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persécutent sans cesse ; et comme dit le même Psalmiste, les angoisses nous trouvent toujours trop facilement: Adjutor in tribulationibus quæ invenerunt nos nimis (1). Mais maintenant, dit ce saint prophète, j'ai enfin trouvé une douleur, qui méritoit bien que je la cherchasse; c'est la douleur d'un cœur contrit et d'une ame affligée de ses péchés; je l'ai trouvée, cette douleur, et j'ai invoqué le nom de Dieu. Je me suis affligé de mes crimes et je me suis converti à celui qui les efface; mes regrets ont fait mon bonheur, et les remords de ma conscience m'ont donné la paix : Tribulationem et dolorem inveni, et nomen Domini invocavi.

Mais le temps où l'homme de bien goûtera plus utilement les fruits de cette douleur salutaire, ce sera celui de la mort; et il faut qu'en finissant ce discours, je tâche d'imprimer cette vérité dans vos cœurs. Pour cela considérons un moment les dispositions d'un homme qui meurt après avoir vécu parmi les plaisirs. Alors s'il lui reste quelque sentiment, il ne peut éviter des regrets extrêmes; car ou il regrettera de s'y être abandonné, ou il déplorera la nécessité de les perdre et de les quitter pour toujours. O douleur et douleur ! l'une est le fondement de la pénitence, et l'autre est le renouvellement de tous les crimes. On ne peut éviter, mes Frères, l'une ou l'autre de ces deux douleurs : laquelle l'emportera dans ce dernier jour ? c'est ce que l'on ne peut savoir; et pour vous dire mon sentiment, ce sera plutôt la seconde.

Vous pensez peut-être, mes Frères, que pendant

(1) Ps. XLV. I.

que la mort nous enlève tout, on se résout assez aisément à tout quitter, et qu'il n'est pas difficile de se détacher de ce qu'on va perdre. Mais si vous entrez dans le fond des cœurs, vous verrez qu'il faut craindre un effet contraire. En effet il est naturel à l'homme de redoubler ses efforts pour retenir le bien qu'on lui ôte. Oui, mes Frères, quand on nous arrache ce que nous aimons, on ressent tous les jours que cette violence irrite nos désirs; et l'ame faisant alors un dernier effort, pour courir après son bien qu'on lui ravit, produit en elle-même cette passion que nous appelons le regret et le déplaisir. C'est ce qui fait qu'Agag, ce roi d'Amalec, qui nous est représenté dans les Ecritures comme un homme de plaisir et de bonne chère, Agag pinguissimus, au moment de perdre la vie qu'il avoit trouvée si délicieuse, pousse cette plainte du fond de son cœur : Siccine separat amara mors (1)? « Est-ce ainsi que » la mort amère sépare de tout » ? Vous voyez comme à la vue de la mort, qui lui arrache de vive force ce qu'il aime, tous ses désirs se réveillent par ses regrets mêmes; et qu'ainsi la séparation effective augmente dans ce moment l'attache de la volonté.

Qui ne craindra donc, chrétiens, que notre ame fugitive ne se retourne tout à coup en ce dernier jour à ce qui lui a plu dans le monde désordonnément; que notre dernier soupir ne soit un gémissement secret de perdre tant de plaisir; et que ce regret amer d'abandonner tout, ne confirme, pour ainsi dire, par un dernier acte tout ce qui s'est passé dans la vie? O regret funeste et déplorable, qui (1) I. Reg. xv. 32.

