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N'ont pas toujours rendu de ces fameux services;
Il faut l'occasion ainsi que le pouvoir.

Et le mérite enfin que vous nous faites voir
Devroit...

ALCESTE.

Mon dieu! laissons mon mérite, de grace; De quoi voulez-vous là que la cour s'embarrasse ? Elle auroit fort à faire, et ses soins seroient grands D'avoir à déterrer le mérite des gens.

ARSINOÉ.

Un mérite éclatant se déterre lui-même.

Du vôtre, en bien des lieux, on fait un cas extrême; Et vous saurez de moi qu'en deux fort bous endroits Vous fûtes hier loué par des gens d'un grand poids.

ALCESTE.

Hé! madame, l'on loue aujourd'hui tout le monde,
Et le siecle par-là n'a rien qu'on ne confonde.
Tout est d'un grand mérite également doué;
Ce n'est plus un honneur que de se voir loué:
D'éloges on regorge, à la tête on les jette,

Et mon valet-de-chambre est mis dans la gazette.

ARSINOÉ.

Pour moi, je voudrois bien que, pour vous montrer mieux,

Une charge à la cour vous pût frapper les yeux.
Pour peu que d'y songer vous nous fassiez les mines,
On peut, pour vous servir, remuer des machines;
Et j'ai des gens en main que j'emploierai pour vous,
Qui vous feront à tout un chemin assez doux.

ALCESTE.

Et que voudriez-vous, madame, que j'y fisse ?
L'humeur dont je me sens veut que je m'en bannissc;
Le ciel ne m'a point fait, en me donnant le jour,
Une ame compatible avec l'air de la cour.
Je ne me trouve point les vertus nécessaires
Pour y bien réussir et faire mes affaires :

Etre franc et sincere est mon plus grand talent:
Je ne sais point jouer les hommes en parlant;
Et qui n'a pas le don de cacher ce qu'il pense
Doit faire en ce pays fort peu de résidence.
Hors de la cour, sans doute, on n'a pas cet appui
Et ces titres d'honneur qu'elle donne aujourd'hui
Mais on n'a pas aussi, perdant ces avantages,
Le chagrin de jouer de fort sots personnages;
On n'a point à souffrir mille rebuts cruels;
On n'a point à louer les vers de messieurs tels♦
A donner de l'encens à madame une telle,
Et de nos francs marquis essuyer la cervelle.

ARSIN OE.

Laissons, puisqu'il vous plaît, ce chapitre de cour: Mais il faut que mon cœur vous plaigne en votre

amour;

Et pour vous découvrir là-dessus mes pensées,
Je souhaiterois fort vos ardeurs mieux placées.
Vous méritez sans doute un sort beaucoup plus
doux,

Et celle qui vous charme est indigne de vous.

1 ALCESTE.

Mais, en disant cela, songez-vous, je vous prie;
Que cette personne est, madame, votre amie?
ARSINOÉ.

Oui. Mais ma conscience est blessée en effet
De souffrir plus long-temps le tort que l'on vous fait
L'état où je vous vois afflige trop mon ame,
Et je vous donne avis qu'on trahit votre flamme.

ALCESTE.

C'est me montrer, madame, un tendre mouvement; Et de pareils avis obligent un amant.

ARSINO E.

Oui, toute mon amie, elle est, et je la nomme,
Indigne d'asservir le cœur d'un galant homme;
Et le sien n'a pour vous que de feintes douceurs.

ALCESTE.

Cela se peut, madame; on ne voit pas les cœurs :
Mais votre charité se seroit bien passée
De jeter dans le mien une telle pensée.
ARSINOÉ.

Si vous ne voulez pas être désabusé,

Il faut ne vous rien dire ; il est assez aisé.

ALCESTE.

Non. Mais sur ce sujet, quoi que l'on nous expose, Les doutes sont fâcheux plus que toute autre chose; Et je voudrois, pour moi, qu'on ne me fît savoir Que ce qu'avec clarté l'on peut me faire voir.

