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» vage » : Qui mollis et dissolutus est in opere suo, frater est sua opera dissipantis (1). Commencez donc quelque chose dans cette sainte assemblée, maintenant que vous êtes sous les yeux de Dieu, à la table de sa céleste vérité, sous l'autorité de sa divine parole; commencez et vous trouverez à la fin la paix de la conscience, et le repos qui ne sera qu'un avant-goût de celui que je vous souhaite dans l'éternité, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

(1) Prov. XVIII. 9.

SERMON

POUR LE SAMEDI

DE LA III. SEMAINE DE CARÊME.

SUR LES JUGEMENS HUMAINS.

Conduite toute extraordinaire de Jésus à l'égard de la femme adultère : leçons qu'il nous y donne. Insolence de l'entreprise de nos jugemens. Quelles sont les actions que nous devons condamner, et celles sur lesquelles nous devons suspendre notre jugement. Dans quel esprit et avec quelle retenue nous sommes obligés de juger nos frères. Combien la bonté est plus propre que la justice à nous pénétrer vivement de nos fautes. Grandeur de celle de Jésus pour nous: sentimens qu'elle doit produire dans nos cœurs.

Nemo te condemnavit? Quæ dixit: Nemo, Domine. Dixit autem Jesus: Nec ego te condemnabo; vade, et jam amplius noli peccare.

Personne ne t'a condamnée, dit Jésus à la femme adultère? Laquelle lui répondit: Personne, Seigneur. Et Jésus lui dit: Je ne te condamnerai pas aussi; va, et dorénavant ne péche plus. Joan. VIII. 10, II.

QUEL

EL est, Messieurs, ce nouveau spectacle? Le juste prend le parti des coupables, le censeur des mœurs dépravées désarme les zélateurs de la loi, élude leur témoignage, arrête toutes leurs pour

sonnes, et je supporte les péchés afin de sauver les pécheurs : « Va donc, et seulement ne péche plus » : Vade, et jam amplius noli peccare.

Voilà, Messieurs, un rapport fidèle de ce que raconte saint Jean dans l'Evangile de cette journée. Quelles seront là-dessus nos réflexions? Je découvre de toutes parts des instructions importantes que nous pouvons tirer de cet Evangile mais il faut réduire toutes nos pensées à un objet fixe et déterminé; et parmi ce nombre infini de choses qui se présentent, voici à quoi je m'arrête. Les deux vices les plus ordinaires et les plus universellement étendus que je vois dans le genre humain, c'est un excès de sévérité, et un excès d'indulgence; sévérité pour les autres, et indulgence pour nous-mêmes. Saint Augustin l'a bien remarqué, et l'a exprimé élégamment en ce petit mot: Curiosum genus ad cognoscendam vitam alienam, desidiosum ad corrigendam suam (1): « Ah! dit-il, que les hommes » sont diligens à reprendre la vie des autres, mais » qu'ils sont lâches et paresseux à corriger leurs » propres défauts » ! Voilà donc deux mortelles maladies qui affligent le genre humain; juger les autres en toute rigueur, se pardonner tout à soi-même; voir le fétu dans l'œil d'autrui, ne voir pas la poutre dans le sien; faire vainement le vertueux par une censure indiscrète, nourrir ses vices effectivement par une indulgence criminelle; enfin n'avoir un grand zèle que pour inquiéter le prochain, et abandonner cependant sa vie à un extrême relâchement dans toutes les parties de la discipline.

(1) Confess. lib. x, cap. 111, tom. x, col. 171.

O Jésus, opposez-vous à ces deux excès, et apprenez aux hommes pécheurs à n'être rigoureux qu'à leurs propres crimes. C'est ce qu'il fait dans notre Evangile; et cette même bonté, qui réprime la licence de juger les autres, éveille la conscience endormie pour juger sans miséricorde ses propres péchés. C'est pourquoi il avertit tout ensemble, et ces accusateurs échauffés qui se rendent inexorables envers le prochain, qu'ils modèrent leur ardeur inconsidérée, et cette femme trop indulgente à ses passions, qu'elle ne donne plus rien à ses sens. Vous, dit-il, pardonnez aux autres, et ne les jugez pas si sévèrement; et vous, ne vous pardonnez rien à vous-même, et désormais ne péchez plus. C'est le sujet de ce discours.

PREMIER POINT.

CETTE censure rigoureuse, que nous exerçons sur nos frères, est une entreprise insolente, et contre les droits de Dieu, et contre la liberté publique. Le jugement appartient à Dieu, parce qu'il est le Souverain; et lorsque nous entreprenons de juger nos frères sans en avoir sa commission, nous sommes doublement coupables, parce que nous nous rendons tout ensemble, et les supérieurs de nos égaux, et les égaux de notre supérieur, violant ainsi par un même attentat, et les lois de la société, et l'autorité de l'empire. Pour nous opposer, si nous le pouvons, à un si grand renversement des choses humaines, il nous faut chercher aujourd'hui des raisons simples et familières, mais fortes et convaincantes.

BOSSUET. XII.

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Pour les exposer avec ordre, distinguons avant toutes choses deux sortes de faits et deux sortes d'hommes que nous pouvons condamner; ou plutôt ne distinguons rien de nous-mêmes, mais écoutons la distinction que nous donne l'apôtre. Il y en a dont les actions sont manifestement criminelles, et d'autres dont les conduites peuvent avoir un bon et un mauvais sens. Il faut aujourd'hui poser des maximes pour bien régler notre jugement dans ces deux rencontres, de peur qu'il ne s'égare et ne se dévoie. Cette distinction est très-importante, et saint Paul n'a pas dédaigné de la remarquer lui-même, écrivant ces mots à saint Timothée : « Il y a des hommes, dit-il, » dont les péchés sont manifestes et précèdent le » jugement que nous en faisons; et aussi il y en a » d'autres qui suivent le jugement » : Quorumdam hominum peccata manifesta sunt, præcedentia ad judicium; quosdam autem et subsequuntur (1).

Ce passage de l'apôtre est assez obscur, mais l'interprétation de saint Augustin nous éclaircira sa pensée. Il y a donc des actions, dit saint Augustin (2), qui portent leur jugement en elles-mêmes et dans leurs propres excès. Par exemple, pour nous restreindre aux termes de notre Evangile, un adultère public c'est un crime si manifeste, que nous pouvons condamner sans témérité ceux qui en sont convaincus; parce que la condamnation que nous en faisons est si clairement précédée par celle qui est empreinte dans la malice de l'acte, que le jugement que nous en portons ne pouvant jamais être

(1) I. Tim. v. 24. (2) De Serm. Dom, in monte, lib. 11, c. xvIII, n. 60, tom. 111, part. 11, col. 225.

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