA

parabole de l'Enfant prodigue nous fut hier proposée par la sainte Eglise dans la célébration

(*) Ce sermon se trouve placé au troisième dimanche de carême, parce que les premiers mots indiquent qu'il a été prêché ce jour là, quoique l'évangile de l'Enfant prodigue se lise le samedi précédent.

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des mystères, et je me sens invité à ramener aujourd'hui un si beau et si utile spectacle. Et certainement, chrétiens, toute l'histoire de ce prodigue, sa malheureuse sortie de la maison de son père, ses voyages ou plutôt ses égaremens dans un pays éloigné, son avidité pour avoir son bien, et sa prodigieuse facilité à le dissiper, ses libertés et sa servitude, ses douleurs après ses plaisirs, et la misère extrême où il est réduit pour avoir tout donné à son plaisir enfin la variété infinie et le mélange de ses aventures, sont un tableau si naturel de la vie humaine; et son retour à son père, où il retrouve avec abondance tous les biens qu'il avoit perdus, une image si accomplie des grâces de la pénitence, que je croirois manquer tout-à-fait au saint ministère dont je suis chargé, si je négligeois les instructions que Jésus-Christ a renfermées dans cet évangile. Ainsi mon esprit ne travaille plus qu'à trouver à quoi se réduire dans une matière si vaste. Tout me paroît important, et je ne puis tout traiter sans entreprendre aujourd'hui un discours immense. Grand Dieu, arrêtez mon choix sur ce qui sera le plus profitable à cet illustre auditoire, et donnez-moi les lumières de votre Esprit saint par les pieuses intercessions de la bienheureuse Vierge que.je salue avec l'ange, en disant, Ave, etc.

DEPUIS notre ancienne désobéissance, il semble que Dieu ait voulu retirer du monde tout ce qu'il y Une variante du manuscrit porte : « Il n'y a que peu de jours que la » parabole de l'Enfant prodigue fut lue par la sainte Eglise, etc. », ce qui fait croire qu'il a été aussi prêché un autre jour de cette se maine. (Edit. de Versailles.)

avoit répandu de joie véritable pendant l'innocence des commencemens; .si bien que ce qui flatte maintenant nos sens n'est plus qu'un amusement dangereux, et une illusion de peu de durée. Le sage l'a bien compris, lorsqu'il a dit ces paroles: Risus dolore miscebitur, et extrema gaudii luctus occupat(1). « Le ris sera mêlé de douleur, et les joies se termi» neront en regrets ». C'est connoître le monde que de parler ainsi de ses plaisirs, et ce grand homme a bien remarqué dans les paroles que j'ai rapportées; premièrement qu'ils ne sont pas purs; puisqu'ils sont mêlés de douleurs, et secondement qu'ils passent bien vîte, puisque la tristesse les suit de si près. En effet il est véritable que nous ne goûtons point ici de joie sans mélange. La félicité des hommes du monde est composée de tant de pièces, qu'il y en a toujours quelqu'une qui manque; et la douleur a trop d'empire dans la vie humaine pour nous laisser jouir long-temps de quelque repos. C'est ce que nous pouvons entendre par la parabole de l'Enfant prodigue. Pour donner un cours plus libre à ses passions, il renonce aux commodités et à la douceur de sa maison paternelle, et il achète à ce prix cette liberté malheureuse. Le plaisir de jouir de ses biens est suivi de leur entière dissipation. Ses excès, ses profusions, cette vie voluptueuse qu'il a embrassée, le réduisent à la servitude, à la faim et au désespoir. Ainsi vous voyez, Messieurs, que ses joies se tournent bientôt en une amertume infinie: Extrema gaudii luctus occupat. Mais voici un autre changement, qui n'est pas moins remarquable : la

(1) Prov. XI. 13.

longue suite de ses malheurs l'ayant fait rentrer en lui-même, il retourne enfin à son père, repentant et affligé de tous ses désordres; et reçu dans ses bonnes grâces, il recouvre par ses larmes et par ses regrets ce que ses joies dissolues lui avoient fait perdre. Etranges vicissitudes! Plongé par ses plaisirs déréglés dans un abîme de douleurs, il rentre par sa douleur même dans la tranquille possession d'une joie parfaite. Tel est le miracle de la pénitence; et c'est ce qui me donne lieu, chrétiens, de vous faire voir aujourd'hui dans l'égarement et dans le retour de ce prodigue ces deux vérités importantes: les plaisirs sources de douleur; et les douleurs sources fécondes de nouveaux plaisirs. C'est le partage de ce discours, et le sujet de vos attentions.

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PREMIER POINT.

L'APÔTRE Saint Paul a prononcé que « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souf>> friront persécution » : Omnes qui piè volunt vivere in Christo Jesu, persecutionem patientur (1). L'Eglise étoit encore dans son enfance, et déjà toutes les puissances du monde s'armoient contre elle. Mais ne vous persuadez pas qu'elle ne fût persécutée que par les tyrans ennemis déclarés du christianisme. Chacun de ses enfans étoit soi-même son persécuteur. Pendant qu'on affichoit à tous les poteaux et dans toutes les places publiques des sentences et des proscriptions contre les fidèles, euxmêmes se condamnoient d'une autre sorte. Si les empereurs les exiloient de leur patrie, tout le monde

(1) II. Tim. II. 12.

leur étoit un exil; ils s'ordonnoient à eux-mêmes de ne s'attacher nulle part, et de n'établir leur domicile en aucun pays de la terre. Si on leur ôtoit la vie par violence, eux-mêmes s'ôtoient les plaisirs volontairement. Et Tertullien a raison de dire que cette sainte et innocente persécution aliénoit encore plus les esprits que l'autre : Plures invenias, quos magis periculum voluptatis quàm vitæ avocet ab hac secta, cùm alia non sit et stulto et sapienti vitæ gratia, nisi voluptas (1). C'est-à-dire qu'on s'éloignoit du christianisme plus par la crainte de perdre les plaisirs, que par celle de perdre la vie, qu'on aimoit autant n'avoir pas, que de l'avoir sans goût et sans agrément : c'est-à-dire que si l'on craignoit les rigueurs des empereurs contre l'Eglise, on craignoit encore davantage la sévérité de sa discipline contre elle-même; et que plusieurs se seroient exposés plus facilement à se voir ôter la vie, qu'à se voir arracher les plaisirs, sans lesquels la vie leur est ennuyeuse.

Ce martyre, Messieurs, ne finira point, et cette sainte persécution par laquelle nous combattons en nous-mêmes les attraits des sens, doit durer autant que l'Eglise. La haine aveugle et injuste qu'avoient les grands du monde contre l'Evangile a eu son cours limité, et le temps l'a enfin tout-à-fait éteinte; mais la haine des chrétiens contre eux-mêmes et contre leur propre corruption doit être immortelle, et c'est elle qui fera durer jusques à la fin des siècles ce martyre vraiment merveilleux, où chacun s'immole soi-même, où le persécuteur et le patient sont (1) De Spectac. n. 2.

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