renouvelle en un moment tous les crimes, qui efface tous les regrets de la pénitence, et qui livre notre ame malheureuse et captive à une suite éternelle de regrets furieux et désespérans, qui ne recevront jamais d'adoucissement ni de remède! Au contraire, un homme de bien, que les douleurs de la pénitence ont détaché de bonne foi des joies sensuelles, n'aura rien à perdre en ce jour; le détachement des plaisirs le désaccoutume du corps; et ayant depuis fort long-temps, ou dénoué, ou rompu ces liens délicats qui nous y attachent, il aura peu de peine à s'en séparer. Un tel homme dégagé du siècle, qui a mis toute son espérance en la vie future, voyant approcher la mort, ne la nomme ni cruelle ni inexorable; au contraire, il lui tend les bras, il lui montre luimême l'endroit où elle doit frapper son dernier coup. O mort, lui dit-il d'un visage ferme, tu ne me feras aucun mal, tu ne m'ôteras rien de ce qui m'est cher. Tu me sépareras de ce corps mortel; ô mort, je t'en remercie : j'ai travaillé toute ma vie à m'en détacher. J'ai tâché durant tout son cours de mortifier mes appétits sensuels; ton secours, Ô mort, m'étoit nécessaire pour en arracher jusqu'à la racine ainsi bien loin d'interrompre le cours de mes desseins, tu ne fais que mettre la dernière main à l'ouvrage que j'ai commencé. Tu ne détruis pas ce que je prétends; mais tu l'achèves. Achève donc, ô mort favorable, et rends-moi bientôt à celui que j'aime.

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II.E SERMON

E

POUR

LE III. DIMANCHE DE CARÊME.

SUR LES RECHUTES.

Quelle doit être la fidélité du pécheur réconcilié: tendresse de son Dieu pour lui: malheur de ceux qui en abusent, en retournant à leurs premiers crimes. Qualités de la pénitence: dispositions pour la récevoir avec fruit. Constance de la justice chrétienne : déplorables effets des rechutes.

Et fiunt novissima hominis illius pejora prioribus.

Et cet homme, par ses rechutes, tombe en pire état qu'auparavant. Luc. XI. 26.

Il s'agit ici, chrétiens, de faire, s'il se peut, trembler les pécheurs, que la facilité du pardon endurcit dans leurs mauvaises habitudes, et de leur faire sentir combien ils aggravent leurs crimes, combien ils irritent la bonté de Dieu, combien ils avancent leur damnation par leurs rechutes continuelles : matière certainement importante, et digne d'être traitée avec toute la force et l'autorité que donne l'Evangile aux prédicateurs. Et pour parvenir à cette fin, j'emploie trois raisons excellentes tirées de trois qualités de la pénitence: c'est une récon

ciliation, c'est un remède, c'est un sacrement. Pour entendre jusqu'au fond ces trois qualités sur lesquelles est appuyé tout ce discours, il faut remarquer avant toutes choses trois malheurs que le péché produit dans les hommes. Le premier de tous les malheurs, et qui est la source de tous les autres, c'est de les séparer d'avec Dieu. « Vos iniquités, dit » le Seigneur, ont mis la division entre moi et » vous (1) ». Et de là naissent deux autres grands maux; car l'ame étant séparée de Dieu, qui est le principe de force et de sainteté, de saine elle devient languissante, et de sainte elle devient profanée. « Gué>> rissez mon ame, ô Seigneur, dit David, parce que » j'ai péché contre vous (2) » : donc le péché le rendoit malade. Mais ce n'est pas une maladie ordinaire ; c'est une lèpre spirituelle, qui porte impureté et profanation, et qui non-seulement affoiblit les hommes, mais les met au rang des choses immondes.

Ainsi donc le péché apportant ces trois maux, il paroît que la pénitence a dû avoir trois biens opposés. Le péché nous séparant d'avec Dieu, il faut que la pénitence nous y réunisse; et c'est la première de ses qualités, c'est une réconciliation. Le péché en nous séparant, nous a faits malades; par conséquent il ne suffit pas que la pénitence nous réconcilie, il faut encore quelle nous guérisse; et de là vient que c'est un remède. Et enfin comme le péché ajoute la profanation et l'immondice aux infirmités qu'il apporte, une maladie de cette nature ne peut être déracinée que par un remède sacré qui ait la force de sanctifier comme de guérir; et de là (1) IS. LIX. 2. (2) Ps. XL. 4.

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