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dans leur institution et a donné sa sanction aux faits accomplis.

L'existence de l'argent en particulier et, partant, le désir bien naturel à l'individu d'en avoir, sont une garantie contre les utopies de certains politiciens ou socialistes. On a beau dire, certaines pages du Contrat social de Rousseau, quand il s'indigne de la tyrannie des sociétés, sont un leurre. L'argent est une de ces tyrannies, mais elle est indispensable. Il vaut encore mieux cellelà que la primauté de la force, toujours portée, en raison de la nature même de l'homme, à commettre d'odieux abus. Sous le régime ordinaire des sociétés actuelles, en dehors des politiques diverses de chaque peuple, on sait encore définir les devoirs de l'homme tout en songeant peut-être un peu plus à l'application de ses droits; et l'on peut dire, sans pour cela être taxé d'optimisme, que l'égoïsme, dont est fatalement entachée la lutte pour vivre, est réduit à sa plus petite part. Voilà tout ce que nous enseigne Balzac au cours de la Comédie humaine, toutes les fois qu'il parle de ce tyran, l'argent. Il oppose aux mauvaises penque peut inspirer la soif de l'or, les principes de l'éternelle morale des peuples et des individus, gravés par Dieu au fond de la conscience humaine. Quant à toutes ses dissertations sur la fortune, les moyens d'y arriver, les raisons pour lesquelles on doit la vouloir, les circonstances qui la font ou la défont, on peut en tirer, en les réunissant, un savant traité d'économie, autant à l'usage de l'homme en particulier qu'à celui des économistes qui sont à la tête des finances du gouvernement.

sées

Ainsi donc le principe général appliqué aux Études de mœurs de Balzac, c'est le combat de la vie humaine dans toutes ses phases ayant matériellement parlant comme élément le plus fort la fortune, et moralement l'intelligence. Dans les Études philosophiques, cette lutte devient la loi du « du soi pour soi » sur laquelle repose l'unité de composition dans l'humanité, que l'auteur a cherché à démontrer au cours des fragments inédits de ses Études analytiques. L'idée de cette unité de composition, d'où découlent les différences de formes, tant chez l'homme que chez l'animal, voilà le véritable point de départ de la Comédie

humaine. Comme l'auteur le dit lui-même, c'est d'une comparaison entre l'humanité et l'animalité qu'est née la distinction qu'il a su faire des espèces sociales et son désir de les étudier. «Mais, tandis que l'histoire naturelle paraît être immuable dans ses effets, l'histoire des mœurs de la société, c'est-à-dire de tout ce qui touche aux habitudes, au vêtement, au langage, à la manière de vivre des hommes change au gré des civilisations. >> En raison même de l'infinie variété de la nature humaine, les mœurs sont dissemblables d'un individu à l'autre. C'est pourquoi Balzac a compris que la partie la plus importante de son œuvre devait être précisément cette histoire des mœurs de la société, d'où la mise en tête de la Comédie humaine de cette première partie appelée Études de mœurs.

Nous avons ainsi montré l'origine, le plan général et les principes fondamentaux de l'œuvre soumise à notre étude. Il nous faut maintenant entrer dans chacune de ses divisions pour en saisir le lien, la logique, et suivre à chaque page la pensée de l'auteur. Nous en analyserons donc les principaux livres, au double point de vue de l'art et de la philosophie, comme nous l'avons déjà fait pour le caractère général de l'écrivain. Un résumé des qualités et défauts de l'œuvre et des critiques auxquelles elle a donné lieu terminera notre tâche.

ÉTUDES DE MEURS

DIVISION

Les Études de mœurs de Balzac sont comme une immense galerie de tableaux, divisée en plusieurs salles destinées chacune à recevoir le groupe d'oeuvres qui lui convient. C'est le cours même de l'existence qui a servi de base à l'auteur pour le classement de ses études. A chaque âge de la vie correspond une division de l'œuvre. A l'enfance et à la jeunesse, les Scènes de la vie privée; à l'âge mûr, les Scènes de la vie de province; à la vieillesse, les Scènes de la vie de campagne. Les trois autres divisions: Scènes de la vie parisienne, Scènes de la vie politique et Scènes de la vie militaire, représentent les phases exceptionnelles de la vie humaine montrée à la fois dans ses effets sociaux et individuels.

Il est bon de faire remarquer que, grâce à la diffusion du génie de Balzac, plusieurs de ses livres paraissent devoir être classés. aussi bien dans un groupe de scènes que dans un autre; mais ce serait méconnaître la pensée de l'auteur que de ne pas tenir compte des divisions qu'il a établies; lui seul sait l'idée générale qui, ayant présidé à l'élaboration de tel ou tel roman, doit le faire ranger dans telle ou telle partie de l'œuvre. En somme,

grâce aux divisions de la Comédie humaine, l'homme et la société, dans la représentation qui nous en est faite, portent en eux-mêmes la raison de leurs mouvements. Suivant la route qui nous est tracée par l'auteur, nous commencerons donc notre étude par l'analyse des Scènes de la vie privée.

PREMIÈRE PARTIE

DES

ÉTUDES DE MOŒURS

SCÈNES DE LA VIE PRIVÉE

INTRODUCTION

Au sortir de l'enfance, l'homme ne connaît de la vie que des sensations non raisonnées. Le cœur est frappé bien avant l'esprit par la vue des choses extérieures. L'âme de l'adolescent reçoit plus d'impressions que son cerveau ne conçoit de pensées. Chez lui, les passions en germe ont à peine la forme du désir; de là cette naïve poésie du cœur des jeunes, épris d'aspirations encore vagues vers un but inconnu, auquel la richesse d'une imagination naissante prête la forme de mille et un fantômes. Né au sein de la richesse, de la misère ou de la simple aisance, l'adolescent, quel qu'il soit, voit toujours la vie comme dans un conte de fées; il n'en saisit que le merveilleux qui l'effraye ou excite sa curiosité; d'où les premiers développements de son intelligence. C'est l'âge où l'amour maternel peut le mieux exercer sa souveraine influence. Toutes les qualités ne se développent bien qu'à ce chaud foyer du cœur des mères. Mais quand l'âge de la puberté est passé, laissant une plus grande force à la faculté de sentir, la naïveté fait place à la réflexion. Chez quelques esprits

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