Images de page
PDF
ePub

précoces, cette réflexion se transforme vite en calcul et le jeune homme arrive aux premiers temps de la virilité.

Déjà, chez l'enfant, les petites contrariétés subies en raison de la sévérité des parents ont montré l'application de la grande loi du bien et du mal et celle de son corollaire, la justice. C'est la première leçon de morale que doit continuer l'éducation du collège et plus tard celle du monde. Là, le jeune homme rencontre les premières résistances sérieuses à ses désirs. Sa volonté se trouve souvent en opposition avec une volonté supérieure, celle du professeur ou de la masse de ses condisciples, qui entend régler la sienne. L'inexpérience les lui fait combattre. De là le principe de la lutte qu'il entrevoit pour l'avenir, et que son ignorance des mœurs lui rendra maintes fois fatale au début. L'éducation par les parents terminée avec la principale période d'enseignement secondaire, le jeune homme est enfin prêt pour la scène du monde. « Les classes finies, il va, comme dit Gautier, commencer cette seconde éducation qui est la vraie, où il sera lui-même son propre sujet d'études, professeur et élève, tirant son enseignement des réflexions et des calculs que vont lui suggérer l'observation et l'expérience. »

C'est le moment où Balzac peint avec le plus d'amour, dans les Scènes de la vie privée et plusieurs des Scènes de la vie parisienne, l'histoire de la jeunesse, de cette admirable réunion d'adolescents, espoir et orgueil de chaque peuple qui, débutant dans la vie pleins de foi, d'ardeur et d'inexpérience, escomptent audacieusement l'avenir. Qu'y a-t-il, en effet, de plus tentant que d'écrire l'histoire des jeunes? Qu'y a-t-il de plus attachant, de plus aimable, de plus gracieux que la jeunesse? Balzac ne nous a-t-il pas dit que, à l'âge où l'enfant devient jeune homme, l'émotion des mères contemplant le chef-d'œuvre humain qu'elles ont fait devient si grande que leur vue en reste troublée. Il n'y a pas que les mères qui soient ainsi fières de leurs fils. De tout temps, dans chaque pays, la société tout entière a idolâtré les jeunes gens; aussi l'éducation de la jeunesse, qui, selon qu'elle est bonne ou défectueuse, prépare à un peuple des destinées glorieuses ou un sort d'esclave, a-t-elle toujours été l'objet de la sollicitude.

la plus ardente et la plus éclairée de la part des pères et des gouvernants.

Balzac qui, dans l'avant-propos de son œuvre, prétend faire concurrence à l'état civil en créant une société fictive, a donc commencé par faire l'étude des débuts de ses héros dans le monde. Il les prend au sortir de l'enfance, alors que la science de la vie, qui doit hélas! en rendre mauvais un grand nombre, n'a pas encore corrompu leur âme. Il nous montre bien en eux le germe des qualités ou des vices qui doivent les distinguer plus tard; mais il nous fait remarquer avant tout ce qui caractérise la jeunesse, c'est-à-dire les illusions, ces poésies enchanteresses du cœur, que l'on ne perd jamais trop tard et auxquelles on doit dans la vieillesse tout un paradis terrestre de souvenirs. Vue à travers le prisme de ces illusions, la vie s'ouvre devant les jeunes avec tout un cortège de séduisantes promesses; dans leurs âmes, les passions n'ont point encore revêtu les formes brutales de l'intérêt matériel; le jeune homme calcule peu, il n'a que des aspirations; rêvant plutôt qu'il n'agit, presque toujours assoiffé d'idéal en toutes choses, il écoute anxieusement ce que lui murmure à l'oreille l'esprit de vocation; il interroge tout autour de lui, il observe, il tâtonne pour chercher sa voie, et souvent les conseils de l'homme mûr, ami ou professeur, avidement recueillis, ont sur sa destinée une influence décisive. C'est cet état du cœur des jeunes gens que Balzac analyse dans les Scènes de la vie privée; et en dehors de la fascination qu'exerce la forme même de l'œuvre, le roman, le succès de ces scènes est puissant intérêt qu'excite chez tous la jeunesse. Ah! combien de raisons n'a-t-on pas d'aimer et d'estimer Balzac. N'est-ce pas lui seul qui ait su, dans ses portraits de la Comédie humaine, mettre en lumière les sentiments multiples et les passions qui se croisent au début d'une existence? Grandes amours, grandes ambitions, œuvres géniales de savants et d'artistes, Balzac a tout peint dans ses caractères. « Etre célèbre et être aimé », telle est la devise que pratiquaient les membres Ne doit-elle pas être celle de tous les jeunes gens à volonté puissante, qui se disent avant la lutte en regar

surtout dû au

du « Cénacle ».