ARSINOÉ.

Hé bien! c'est assez dit; et, sur cette matiere,
Vous allez recevoir une pleine lumiere.-

Oui, je veux que de tout vos yeux vous fassent foi.
Donnez-moi seulement la main jusques chez moi:
Là, je vous ferai voir une preuve fidele

De l'infidélité du cœur de votre belle;

Et si

pour d'autres yeux le vôtre peut brûler, On pourra vous offrir de quoi vous consoler.

FIN DU TROISIEME ACTE.

ACTE QUATRIEME.

SCENE I.

ÉLIANTE, PHILINTE

PHILINTE.

NoN, l'on n'a point vu d'ame à manier si dure,

Ni d'accommodement plus pénible à conclure:
En vain de tous côtés on l'a voulu tourner,
Hors de son sentiment on n'a pu l'entrainer;
Et jamais différend si bizarre, je pense,
N'avoit de ces messieurs occupé la prudence.
« Non, messieurs, disoit-il, je ne me dédis point,
« Et tomberai d'accord de tout, hors de ce point.
« De quoi s'offense-t-il? et que veut-il me dire?
Y va-t-il de sa gloire à ne pas bien écrire ?

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Que lui fait mon avis qu'il a pris de travers?

« On peut être honnête homme, et faire mal des vers: Ce n'est point à l'honneur que touchent ces matieres. «Je le tiens galant homme en toutes les manieres, « Homme de qualité, de mérite et de cœur,

Tout ce qu'il vous plaira, mais fort méchant auteur. « Je louerai, si l'on veut, son train et sa dépense, « Son adresse à cheval, aux armes, à la danse: Mais, pour louer ses vers, je suis son serviteur; Et, lorsque d'en mieux faire on n'a pas le bonheur,

• On ne doit de rimer avoir aucune envie,

"

Qu'on n'y soit condamné sur peine de la vie».

Enfin toute la grace et l'accommodement

Où s'est avec effort plié son sentiment,
C'est de dire, croyant adoucir bien son style:

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«

Monsieur, je suis fâché d'être si difficile,

Et, pour l'amour de vous, je voudrois, de bon cœur, « Avoir trouvé tantôt votre sonnet meilleur ».

Et dans une embrassade on leur a, pour conclure, Fait vite envelopper toute la procédure.

ÉLIANTE.

Dans ses facons d'agir il est fort singulier :
Mais j'en fais, je l'avoue, un cas particulier ;
Et la sincérité dont son ame se pique

A quelque chose en soi,de noble et d'héroïque.
C'est une vertu rare au siecle d'aujourd'hui,
Et je la voudrois voir par-tout comme chez lui.

PHILINTE.

Pour moi, plus je le vois, plus sur-tout je m'étonne
De cette passion où son cœur s'abandonne.
De l'humeur dont le ciel a voulu le former,
Je ne sais pas comment il s'avise d'aimer;
Et je sais moins encor comment votre cousine
Peut être la personne où son penchant l'incline.
ELIANTE.

Cela fait assez voir que l'amour, dans les cœurs,
N'est pas toujours produit par un rapport d'humeurs;
Et toutes ces raisons de douces sympathies,
Dans cet exemple-ci, se trouvent démenties.

PHILINTE.

Mais croyez-vous qu'on l'aime, aux choses qu'on peut voir?

ÉLIANTE.

C'est un point qu'il n'est pas fort aisé de savoir. Comment pouvoir juger s'il est vrai qu'elle l'aime? Son cœur de ce qu'il sent n'est pas bien sûr lui-même ; Il aime quelquefois sans qu'il le sache bien,

Et croit aimer aussi, par fois, qu'il n'en est rien.

PHILINTE

Je crois que notre ami, près de cette cousine,
Trouvera des chagrins plus qu'il ne s'imagine;

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