Images de page
PDF
ePub

SGANARELLE.

Quoi! ce n'est pas... Vous ne... Votre... (à part.) quel homme ! quel homme! quel homme!

DON JUAN.

Non, non, je ne suis point changé, et mes sentiments sont toujours les mêmes.

SGANARELLE.

Vous ne vous rendez pas à la surprenante merveille de cette statue mouvante et parlante?

DON JUAN.

Il y a bien quelque chose là-dedans que je ne comprends pas: mais quoi que ce puisse être, cela n'est pas capable ni de convaincre mon esprit ni d'ébranler mon ame; et si j'ai dit que je voulois corriger ma conduite, et me jeter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ai formé par pure politique, un stratagême.utile, une grimace nécessaire où je veux me contraindre, pour ménager un pere dont j'ai besoin, et me mettre à couvert, du côté des hommes, de cent fâcheuses aventures qui pourroient m'arriver. Je veux bien, Sganarelle, t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un témoin des véritables motifs qui m'obligent à faire les choses.

SGANARELLE.

Quoi! toujours libertin et débauché, vous voulez cependant vous ériger en homme de bien ?

DON JUAN.

Et pourquoi non ? il y en a tant d'autres comme moi qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même masque pour abuser le monde !

SGANANELLE, à part.

Ah! quel homme! quel homme!

DON JUAN.

Il n'y a plus de honte maintenant à cela : l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. La profession d'hypo

crite a de merveilleux avantages. C'est un art de qui l'imposture est toujours respectée ; et, quoiqu'on la découvre, on n'ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement; mais l'hypocrisie est un vice privilégié qui de sa main ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroité avec tous les gens du parti. Qui en choque un se les attire tous sur les bras ; et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connoît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont le plus souvent les dupes des autres : ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j'en connoisse qui, par ce stratagême, ont r'habillé adroitement les désordres de leur jeunesse, et, sous un dehors respecté, ont la permission d'être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues, et les connoître pour ce qu'ils sont : ils ne laissent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, deux roulements d'yeux, rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire. C'est sous cet abri favorable que je veux mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes; mais j'aurai soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute ma cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c'est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout le monde, et n'aurai bonne opinion que de moi. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais, et

garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur de la vertu opprimée; et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connoissance de cause, crieront contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C'est ainsi qu'il faut profiter des foiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siecle.

SGANARELLE.

O ciel! qu'entends-je ici! Il ne vous manquoit plus que d'être hypocrite pour vous achever de tout point, et voilà le comble des abominations. Monsieur, cette derniere-ci m'emporte, et je ne puis m'empêcher de parler. Faites-moi tout ce qu'il vous plaira; battezmoi, assommez-moi de coups, tuez-moi si vous voulez; il faut que je décharge mon cœur et qu'en valet fidele je vous dise ce que je dois. Sachez, monsieur, que tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle se brise; et, comme dit fort bien cet auteur que je ne connois pas, l'homme est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche; la branche est attachée à l'arbre; qui s'attache à l'arbre suit de bons préceptes; les bons préceptes valent mieux que les belles paroles; les belles paroles se trouvent à la cour; à la cour sont les courtisans ; les courtisans suivent la mode; la mode vient de la fantaisie; la fantaisie est une faculté de l'ame; l'ame est ce qui nous donne la vie; la vie finit par la mort... et.... songez à ce que vous de

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Après cela, si vous ne vous rendez, tant pis pour

vous..

SGANAR ELLE

[ocr errors]

SCENE III..

DON CARLOS, DON JUAN, SGANARELLE.

DON CARLOS.

Don Juan, je vous trouve à propos, et suis bien aise de vous parler ici plutôt que chez vous, pour vous demander vos résolutions. Vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis en votre présence chargé de cette affaire. Pour moi, je ne le cele point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur; et il n'y a rien que je ne fasse pour porter votre esprit à vouloir prendre cette voie, et pour vous voir publiquement confirmer à ma sœur le nom de votre femme.

DON JUAN, d'un ton hypocrite.

Hélas! je voudrois bien de tout mon cœur vous donner la satisfaction que vous souhaitez : mais le ciel s'y oppose directement, il a inspiré à mon ame le dessein de changer de vie ; et je n'ai point d'autres pensées maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plutôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désormais par une austere conduite tous les déréglements criminels où m'a porté le feu d'une aveugle jeunesse,

DON CARLOS.

Ce dessein, don Juan, ne choque point ce que je dis; et la compagnie d'une femme légitime peut bien s'accommoder avec les louables pensées que le ciel vous inspire.

DON JUAN.

Hélas! point du tout. C'est un dessein que votre soeur elle-même a pris; elle a résolu sa retraite, et nous avons été touchés tous deux en même temps.

DON CARLOS.

Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant être imputée au mépris que vous feriez d'elle et de notre famille ; et notre honneur demande qu'elle vive aveo

vous.

DON JUAN.

Je vous assure que cela ne se peut. J'en avois, pour moi, toutes les envies du monde ; et je me suis, même encore aujourd'hui, conseillé au ciel pour cela : mais lorsque je l'ai consulté, j'ai entendu une voix qui m'a dit que je ne devois point songer à votre sœur, et qu'avec elle assurément je ne ferois point mon salut.

DON CARLOS.

Croyez-vous, don Juan, nous éblouir par ces belles excuses?

DON JUAN.

J'obéis à la voix du ciel.

DON CARLOS.

Quoi! vous voulez que je me paie d'un semblable discours ?

DON JUAN.

C'est le ciel qui le veut ainsi.

DON CARLOS.

Vous aurez fait sortir ma sœur d'un couvent, pour la laisser ensuite ?

[ocr errors][merged small][merged small]

Nous souffrirons cette tache en notre famille? ・・

DON JUAN.

Prenez-vous-en au ciel.

DON CARLOS.

Hé quoi! toujours le ciel !

DON JUAN.

Le ciel le souhaite comme cela.

« PrécédentContinuer »