Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux ames vertueuses. De cette complaisance on voit l'injuste excès Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès.
Au travers de son masque on voit à plein le traître, Par-tout il est connu pour tout ce qu'il peut être ; Et ses roulements d'yeux et son ton radouci N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici. On sait que ce pied-plat, digne qu'on le confonde, Par de sales emplois s'est poussé dans le monde; Et que par eux son sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite et rougir la vertu.
Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne,
Son misérable honneur ne voit pour lui personne: Nommez-le fourbe, infàme, et scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n'y contredit. Cependant sa grimace est par-tout bien venue, On l'accueille, on lui rit, par-tout il s'insinue; Et s'il est par la brigue un rang à disputer, Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter. Têtebleu! ce me sont de mortelles blessures De voir qu'avec le vice on garde des mesures; Et par fois il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l'approche des humains.
Mon dieu! des moeurs du temps mettons-nous moins en peine,
Et faisons un peu grace à la nature humaine; Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. Il faut parmi le monde une vertu traitable; A force de sagesse on peut être blâmable: La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Cette grande roideur des yertus des vieux âges Heurte trop notre siecle et les communs usages; Elle veut aux mortels trop de perfection: Il faut fléchir au temps sans obstination; Et c'est une folie, à nulle autre seconde, De vouloir se mêler de corriger le monde. J'observe, comme vous, cent choses tous les jours Qui pourroient mieux aller prenant un autre cours; Mais, quoi qu'à chaque pas je puisse voir paroître, En courroux, comme vous, on ne me voit point être. Je prends tout doucement les hommes comme ils sont, J'accoutume mon ame à souffrir ce qu'ils font; Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville, Mon flegme est philosophe autant que votre bile.
Mais ce flegme, monsieur qui raisonnez si bien, Ce flegme pourra-t-il ne s'échauffer de rien? Et s'il faut par hasard qu'un ami vous trahisse, Que pour avoir vos biens on dresse un artifice, Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous, Verrez-vous tout cela sans vous mettre en courroux?
Oui: je vois ces défauts, dont votre ame murmure, Comme vices unis à l'humaine nature;
Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.
Je me verrai trahir, mettre en pieces, voler, Sans que je sois... Morbleu! je ne veux point parler, Tant ce raisonnement est plein d'impertinence!
Ma foi, vous feriez bien de garder le silence. Contre votre partie éclatez un peu moins,
Et donnez au procès une part de vos soins.
Je n'en donnerai point, c'est une chose dite. PHILINTE.
Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ?
Qui je veux? La raison, mon bon droit, l'équité.
Auçun juge par vous ne sera visité?
Non. Est-ce que ma cause est injuste ou douteuse? PHILINTE.
J'en demeure d'accord: mais la brigue est fâcheuse,
Non, j'ai résolu de n'en pas faire un pas.
J'ai tort, ou j'ai raison.
Votre partie est forte,
Et peut, par sa cabale, entraîner...
Soit. J'en veux voir le succès. PHILINTE
J'aurai le plaisir de perdre mon procès.
Je verrai dans cette plaiderie
Si les hommes auront assez d'effronterie, Seront assez méchants, scélérats et pervers, Pour me faire injustice aux yeux de l'univers.
Je voudrois, m'en coûtât-il grand'chose, Pour la beauté du fait, avoir perdu ma cause.
On se riroit de vous, Alceste, tout de bon, Si l'on vous entendoit parler de la façon.
Tant pis pour qui riroit.
Que vous voulez en tout avec exactitude, Cette pleine droiture où vous vous renfermez,' La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez?
Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le semble, Vous et le genre humain si fort brouillés ensemble, Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux, Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux; Et ce qui me surprend encore davantage, C'est cet étrange choix où votre cœur s'engage. La sincere Eliante a du penchant pour vous, La prude Arsinoé vous voit d'un œil fort doux; Cependant à leurs vœux votre ame se refuse, Tandis qu'en ses liens Célimene l'amuse,
De qui l'humeur coquette et l'esprit médisant Semblent si fort donner dans les mœurs d'à-présent. D'où vient que, leur portant une haine mortelle, Vous pouvez bien souffrir ce qu'en tient cette belle ? Ne sont-ce plus défauts dans un objet si doux? Ne les voyez-vous pas, ou les excusez-vous?
Non: l'amour que je sens pour cette jeune veuve Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve ;
Et je suis, quelque ardeur qu'elle m'ait pu donner, Le premier à les voir, comme à les condamner. Mais, avec tout cela, quoi que je puisse faire, Je confesse mon foible; elle a l'art de me plaire: J'ai bean voir ses défauts, et j'ai beau l'en blamer, En dépit qu'on en ait elle se fait aimer,
Sa grace est la plus forte; et sans doute ma flamme De ces vices du temps pourra purger son ame.
Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu. Vous croyez être donc aimé d'elle?
Je ne l'aimerois pas si je ne croyois l'être.
Mais, si son amitié pour vous se fait paroître, D'où vient que vos rivaux vous causent de l'ennui?
C'est qu'un cœur bien atteint veut qu'on soit tout à lui; Et je ne viens ici qu'à dessein de lui dire Tout ce que là-dessus ma passion m'inspire. PHILINTE
Pour moi, si je n'avois qu'à former des desirs, Sa cousine Eliante auroit tous mes soupirs; Son cœur, qui vous estime, est solide et sincere Et ce choix plus conforme étoit mieux votre affaire.
Il est vrai; ma raison mé le dit chaque jour: Mais la raison n'est pas ce qui regle l'amour. PHILINTE
Je crains fort pour vos feux; et l'espoir où vous êtes Pourroit...
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