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ART. 56.

Sont justiciables des conseils de guerre des divisions territoriales en état de paix, pour tous crimes et délits, sauf les exceptions portées au titre IV du présent livre :

1° Les officiers de tous grades, les sous-officiers, caporaux et brigadiers, les soldats, les musiciens et les enfants de troupe;

Les membres du corps de l'intendance militaire ;

Les médecins, les pharmaciens, les vétérinaires militaires et les officiers d'administration;

Les individus assimilés aux militaires par les ordonnances ou décrets d'organisation;

Pendant qu'ils sont en activité de service ou portés présents sur les contrôles de l'armée ou détachés pour un service spécial.

2o Les militaires, les jeunes soldats, les remplaçants, les engagés volontaires et les individus assimilés aux militaires, placés dans les hôpitaux civils et militaires; ou voyageant sous la conduite de la force publique, ou détenus dans les établissements, prisons et pénitenciers militaires ;

3o Les officiers de tous grades et les sous-officiers, caporaux et soldats inscrits sur les contrôles de l'hôtel impérial des Invalides ;

4o Les jeunes soldats laissés dans leurs foyers, et les militaires envoyés en congés illimités, lorsqu'ils sont réunis pour les revues ou exercices prévus par l'article 30 de la loi du 21 mars 1832.

Les prisonniers de guerre sont aussi justiciables des conseils de

guerre.

L'action publique sur laquelle les tribunaux militaires doivent statuer comprend les délits communs aussi bien que les délits militaires; cette pensée se trouve clairement exprimée au premier paragraphe de l'article 56, par les mots pour tous crimes et délits.

La règle générale est donc celle-ci : Les tribunaux militaires sont compétents à l'égard des individus énumérés dans l'article 56, pour tous les crimes et délits qu'ils peuvent commettre, que ces crimes ou délits soient prévus :

Par le Code militaire,

Par les lois de droit commun,

Par les lois militaires.

Les exceptions visées par le paragraphe 1er ont trait à la matière de la complicité (1), et il faut y ajouter les infractions commises par des militaires aux lois sur la chasse, la pêche, les douanes, les contributions indirectes, les octrois, les forêts et la grande voirie. Ces infractions ne sont pas soumises à la juridiction des conseils de guerre (2).

(1) Voir le titre IV, art. 76 à 79, De la compétence en cas de complicité. (2) Voir l'article 273.

Pour mettre de l'ordre dans l'explication de cet article, nous l'analyserons numéro par numéro.

1er NUMÉRO.- Cinq paragraphes composent le 1er numéro de l'article 56.

1er §. Le 1er paragraphe déclare justiciables des conseils de guerre des divisions territoriales, en état de paix, pour tous crimes et délits:

Les officiers de tous grades,

Les sous-officiers,

Les caporaux et brigadiers,

Les soldats,

Les musiciens,

Les enfants de troupe.

A l'égard des musiciens, le Code ne distinguant pas, on doit en conclure que les musiciens gagistes, engagés spécialement, sont justiciables des conseils de guerre aussi bien que les musiciens pris parmi les soldats. La disposition du Code ne peut même s'expliquer qu'en considération des musiciens gagistes, puisque les autres sont justiciables de droit des conseils de guerre, comme soldats.

Avant le Code de 1857, la jurisprudence distinguait entre ces deux sortes de musiciens. Il avait été jugé, d'une part, que l'on doit considérer comme justiciables des conseils de guerre : l'individu qui, incorporé dans un régiment en qualité de soldat, y est gagé comme musicien (1); les élèves trompettes d'une école militaire, portés sur les contrôles de l'armée, payés et entretenus comme soldats (2); et, d'autre part, qu'un musicien gagiste qui n'a été reçu sous les drapeaux, ni comme appelé ni comme remplaçant, n'est pas militaire, et par suite n'est pas justiciable des tribunaux militaires, alors même qu'en contractant avec l'administration du corps, il aurait déclaré se soumettre à cette juridiction (3). La Cour de cassation a toutefois jugé, par un arrêt postérieur, qu'un musicien engagé comme artiste civil,— à raison, par exemple, de ce qu'il serait étranger,-et par une commission d'un caractère provisoire, n'en est pas moins, en cette qualité, justiciable du conseil de guerre, mais qu'il ne peut, en cas d'abandon de son corps, être poursuivi pour délit de désertion (4).

Quant aux enfants de troupe, s'ils sont justiciables des conseils de guerre (5), la question de discernement doit être posée, lorsqu'ils sont âgés de moins de seize ans, par application de la règle du droit commun (6).

2 et 3 §§.- Sont justiciables des conseils de guerre des divisions terri– toriales, en état de paix :

Les membres du corps de l'intendance militaire,

Les médecins militaires,

(4) Cass. crim., 4 avril 1833, affaire ministère public c. Monteliet.

(2) Cass. crim., 2 septembre 1836. Dalloz, Répertoire, vo Organisation militaire, no 850,

t. XXXIV, 2 partie, p. 2054.

(3) Cass. crim., 19 mai 1838, affaire ministère public c. Messenier.

