Images de page
PDF
ePub

preuves de la correspondance du sénateur de l'Aube avec Louis XVIII.

La texture de ce roman, où se mèle beaucoup d'histoire vraie, est une des plus compliquées qu'ait produites l'imagination de Balzac; et nous n'avons pas à nous en plaindre, comme nous le ferons en étudiant les Chouans, car ici l'auteur de la Comédie humaine, analysant avec la science d'un diplomate de la vieille école les phases multiples d'un procès politique où la police et le gouvernement sont souvent en contradiction, nage à plein bord dans son élément favori. Quelles figures peut-on rêver plus « abracadabrantes» que celles de Corentin et La Peyrade. montrés ici en muscadins, en «< gommeux Directoire », après leur action déjà prodigieuse d'intérêt dans Splendeurs et Misères des Courtisanes et les Petits Bourgeois? Corentin, La Peyrade, Contenson et quelques autres de même espèce sont, dans la partie politique de la Comédie humaine, d'indispensables rouages de la machine gouvernementale, des instruments secondaires du pouvoir dictatorial que rêvent, en tout temps et sous toutes les formes de gouvernement, nos premiers ministres. Que représentent avant tout, dans la Comédie humaine, Marsay, Rastignac, Chardin des Lupeaulx, Serisy et tutti quanti? Ce sont des individualités, dans lesquelles se résument les défauts et les qualités des grands hommes d'État de notre siècle Sieyès, Fouché, Talleyrand, Metternich, Cambacérès, Pozzo di Borgo, le duc Decazes, Thiers, Guizot, Morny. Derrière la politique d'occasion de tous ces roués diplomates qui ont passé leur temps à louvoyer entre les partis, servant les uns, trahissant les autres, opprimant les faibles, respectant les forts, se dressent les curieuses têtes de leurs acolytes, d'autant moins connus qu'ils sont toujours inavoués. Ces derniers se chargent des scélératesses, nécessaires à commettre en vue d'un bien public ou autre, et ils ont conscience de l'importance de leurs services. Tels sont Corentin et La Peyrade, gens que certains vices empêchent d'arriver au premier rang, âmes damnées d'autres hommes, supérieurs par le rang, l'éducation, les manières, la portée de leurs vues ou simplement leur ambition. Rendons à Balzac cette justice qu'il a su montrer dans

la représentation fictive des hommes politiques tarés ou de bonne foi, des serviteurs aussi intéressants que leurs maîtres; et l'on peut d'après lui juger ces derniers en prenant à rebours le proverbe : << Tel maître, tel valet ». Corentin, tout invraisemblable qu'il puisse être, ne fait-il pas deviner l'impénétrable Fouché qu'il dépasse ? La partie la plus curieuse de ce roman est sans contredit la « Conclusion », où l'auteur fait apprécier par Marsay le vrai sens de la conduite des hommes d'État qui ont partagé le pouvoir avec Bonaparte. Une des premières causes morales de la chute de Napoléon, l'amour-propre excessif de l'empereur, s'y trouve analysé et commenté de main de maître. Balzac y fait dire (et il devait le penser), que Fouché, Masséna, et le prince de Talleyrand sont les trois plus grands hommes, les plus fortes tètes comme diplomatie, guerre et gouvernement que l'on connaisse : « Si Napoléon les avait franchement associés à son œuvre, il n'y aurait plus d'Europe, mais un vaste empire français. »

Dans une page admirable de couleur locale, dont le style reproduit finement le discret langage des diplomates, des jésuites, de tous les gens qui dissimulent... enfin, Balzac nous découvre la piquante énigme des pensées intimes de Sieyès, Fouché et Talleyrand la veille de la bataille de Marengo. Ce trio intéressant, que le froid et sévère Carnot appelle le « brelan des prétres », est décidé à adorer Bonaparte s'il est vainqueur, à l'enterrer s'il est vaincu. Malin, le personnage du roman, est de leur conspiration. Le portrait moral de ces hommes est tracé avec une telle réalité d'expression, qu'il suffit à faire comprendre d'un bout à l'autre leur action dans tous les événements du règne impérial. Le mystère qui plane encore sur les motifs de l'exécution du duc d'Enghien, à laquelle se rattache la première partie de Une Ténébreuse Affaire, y est quelque peu sondé; et Balzac, sans dire le fond de sa pensée, accuse le prince d'une bien grande imprudence pour être venu si près de la frontière, au moment où se tramait contre le premier Consul un complot, que devaient connaitre assurément tous les membres de la famille royale: Cette scène résume la philosophie de l'histoire du temps. Qu'en dire de plus? Rien, il faut la lire.

Plusieurs détails du livre sont encore à remarquer, l'histoire de Michu par exemple. Michu appartient par la fermeté et la constance de ses convictions à un genre d'hommes, dont Balzac affectionne particulièrement l'énergie et l'autorité morale. Il est facile de voir, d'après le portrait de Michu, que l'auteur de la Comédie humaine ne savait pas que peindre des figures de coquins. La conception du rôle de Michu se faisant jacobin pour mieux servir secrètement les Simeuse, ses maîtres, est sublime.

