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ISIDOR E.

Je ne suis pas comme ces femmes qui veulent, en se faisant peindre, des portraits qui ne sont point elles, et ne sont point satisfaites du peintre, s'il ne les fait toujours plus belles qu'elles ne sont. Il faudroit, pour les contenter, ne faire qu'un portrait pour toutes: car toutes demandent les mêmes choses; un teint tout de lis et de roses, un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus, et sur-tout le visage pas plus gros que le poing l'eussent-elles d'un pied de large. Pour moi, je vous demande un portrait qui soit moi, et qui n'oblige point à demander qui c'est.

ADRASTE.

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Il seroit mal-aisé qu'on demandât cela du vôtre; et vous avez des traits à qui fort peu d'autres ressemblent. Qu'ils ont de douceur et de charmes! et qu'on court risque à les peindre!

DON PEDRE.

Le nez me semble un peu trop gros.

ADRASTE.

J'ai lu, je ne sais où, qu'Apelle peignit autrefois une maîtresse d'Alexandre, d'une merveilleuse beauté, et qu'il en devint, la peignant, si éperdument amoureux, qu'il fut près d'en perdre la vie; de sorte qu'Alexandre par générosité lui céda l'objet de ses vœux. (à don Pedre.) Je pourrois faire ici ce qu'Apelle fit autrefois; mais vous ne feriez pas peut-être ce que fit Alexandre.

(Don Pedre fait la grimace.)

ISIDORE, à don Pedre.

Tout cela sent la nation; et toujours messieurs les François ont un fonds de galanterie qui se répand par-tout.

ADRASTE.

On ne se trompe guere à ces sortes de choses et

vous avez l'esprit trop éclairé pour ne pas voir de quelle source partent les choses qu'on vous dit. Oui, quand Alexandre seroit ici, et que ce seroit votre amant, je ne pourrois m'empêcher de vous dire que je n'ai rien vu de si beau que ce que je vois maintenant, et que...

DON PEDRE.

Seigneur François, vous ne devriez pas, ce me semble, tant parler; cela vous détourne de votre ouvrage.

ADRASTE.

Ah! point du tout. J'ai toujours coutume de parler quand je peins; et il est besoin dans ces choses d'un peu de conversation pour réveiller l'esprit et tenir les visages dans la gaieté nécessaire aux personnes que l'on veut peindre.

SCENE XIII.

HALI, vétu en Espagnol; DON PEDRE,
ADRASTE, ISIDORE.

DON PEDRE.

Que veut dire cet homme-là ? Et qui laisse monter les gens sans nous en avertir?

HALI, à don Pedre.

J'entre ici librement; mais entre cavaliers telle liberté est permise. Seigneur, suis-je connu de vous ?

Non, seigneur.

DON PEDRE.

HALI.

Je suis don Gilles d'Avalos; et l'histoire d'Espagne vous doit avoir instruit de mon mérite.

DON PEDRE.

Souhaitez-vous quelque chose de moi?

HALI.

Oui, un conseil sur un fait d'honneur. Je sais qu'en ces matieres il est mal-aisé de trouver un cava

lier plus consommé que vous. Mais je vous demande pour grace que nous nous tirions à l'écart.

DON PEDRE.

Nous voilà assez loin.

ADRASTE, à don Pedre qui le surprend
parlant bas à Isidore.

J'observois de près la couleur de ses yeux. tirant don Pedre pour l'éloigner d'Adraste et d'Isidore.

HALI,

Seigneur, j'ai reçu un soufflet. Vous savez ce qu'est un soufflet, lorsqu'il se donne à main ouverte sur le beau milieu de la joue. J'ai ce soufflet fort sur le cœur; et je suis dans l'incertitude si, pour me venger de l'affront, je dois me battre avec mon homme, ou bien le faire assassiner.

DON PEDRE.

Assassiner, c'est le plus sûr et le plus court cherain. Quel est votre ennemi?

HALI.

Parlons bas, s'il vous plaît.

(Hali tient don Pedre, en lui parlant, de fa con qu'il ne peut voir Adraste.)

ADRASTE, aux genoux d'Isidore, pendant que don Pedre et Hali parlent bas ensemble.

Oui, charmante Isidore, mes regards vous le disent depuis plus de deux mois, et vous les avez entendus: je vous aime plus que tout ce que l'on peut aimer; et je n'ai point d'autre pensée, d'autre but, d'autre passion, que d'être à vous toute ma vie.

ISIDORE.

Je ne sais si vous dites vrai, mais vous persuadez.

ADRASTE.

Mais vous persuadé-je jusqu'à vous inspirer quelque peu de bonté pour moi?

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ADRASTE.

En aurez-vous assez pour consentir, belle Isidore, au dessein que je vous ai dit?

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Ah! quand on aime bien, on se résout bientôt.

ISIDORE.

Hé bien! allez; oui, j'y consens.

ADRASTE.

Mais consentez-vous, dites-moi, que ce soit dès ce moment même ?

ISIDORE.

Lorsqu'on est une fois résolu sur la chose, s'arrête-t-on sur le temps?

DON PEDRE, à Hali.

Voilà mon sentiment, et je vous baise les mains.

HALI.

Seigneur, quand vous aurez reçu quelque soufflet, je suis homme aussi de conseil; et je pourrai vous rendre la pareille.

DON PEDRE.

Je vous laisse aller sans vous reconduire; mais entre cavaliers cette liberté est permise.

ADRASTE, à Isidore.

Non, il n'est rien qui puisse cffacer de mon cœur les tendres témoignages...

(à don Pedre appercevant Adraste qui parle de près à Isidore.)

Je regardois ce petit trou qu'elle a au côté du mentou; et je croyois d'abord que ce fût une tache. Mais c'est assez pour aujourd'hui, nous finirons une autre

fois. (à don Pedre, qui veut voir le portrait.) Non, ne regardez rien encore; faites serrer cela, je vous prie. (à Isidore.) Et vous, je vous conjure de ne vous relâcher point, et de garder un esprit gai, pour le dessein que j'ai d'achever notre ouvrage.

ISIDOR E.

Je conserverai pour cela toute la gaieté qu'il faut.

SCENE XIV.

DON PEDRE, ISIDORE.

ISIDORE.

Qu'en dites-vous? Ce gentilhomme me paroît le plus civil du monde; et l'on doit demeurer d'accord que les François ont quelque chose en eux de poli, de galant, que n'ont point les autres nations.

DON PEDRE.

Oui mais ils ont cela de mauvais, qu'ils s'émancipent un peu trop, et s'attachent en étourdis à conter des fleurettes à toutes celles qu'ils rencontrent.

ISIDORE.

C'est qu'ils savent qu'on plaît aux dames par ces choses.

DON PEDRE.

Oui: mais s'ils plaisent aux dames, ils déplaisent fort aux messieurs: et l'on n'est point bien aise de voir sous sa moustache cajoler hardiment sa femme ou sa maîtresse.

ISIDORE.

Ce qu'ils en font n'est que par jeu.

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