(4) Cass. crim. (rejet), 23 décembre 1859, affaire Blanke.

(5) Il en était ainsi avant le Code de justice militaire. Cour de Douai, 2 janvier 1845.

(6) Voir, plus loin, l'article 132-4°, et son commentaire.

Les pharmaciens militaires,
Les vétérinaires militaires,
Les officiers d'administration.

Ces justiciables font, en effet, partie de l'armée, tant par leurs brevets ou leur commission que par les décrets et ordonnances constitutifs des corps auxquels ils appartiennent. En ce qui concerne l'action judiciaire, leur assimilation est déterminée par le tableau joint au décret du 18 juillet 1857. Que faut-il décider à l'égard des économes des hôpitaux, des aides et des élèves? Ils ne seront justiciables des conseils de guerre, qu'autant qu'ils figureront sur les contrôles de l'armée, la loi ne les désignant pas à un autre titre. Il a été jugé cependant qu'un économe de l'hôpital militaire est justiciable des conseils de guerre, « attendu qu'il était attaché aux armées ou employé à leur suite, en qualité d'économe de l'hôpital militaire.... (1) »

4€ 8. Sont encore justiciables des conseils de guerre des divisions territoriales, en état de paix les individus assimilés aux militaires par les ordonnances ou décrets d'organisation. Il s'agit ici d'assimilés militaires, c'està-dire d'individus appartenant à l'armée en vertu de la loi du recrutement, de leur engagement, de leur brevet ou de leur commission.

Le Code de 1857 n'énumère pas ces individus assimilés. On en trouvait une nomenclature dans la loi du 13 brumaire an v, qui réputait justiciables des conseils de guerre, comme attachés à l'armée :

1o Les voituriers, charretiers, muletiers et conducteurs de charrois, employés au transport de l'artillerie, bagages, vivres et fourrages de l'armée, dans les marches, camps, cantonnements, et pour l'approvisionnement des places en état de siége;

2o Les ouvriers suivant l'armée;

3o Les gardes-magasins d'artillerie, ceux des vivres et fourrages, pour les distributions, soit au camp, soit dans les cantonnements, soit dans les places en état de siége;

4° Tous les préposés aux administrations pour le service des troupes; 50 Les secrétaires-commis et écrivains des administrateurs, et ceux des états-majors;

6o Les agents de la trésorerie près les armées;

7° Les commissaires des guerres;

8° Les individus chargés de l'établissement et de la levée des réquisitions pour le service ou l'approvisionnement des armées, et ceux préposés à la répartition et perception des contributions militaires;

9o Les médecins, chirurgiens et infirmiers des hôpitaux militaires et ambulances, les aides ou élèves des chirurgiens desdits hôpitaux et ambulances (2);

10o Les vivandiers, les munitionnaires et boulangers de l'armée;

11o Les domestiques au service des officiers et des employés à la suite de l'armée.

Cette liste de la loi du 13 brumaire an v peut convenir encore aux con

(4) Cass. crim., 3 mess. an v, affaire Richard. Dalloz, Répertoire, loc. cit., n° 851, p. 2051. (2) Voir, plus haut, §§ 2 et 3 du n° 4er de cet article 56.

seils de guerre aux armées; mais elle ne peut plus recevoir d'application en ce qui touche la compétence des conseils de guerre permanents.

Le tableau annexé au décret du 18 juillet 1857 contient l'énumération des individus qui, dans l'armée de terre, doivent aujourd'hui être considérés comme assimilés aux militaires. Ce sont :

1o Les membres de l'intendance;

2o Les officiers de santé, médecins ou pharmaciens (1);

3o Les officiers d'administration militaire du service, ce qui comprend : les officiers d'administration des hôpitaux militaires, des subsistances militaires, de l'habillement et du campement, de la justice militaire, des bureaux de l'intendance militaire;

4o Les vétérinaires militaires;

5o Les gardes d'artillerie, du génie, des équipages militaires;

6o Les employés divers dans les corps et établissements militaires, tels que les maîtres-artificiers, chefs-ouvriers d'état, contrôleurs principaux des manufactures d'armes, chefs-artificiers, sous-chefs-ouvriers d'état, contrôleurs de 2 ou de 1re classe dans les manufactures, directions ou fonderies, ouvriers d'état, chefs-armuriers de 2° ou de tre classe, gardiens de batterie de 2o ou de 1re classe, maîtres-ouvriers immatriculés, ouvriers immatriculés, portiers-consignes, portiers-concierges, éclusiers et tous autres agents y assimilés ;

7° Les interprètes militaires;

8° Les aumôniers militaires aux armées actives....

