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Saint Pierre sera-t-il moins fort? écoutez-le. Vous déplorez, et avec raison, la misère des nations infidèles, qui n'ayant jamais connu Dieu, ni les mystères de son royaume, périssent dans leur ignorance. Mais saint Pierre vous dit qu'il vaudroit mieux n'avoir jamais connu la voie de justice, que de se retirer de la sainte loi dont on a connu l'équité : car c'est justement, poursuit cet apôtre, ce qui est dit dans les Proverbes : Canis reversus ad suum vomitum (1). Si je traduis ces paroles, je ferai horreur à vos sens; si je vous dis que selon saint Pierre, le pénitent qui retombe dans ses premiers crimes, c'est un chien qui reprend ce qu'il a jeté, vos oreilles délicates seront offensées et néanmoins nous ne craignons pas quelque chose de plus horrible; c'est de reprendre nos voies corrompues, et de ravaler le poison qu'un remède salutaire nous avoit ôté, afin qu'il achève de nous perdre et de déchirer nos entrailles.

Mais que dit le Fils de Dieu lui-même, lui qui trouvant dans sa parabole l'arbre cultivé, et n'y voyant point paroître de fruit, prononce qu'il n'est plus bon que pour le feu (2); qui nous montre le démon chassé, plus fort quand il a repris sa première place (3), plus fort en nombre, sept pour un; plus fort en malice, [sept autres ] plus malins que lui; plus fort en stabilité, et il demeure; et l'état du pécheur toujours plus mauvais après la rechute; et la maladie d'autant plus mortelle, qu'après avoir triomphé, pour ainsi parler, de la nature, elle sur(1) II. Petr. 11. 21. · (2) Luc. x111. 6, 7. — (3) Ibid. x1. 26.

monte encore les remèdes mêmes. Si donc, selon sa parole, les difficultés s'augmentent toujours, si en effet par un juste jugement de Dieu la pénitence est plus difficile que le baptême, et que par la même règle la pénitence souvent violée, à mesure qu'on la méprise, augmente les difficultés de la conversion et y ajoute de nouveaux obstacles; où en sommesnous, ô Dieu vivant! et quel effroyable chaos avonsnous mis entre Dieu et nous par nos continuelles rechutes!

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SERMON

POUR LE MARDI

DE LA III. SEMAINE DE CARÊME,

PRECHE A LA COUR.

SUR LA CHARITÉ FRATERNELLE.

Trois préceptes de Jésus-Christ pour établir la concorde parmi les hommes. Ordre que Dieu a établi dans l'union des hommes. Quel est le fondement de l'amour du prochain. Pourquoi si peu d'amitié solide dans le monde. Combien un ami fidèle nous est utile. Dangers des flatteurs. Devoirs de la charité envers le pro

chain.

Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine

in medio eorum.

meo, ibi sum

Où il y a deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je serai là au milieu d'elles. Matt. xvIII. 20.

Ce que dit saint Augustin est très-véritable, qu'il n'y a rien de si paisible ni de si farouche que l'homme; rien de plus sociable par sa nature, ni rien de plus discordant et de plus contredisant par son vice: Nihil est enim quàm hoc genus tam discordiosum vitio, tam sociale natura (1). L'homme étoit (1) De Civ. Dei, lib. x11, c. xxvii, tom. vii, col. 325.

fait pour la paix et il ne respire que la guerre. Il s'est mêlé dans le genre humain un esprit de dissention et d'hostilité qui bannit pour toujours le repos du monde. Ni les lois, ni la raison, ni l'autorité ne sont pas capables d'empêcher que l'on ne voie toujours parmi nous la confiance tremblante et les amitiés incertaines, pendant que les soupçons sont extrêmes, les jalousies furieuses, les médisances cruelles, les flatteries malignes, les inimitiés implacables.

Jésus-Christ s'oppose dans notre Evangile au cours et au débordement de tant de maux, et il y établit la concorde et la société entre les hommes par trois préceptes admirables, qui comprennent les devoirs les plus essentiels de notre mutuelle correspondance. Premièrement il ordonne que l'on s'unisse en son nom, et se déclare le protecteur d'une telle société Ubi fuerint duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum. « Où seront » deux ou trois personnes assemblées en mon nom, » là je serai au milieu d'elles ». En second lieu il nous enseigne de nous corriger mutuellement par des avis charitables: Corripe eum inter te et ipsum solum (1); « Reprenez, dit-il, votre frère entre vous » et lui ». Enfin il commande expressément de pardonner les injures, et il ne donne aucunes bornes à cette indulgence. « Pardonnez, dit-il, les offenses, » je ne dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à sep>> tante fois sept fois », c'est-à-dire, jusqu'à l'infini et sans aucunes limites; usque septuagies septies (2). Je trouve dans ces trois préceptes tout ce qu'il y a

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plus important dans la charité fraternelle : car trois choses étant nécessaires, d'en établir le principe, d'en ordonner l'exercice, d'en surmonter les obstacles, Jésus-Christ établit le principe de l'amitié chrétienne dans l'autorité de son nom : in nomine meo. Il en prescrit le plus noble et le plus utile exercice dans les avertissemens mutuels: Corripe eum. Enfin il en surmonte le plus grand obstacle par le pardon des injures: Non dico tibi usque septies, sed usque septuagies septies. C'est le sujet de ce discours. Entrons d'abord en matière, et montrons avant toutes chose dans le premier point, que Dieu seul est le fondement de toute amitié véritable.

PREMIER POINT.

QUOIQUE l'esprit de division se soit mêlé bien avant dans le genre humain, il ne laisse pas de se conserver au fond de nos cœurs un principe de correspondance et de société mutuelle qui nous rend ordinairement assez tendres, je ne dis pas seulement à la première sensibilité de la compassion, mais encore aux premières impressions de l'amitié. De là naît ce plaisir si doux de la conversation, qui nous fait entrer comme pas à pas dans l'ame les uns des autres. Le cœur s'échauffe, se dilate; on dit souvent plus qu'on ne veut, si l'on ne se retient avec soin; et c'est peut-être pour cette raison que le Sage dit quelque part, si je ne me trompe, que la conversation enivre, parce qu'elle pousse au dehors le secret de l'ame par une certaine chaleur et presque sans qu'on y pense. Par-là nous pouvons comprendre que cette puissance divine, qui a comme partagé la na

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