C'est à Napoléon que Balzac fait dire le dernier mot, sur la fatale nécessité qu'entraînent les événements politiques de verser le sang de victimes innocentes. Le discours de Balzac dans la bouche de l'empereur est empreint d'une élévation proportionnée au génie de celui qui le tient. La dernière scène où Laurence de Cinq-Cygne, accompagnée du vieux marquis de Chargebœuf dans une méchante berline de voyage, voit l'empereur sous sa tente la veille d'Iéna, appartient à la vie militaire; aussi, pour ne pas manquer à la tradition qu'il s'était imposée toutes les fois qu'il parlerait de la majesté de la guerre, Balzac déploie les plus magnifiques couleurs de sa palette, pour peindre le cadre grandiose de l'entrevue, et les expressions les plus fortes de son génie d'imitation, pour résumer les paroles de l'empereur. Laurence de Cinq-Cygne, qui avait voulu jadis être à l'égard de Bonaparte une Charlotte Corday, se trouve vaincue par la bonhomie, la simplicité pleine de grandeur de Napoléon. La grâce de ses cousins étant accordée, elle demande celle de Michu; et ici se place la plus belle oraison funèbre qui puisse être faite sur la fin de martyr du serviteur royaliste. L'empereur ne promet rien à Laurence pour Michu, mais il prend la jeune fille par la main et la conduit sur le plateau qui domine les bords de la Saale : « Voici, dit-il, avec son éloquence à lui qui changeait les lâches en braves, voici trente mille hommes, ils sont innocents, eux aussi! Eh bien, demain, trente mille hommes seront morts, morts pour leur pays! Il y a chez les Prussiens peut-être, un grand mécanicien, un idéologue, un génie qui sera moissonné. De notre côté, nous perdrons certainement de grands hommes inconnus. Enfin,

peut-être verrai-je mourir mon meilleur ami! Accuserai-je Dieu? Non. Je me tairai. Sachez, mademoiselle, qu'on doit mourir pour les lois de son pays comme on meurt ici pour sa gloire. » N'est-ce pas que voilà une phrase digne aussi bien d'un grand capitaine que d'un profond philosophe? Balzac aurait peut-être dù, après cela, nous décrire la fameuse bataille qui fut la revanche de Rosbach et causa la ruine de la Prusse; mais, ainsi qu'il le dit lui-même, pour peindre le déploiement des splendeurs militaires, il faudrait pouvoir emprunter les mots et les images de la Bible.

UN ÉPISODE SOUS LA TERREUR Z. MARCAS.

Un Episode sous la Terreur est une sorte de petit conte philosophique fantastiquement conçu, auquel Balzac a donné la forme d'une chronique véritable. Le lendemain de la mort de Louis XVI, un inconnu se présente au domicile secret de l'abbé de Marolles, prêtre non assermenté, sauvé comme par miracle du massacre du couvent des Carmes, et supplie qu'on veuille bien dire une messe à laquelle il assistera pour le repos de l'âme du roi défunt. Après la cérémonie, l'inconnu, afin de prouver au prêtre sa reconnaissance, lui remet un petit mouchoir brodé aux armes de France et teint de sang. Jusqu'au 9 Thermidor, l'abbé et deux religieuses, mesdemoiselles de Beauséant et de Langeais. qui ont partagé son 'destin, s'aperçoivent qu'une main puissante les préserve de tout danger et pourvoit à leurs besoins. Le 21 janvier 1794, premier anniversaire de l'exécution du roi, l'inconnu revient entendre la messe expiatoire dans le grenier qui sert de gîte au prêtre et qui appartient à un faux jacobin, Mucius Scævola, ancien piqueur des princes de Conti. Il a été impossible à l'abbé de Marolles de surprendre l'incognito de ce singulier fidèle; mais le jour où Robespierre et ses séides sont conduits à l'échafaud, l'abbé, se trouvant par hasard dans la rue, reconnaît dans la sinistre charrette l'inconnu qui lui a fait dire les messes. Cet homme n'est autre que le bourreau. L'abbé comprend alors l'inestimable valeur du mouchoir avec lequel,

sans doute, le roi s'est essuyé le front en allant au martyre: << Pauvre homme, s'écrie-t-il, le couteau d'acier a eu du cœur, quand toute la France en manquait! >>

C'est dans un cadre très étroit que Balzac a fait contenir, preuve de son inimitable talent, le plus grand des drames, où se confondent, suivant son dire, la Monarchie et la Révolution, l'une représentée par les prières d'un prêtre et de deux pauvres filles, l'autre par un homme dont la figure trahit trop de remords pour ne pas croire qu'il accomplit le vœu d'un immense repentir. Cet épisode n'est qu'un roman, mais il est simplement sublime. L'imagination de l'écrivain atteste fortement ici sa grandeur d'âme. Comment, après cela, Balzac a-t-il fait les Deux Rêves, conclusion de son étude philosophique Sur Catherine de Médicis, où il semble pardonner à la Convention tous ses crimes en raison de la nécessité légale de maintenir son pouvoir menacé? Nous essayerons de le dire, quand le moment sera venu. Qu'on sache bien, en attendant, que Balzac joignait à son grand cœur le despotisme raisonné des hommes appelés à commander à leurs semblables. Il avait en lui du Jean-Jacques Rousseau, du Danton et du Bonaparte. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire sa dernière scène de la vie politique, Z. Marcas.

Qu'est-ce que Z. Marcas? Marcas, c'est l'homme politique que cachait Balzac à vingt ans et qui n'était pas si rétrograde qu'on veut bien le croire en fait d'opinions gouvernementales. La courte histoire de Z. Marcas est un pamphlet contre la brutale indifférence des pouvoirs, généralement égoïstes ou aveugles visà-vis de tout ce qui tient à l'intelligence, à la pensée, à la poésie. Donnant à son héros, au physique la physionomie, au moral la puissance du lion, l'écrivain en fait le type éternel de l'ambitieux, du grand homme inconnu, à qui manque pour arriver ce qu'on appelle le bonheur des sots; c'est un condottiere de la politique empêché de devenir grand capitaine par la nécessité de gagner du pain; une victime, à la fois de l'influence de l'argent sur les idées et des trahisons inévitables d'un gouvernement

« PrécédentContinuer »