Il a été jugé que les individus remplissant une fonction du département de la guerre, en vertu d'une commission du ministre, ne sont pas, par cela seul, justiciables de la juridiction militaire; la loi exige, de plus, pour qu'il en soit ainsi, que leur emploi ait été assimilé aux fonctions militaires par une ordonnance ou un décret d'organisation; que, toutefois, il n'est pas nécessaire que l'assimilation résulte d'un décret spécial, et par suite, les fonctionnaires ou employés dénommés au décret du 18 juillet 1857 qui règle la correspondance des grades et rangs pour le jugement des assimilés, doivent être déclarés justiciables des tribunaux militaires, alors même que l'assimilation admise par le décret serait, à leur égard, une disposition nouvelle, et non le rappel d'une disposition d'un décret d'organisation; qu'il en est ainsi, spécialement, des portiers-consignes des bâtiments militaires, dont la mention au décret du 18 juillet 1857 concerne les individus remplissant cet emploi en vertu d'une commission du ministre de la guerre, et non les militaires détachés de leur corps pour en faire les fonctions (2).

La loi du 23 fructidor an vii, sur le personnel de la guerre (Art. 5), et le décret du 24 décembre 1811, sur l'organisation et le service des états-majors des places (Art. 6), ont rangé les portiers des villes de guerre parmi les membres des états-majors de place, et leur ont donné un grade militaire. Leur position est restée la même sous l'empire du décret du 13 octobre 1863 relatif au service dans les places de guerre (Art. 33 et suiv.). D'où la

(4) Voir, plus haut, §§ 2 et 3 du n° 4°r de cet article 56.

(2) Cass. crim., 24 février 1860, affaire Collignon. Dalloz, R.P.1860, 1, p. 197 et Répertoire, To Organisation militaire, no 853, t. XXXIV, 2o partie, p. 2052.

conséquence qu'ils ne sont pas seulement attachés à l'armée, mais qu'ils sont même militaires (1).

Commissionnés par le ministre de la guerre, les concierges des prisons militaires sont au nombre des employés militaires, et par conséquent justiciables des conseils de guerre; mais les concierges des prisons civiles nommés par l'autorité administrative et qui ne recevraient qu'accidentellement des militaires dans les prisons dont la garde leur est confiée, ne doivent à aucun point de vue être considérés comme des employés militaires, et dès lors ne peuvent être poursuivis que devant la juridiction ordinaire (2).

Les femmes qui suivent les armées sont-elles soumises à la juridiction militaire? Cette question, soulevée à propos des vivandières et des blanchisseuses, a divisé les auteurs avant le Code de 1857 (3). Depuis ce Code, elle a été tranchée par une distinction. On distingue, en effet, si les vivandières, blanchisseuses, etc., sont attachées aux corps d'armée à l'intérieur ou aux armées actives. Les premières ne sont pas justiciables de la juridiction militaire, aucun texte n'ayant assimilé aux militaires les femmes à la suite de l'armée à l'intérieur (4).

Pour en revenir au 40 paragraphe du no 1er de cet article, la règle est donc qu'il n'y a d'assimilés aux militaires, que ceux qui ont été déclarés tels par une ordonnance ou par un décret. Que si l'on s'étonne que de simples ordonnances ou de simples décrets émanés du pouvoir exécutif puissent avoir la force légale de soumettre à la juridiction militaire les corps qu'ils constituent et les hommes qui en font partie, on répondra, avec la Cour de cassation, que le droit public du pays a accordé au chef de l'État, tant en qualité de chef suprême de l'armée que comme commandant les forces de terre et de mer, le droit de créer des corps militaires et d'organiser militairement les parties du service qui peuvent en être susceptibles, sans que l'intervention du pouvoir législatif soit nécessaire pour cet objet, qui est de pure administration (5).

5. Les individus indiqués dans les quatre premiers paragraphes de l'article 56 sont justiciables des conseils de guerre des divisions territoriales en état de paix, pendant qu'ils sont en activité de service ou portés présents sur les contrôles de l'armée ou détachés pour un service spécial (6).

L'activité est la position de l'officier appartenant à l'un des cadres constitutifs de l'armée, pourvu d'emploi, et de l'officier hors cadre employé

(4) Voir Chauveau-Adolphe et Faustin Helie, Théorie du Code pénal, t. I, p. 73: Le Sellyer, Traité du droit criminel, etc., no 1794. M. Legraverend distingue, pour les portiers-consignes des places de guerre, entre les délits concernant leur service et les délits étrangers à ce service, et il restreint à la connaissance des premiers la compétence des conseils de guerre. Traité de la procédure criminelle devant les tribunaux militaires, etc. Voir, sur ce point, l'arrêt du 16 prairial an VIII, Cass. crim., affaire Pouillon.

(2) Arrêté du 15 nivôse an v; décret du 29 août 1854; décret du 48 juillet 1857. Voir Dalloz, Répertoire, loc. cit., p. 2054.

(3) Voir, à ce sujet, un décret des 30 avril-3 mai 1793; une ordonnance du 14 avril 4832; un arrêt de la Cour de cassation, ch. crim., du 44 juin 1847, affaire Caphio. Voir aussi Legraverend, lib. cit., t. II, p. 647.

(4) Voir, plus loin, l'article 62 du Code de justice militaire, et son commentaire.

(5) Arrêt du 24 juin 1833.

(6) Voir, plus loin, les articles 57 et 58, et leur commentaire.

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