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Et, s'il avoit mon cœur, à dire vérité,

Il tourneroit ses vœux tout d'un autre côté;

Et, par un choix plus juste, on le verroit, madame, Profiter des bontés que lui montre votre ame.

ÉLIANTE.

Pour moi, je n'en fais point de façons ; et je croi
Qu'on doit sur de tels points être de bonne foi,
Je ne m'oppose point à toute sa tendresse :
Au contraire, mon cœur pour elle s'intéresse;
Et si c'étoit qu'à moi la chose pût tenir,

Moi-même à ce qu'il aime on me verroit l'unir.
Mais si, dans un tel choix, comme tout se peut faire,
Son amour éprouvoit quelque destin contraire,
S'il falloit que d'un autre on couronnât les feux,
Je pourrois me résoudre à recevoir ses vœux;
Et le refus souffert en pareille occurrence
Ne m'y feroit trouver aucune répugnance.·

PHILINTE

Et moi, de mon côté, je ne m'oppose pas,
Madame,
ces bontés qu'ont pour lui vos appas;
Et lui-même, s'il vent, il peut bien vous instruire
De ce que là-dessus j'ai pris soin de lui dire.

Mais si, par un hymen qui les joindroit eux deux,
Vous étiez hors d'état de recevoir ses vœux,
Tous les miens tenteroient la faveur éclatante
Qu'avec tant de bonté votre ame lui présente :
Heureux si, quand son cœur s'y pourra dérober,
Elle pouvoit sur moi, madame, retomber !

ÉLIANTE.

Vous vous divertissez, Philinte.

PHILINTE

Non, madame,

Et je vous parle ici du meilleur de mon ame.
J'attends l'occasion de m'offrir hautement,
Et, de tous mes souhaits, j'en presse le moment.

SCENE II.

ALCESTE, ÉLIANTE, PHILINTE.

ALCESTE.

Ah! faites-moi raison, madame, d'une offense
Qui vient de triompher de toute ma constance.

ÉLIANTE.

Qu'est-ce done? Qu'avez-vous qui vous puisse émou

voir ?

ALCESTE.

J'ai ce que, sans mourir, je ne puis concevoir;
Et le déchaînement de toute la nature

Ne m'accableroit pas comme cette aventure.
C'en est fait... Mon amour... Je ne saurois parler. `

ÉLIANTE.

Que votre esprit, un peu, tâche à se rappeler.

ALCESTE.

O juste ciel! faut-il qu'on joigne à tant de graces
Les vices odieux des ames les plus basses!

ÉLIANTE.

Mais encor, qui vous peut...

ALCESTE,

Ah! tout est ruiné;

Je suis, je suis trahi, je suis assassiné!

Célimene... eût-on pu croire cette nouvelle?
Célimene me trompe, et n'est qu'une infidele.
ÉLIANTE,

Avez-vous, pour le croire, un juste fondement?

PHILINTE

Peut-être est-ce un soupçon concu légèrement;
Et votre esprit jaloux prend, par fois, des chimeres...

ALCESTE.

Ah! morbleu! mêlez-vous, monsieur, de vos affaires.

( à Eliante.)

C'est de sa trahison n'être que trop certain.

Que l'avoir, dans ma poche, écrite de șa main.
Oni, madame, une lettre écrite pour Oronte
A produit à mes yeux ma disgrace et sa honte;
Oronte, dont j'ai cru qu'elle fuyoit les soins,
Et que de mes rivaux je redoutois le moins!

PHILINTE.

Une lettre peut bien tromper par l'apparence,
Et n'est pas quelquefois si coupable qu'on pense.

ALCESTE.

Monsieur, encore un coup, laissez-moi, s'il vous plaît, Et ne prenez souci que de votre intérêt.

ÉLIANTE.

Vous devez modérer vos transports; et l'outrage...

ALCESTE.

Madame, c'est à vous qu'appartient cet ouvrage;
C'est à vous que mon cœur a recours aujourd'hui
Pour pouvoir s'affranchir de son cuisant ennui.
Vengez-moi d'une ingrate et perfide parente
Qui trahit lâchement une ardeur si constante;
Vengez-moi de ce trait qui doit vous faire horreur.
ÉLIANTE,
Moi, vous venger! comment?

