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Les corsaires de la finance, dont quelques-uns, Gobseck et Gigonnet, prennent une grande part à l'action dans les Employés, sont particulièrement montrés autour du parfumeur dans leurs intrigues d'argent. Tels, Claparon, Molineux, Ferdinand du Tillet, et autres sous-escompteurs. La vertu de Rabourdin et de Birotteau a bien de la peine à contre-balancer dans l'ordre social tant de consciences pourries.

Pour terminer notre appréciation, nous dirons que, dans un certain sens, les Employés et l'Histoire de César Birotteau sont, en même temps que des études de la vie politique, administrative, industrielle et commerciale, un tableau de l'immense coin de province que renferme Paris sans que Paris s'en doute.

NOTE A PROPOS

DES

PETITS BOURGEOIS

Nous venons de voir deux ouvrages qui sont, pour ainsi dire, les avant-propos de la dernière des Scènes de la vie parisienne: les Petits Bourgeois. Le manuscrit de ce livre n'ayant pas été terminé par Balzac, nous avons cru devoir nous abstenir d'en faire ici l'analyse. Cette omission est sans conséquence pour notre étude. Le compte rendu des Petits Bourgeois ne serait qu'un complément, non indispensable, des précédentes scènes, suffisamment jugées, pour qu'on puisse embrasser l'ensemble de ce côté de l'œuvre de Balzac.

DERNIÈRES PARTIES

DES

ÉTUDES DE MŒURS

SCÈNES DE LA

VIE POLITIQUE, MILITAIRE ET DE CAMPAGNE

INTRODUCTION

Aux Scènes de la vie parisienne se termine, pour le moment, l'étude de l'homme considéré comme individu. Dans les Scènes de la vie de campagne, qui doivent être le couronnement des Études de mœurs, la peinture de la vie individuelle sera reprise quelque peu dans l'àge de la vieillesse, qui doit représenter, selon ce que se proposait l'auteur, la fin du drame social. Mais, avant d'en arriver à cette fin, Balzac a jugé indispensable d'étudier la vie des masses et les lois générales qui la régissent, différentes de celles qui s'appliquent exclusivement à l'individu. De là les deux divisions suivantes des Études de mœurs; appelées Scènes de la vie politique et Scènes de la vie militaire. Dans ce nouveau genre de roman, l'homme n'est plus à lui seul le sujet principal et le détail de l'intrigue: il est le moyen qui dirige l'action des masses; il représente les goûts, les idées, les intérêts généraux d'un groupe, d'une contrée, d'un peuple, d'une race entière; il est devenu, en un mot, la formule d'éléments com

binés. Après nous avoir montré l'influence des passions chez l'individu, Balzac, entrant dans un ordre d'idées plus élevé, nous fait l'histoire de ces mêmes passions dans la vie des peuples. Et, au lieu de personnages isolés, il n'y a plus que des personnifications, des modalités diverses de l'existence de plusieurs. Ici, l'intérêt particulier, si souvent contraire à l'intérêt général, disparait devant la volonté des masses, érigée en droit par la législation. Le sentiment, s'il est en opposition avec la loi, se trouve brisé par les rouages du mécanisme social. Des limites sont posées enfin par la volonté de tous à la liberté indéterminée d'un seul, pour en prévenir les abus.

Cette peinture de la société, prise d'une façon collective, a deux faces. A l'intérieur du pays, une lutte s'engage entre cette société, dont les lois restreignent la liberté individuelle, et l'homme luimême qui réclame sans cesse une augmentation de cette liberté. C'est là l'objet des Scènes de la vie politique.

Dans les Scènes de la vie militaire, qui sont la conséquence naturelle des Scènes de la vie politique, la lutte, dont le champ s'agrandit, est portée au dehors. C'est la deuxième face de l'histoire de la société, vue, comme le dit l'auteur lui-même, « dans son état le plus violent, et se mettant en mouvement, soit pour la défense, soit pour la conquête. »

Dans la vie politique, nous voyons l'antagonisme entre le gouvernement et ses administrés; entre le petit nombre d'hommes délégués au pouvoir par l'élection et la masse des électeurs. Ici, le monarque absolu lutte contre la volonté du peuple. Là, le despotisme aveugle des masses provoque l'instabilité des gouvernants. Où se trouve l'équilibre? L'auteur ne l'indique certes pas, et nous nous gardons, à ce propos, de discuter ses opinions politiques. Balzac n'a pas manqué cependant de faire connaître. ses opinions. Nous nous réservons d'en dire quelques mots dans l'analyse des Études philosophiques. Ici nous n'avons qu'à voir des tableaux tout faits, et à juger de leurs qualités au point de vue de l'art. Mais n'omettons pas de dire combien Balzac a très justement compris le mouvement des esprits de son époque et les résultats de notre grande Révolution, dont aucune cause ne

lui échappe, toutes les fois qu'il en parle pour mieux rendre le caractère de la société française au XIXe siècle.

Les Scènes de la vie militaire sont aux Scènes de la vie politique ce que les Scènes de la vie parisienne sont aux Scènes de la vie privée et aux Scènes de la vie de province. C'est la phase d'exception de la vie politique des peuples. Là où l'homme s'armait pour la conquête du bien-être, de la propriété, de l'argent, du pouvoir et des titres honorifiques, on voit les peuples lutter pour le développement ou la protection de leur industrie et de leur commerce, pour l'annexion de certaines étendues de territoire, pour des indemnités de guerre, des intérêts enfin qui sont, en grand, parallèles à ceux de l'individu. Les Scènes de la vie militaire doivent aussi renfermer celles que l'on pourrait appeler Scènes de la vie diplomatique. Il est à regretter que nous ne puissions nous étendre à ce sujet, car ces Scènes de la vie militaire, annoncées par l'auteur, se réduisent à un seul ouvrage les Chouans, et à une nouvelle, détachée du roman projeté, les Français en Égypte, qui a pour titre Une Passion dans le désert. Mais Balzac n'a pas eu besoin de terminer cette partie de son œuvre pour nous donner une idée de ce qu'il pouvait faire. Son admirable livre les Chouans, le premier de la série et le seul publié, qui retrace, dans un épisode historique des guerres civiles de la Vendée, la physionomie originale de la guerre d'embuscades et de partisans, suffit au critique pour juger de ce qu'eussent été les autres. Quels précieux trésors littéraires la fin prématurée de Balzac ne nous a-t-elle pas fait perdre! Les titres de ses ouvrages en projet ou déjà commencés nous sont restés. Nous ne saurions omettre de les inscrire ici. Leur énoncé seul doit faire deviner combien eût été merveilleuse cette étude des grandes guerres d'Europe succédant aux ébranlements de la Révolution qui a enfanté notre siècle. Le génie et la science d'observation de l'auteur, arrivés à leur plus grand développement, auraient fait de cette partie de la Comédie humaine un monument plus impérissable que tout le reste. Avec les Soldats de la République, les Français en Égypte, la Garde consulaire, nous aurions eu, dans le roman français, le

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