ALCESTE.

En recevant mon cœur.

Acceptez-le, madame, au lieu de l'infidele:

C'est par-là que je puis prendre vengeance d'elle;
Et je la veux punir par les sinceres vœux,
Par le profond amour, les soins respectueux,
Les devoirs empressés et l'assidu service,
Dont ce cœur va vous faire un ardent sacrifice.
ÉLIANTE.

Je compatis, sans doute, à ce que vous souffrez,

Et ne méprise point le cœur que vous m'offrez
Mais peut-être le mal n'est pas si grand qu'on pense,
Et vous pourrez quitter ce desir de vengeance.
Lorsque l'injure part d'un objet plein d'appas,

On fait force desseins qu'on n'exécute pas:

On a beau voir, pour rompre, une raison puissante;
Une coupable aimée est bientôt innocente:

Tout le mal qu'on lui veut se dissipe aisément,
Et l'on sait ce que c'est qu'un courroux d'un amant.

ALCESTE.

Non, non, madame, non; l'offense est trop mortelle,
Il n'est point de retour, et je romps avec elle;
Rien ne sauroit changer le dessein que j'en fais,
Et je me punirois de l'estimer jamais.

La voici. Mon courroux redouble à cette approche.
Je vais de sa noirceur lui faire un vif reproche,
Pleinement la confondre, et vous porter, après,
Un cœur tout dégagé de ses trompeurs attraits.

SCENE III.

CELIMENE, ALCESTE.

ALCESTE, à part.

O ciel de mes transports puis-je être ici le maître?

(à part.)

CÉLIMENE.

(à Alceste.)

Onais! Quel est donc le trouble où je vous vois paroître?
Et que me veulent dire et ces soupirs poussés,
Et ces sombres regards que sur moi vous lancez ?

ALCESTE.

Que toutes les horreurs dont une ame est capable
A vos déloyautés n'ont rien de comparable;
Que le sort, les démons, et le ciel en courroux,
N'ont jamais rien produit de si méchant que vous.

CÉLIMENE.

Voilà certainement des douceurs que j'admire.

ALCESTE.

Ah! ne plaisantez point; il n'est pas temps de rire
Rougissez bien plutôt, vous en avez raison;

Et j'ai de sûrs témoins de votre trahison.
Voilà ce que marquoient les troubles de mon ame:
Ce n'étoit pas en vain que s'alarmoit ma flamme.
Par ces fréquents soupçons qu'on trouvoit odieux
Je cherchois le malheur qu'ont rencontré mes yeux;
Et, malgré tous vos soins et votre adresse à feindre,
Mon astre me disoit ce que j'avois à craindre.
Mais ne présumez pas que, sans être vengé,
Je souffre le dépit de me voir outrage.

Je sais que sur les vœux on n'a point de puissance,
Que l'amour veut par-tout naître sans dépendance,
Que jamais par la force on n'entra dans un cœur,
Et que toute ame est libre à nommer son vainqueur:
Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche avoit parlé sans feinte;
Et, rejetant mes vœux dès le premier abord,

Mon cœur n'auroit eu droit de s'en prendre qu'au

sort.

I

Mais d'un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,
C'est une trahison, c'est une perfidie,

Qui ne sauroit trouver de trop grands châtiments;
Et je puis tout permettre à mes ressentiments.
Oui, oui, redoutez tout après un tel outrage;
Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage:
Percé du coup mortel dont vous m'assassinez,
Mes sens par la raison ne sont plus gouvernés;
Je cede aux mouvements d'une juste colere,
Et je ne réponds pas de ce que je puis faire.
CÉLIMENE.

D'où vient donc, je vous prie, un tel emportement?
Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement?

ALCESTE.

Oui, oui, je l'ai perdu, lorsque dans votre vue
J'ai pris, pour mon malheur, le poison qui me tue,
Et que j'ai cru trouver quelque sincérité
Dans les traîtres apnas dont je fus enchanté.

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