dant le monde : « Tu m'appartiendras! » et arrivent à triompher avec l'autorité du génie, grâce à l'indomptable opiniâtreté de leur labeur? Voilà la vie des héros de Balzac. Après leur avoir imposé toutes les dures nécessités de l'existence, les privations, les souffrances physiques, il les fait parvenir, chacun dans leur sphère, à de hautes destinées. Savants, poètes, hommes d'État, grands capitaines, tous arrivent par des moyens différents et dans des circonstances variées à l'infini, mais tous avec le même cœur, la même énergie, les mêmes facultés employées au bien faire. Et une certaine note, que s'est gardé d'oublier Balzac avec son intuition particulière des choses de son temps, perce dans ces existences de jeunes gens: c'est leur désir du gain. A peu près tous tendent à la fortune. La plupart font de l'argent non leur idole, mais le facteur principal de la réussite de leurs projets. Cette thèse peut paraître immorale aux esprits bornés, elle est sublime pour ceux qui connaissent les drames dus à l'argent, à Paris en particulier, où, plus qu'ailleurs, se heurtent des intérêts divisés à l'infini. C'est la vraie vie réelle. « Que les purs s'indignent de cette infraction aux lois du genre, a dit Théophile Gautier dans ses Considérations sur Balzac, mais tous les jeunes gens qui, allant en soirée chez quelque belle dame avec des gants blancs repassés à la gomme élastique, ont traversé Paris en danseurs, sur la pointe de leurs escarpins, redoutant une mouche de boue plus qu'un coup de pistolet, compatiront pour les avoir éprouvées aux angoisses de Raphaël Valentin par exemple, le héros de la Peau de chagrin, lorsqu'il s'inquiète non seulement de savoir s'il a touché le cœur de celle qu'il aime, mais encore s'il aura assez de monnaie pour payer le fiacre dans lequel il la reconduit. Aux moments de misère suprême, la trouvaille d'une des pièces de cent sous glissées entre les papiers d'un tiroir par la pudique commisération d'une « Pauline Gaudin » produit l'effet des coups de théâtre les plus romanesques ou de l'intervention d'une péri dans les contes arabes. Qui n'a pas découvert aux jours de détresse, oublié dans un pantalon ou dans un gilet quelque glorieux écu apparaissant à propos et nous sauvant du malheur

que la jeunesse redoute le plus rester en affront devant une femme aimée, pour une voiture, un bouquet, un petit banc, un programme de spectacle, une gratification à l'ouvreuse ou quelque vétille de ce genre? Balzac excelle donc dans la peinture de la jeunesse pauvre comme elle l'est presque toujours s'essayant aux premières luttes de la vie. »

Quant au couronnement de ces existences, c'est l'immortalité donnée aux grandes œuvres, le bonheur accordé au devoir accompli, le malheur infligé à l'inconduite; et de la fin de ces scènes se dégage une haute pensée morale, celle de l'expiation et du pardon des fautes, conception sublime qui termine bien la tâche glorieuse de l'écrivain.

Après cela, qui ne s'enthousiasmerait pour les romans de Balzac, tous «< vécus » par nos pères? De nos jours, en effet, combien d'hommes illustres ou arrivés au pouvoir n'ont-ils pas été, eux aussi, simples étudiants complètement ignorés, en pension à Paris chez quelque « maman Vauquer », mordant à belles dents, comme le dit Gautier, « dans les durs biftecks de la vache enragée, nourriture fortifiante pour les estomacs robustes, indigeste pour les estomacs débiles ». Peuvent-ils oublier, ceuxlà, qu'ils ont été jeunes? Ne doivent-ils pas se reconnaitre dans la sublime histoire de cette jeunesse, supportant la misère des débuts à l'aide des plus hautes espérances. Naguère, un des hommes d'État les plus en vue de notre époque, dont une mort prématurée a brisé la carrière, n'avait-il pas présidé un «< cénacle » de jeunes gens, pareil à celui que présidait le grand d'Arthez de la Comédie humaine, cénacle dont tous les membres d'alors sont aujourd'hui des célébrités. Balzac assis aux tables du «< café-divan Le Peletier » avait-il rêvé pour ses amis cette touchante association, ou bien avait-il deviné que son idée serait mise en pratique après sa mort par quelques grands esprits? Quoi qu'il en soit, nos grands hommes du jour, pauvres jadis, sont, aussi bien que les contemporains de Balzac, les preuves vivantes de l'incomparable génie de l'écrivain, qui a su non seulement les peindre, mais même leur indiquer dans ses œuvres le chemin de la gloire. Ainsi donc, ce qui caractérise

les jeunes gens de Balzac, c'est leur pauvreté et leur intelligence fières. Ils ne commencent pas tous par être « dandies >> richement vêtus, logés luxueusement; non, la plupart vivent juchés près du ciel dans les mansardes, n'ayant pas même une aisance modeste et des habits décents. Quelques-uns sortent des rangs du peuple, beaucoup sont gentilshommes, mais tous gens de race; et, qu'on nous permette d'emprunter encore l'opinion de Gautier, ces jeunes gens ont une qualité suprême qui les met bien au-dessus de ceux des romans épiques : « Ils vivent, et d'une vie si forte qu'il semble qu'on les ait rencontrés mille fois dans nos rues. »

Aussi, comme compensation à leur pauvreté et comme complément indispensable de leur vie intellectuelle, Balzac leur a-t-il prodigué le bonheur d'être aimé par de nobles femmes. De la part de leurs mères, sœurs, épouses ou amantes dont Balzac a tracé des types immortels, tous ces jeunes gens provoquent ce grand amour de la femme, l'âme même de la création, dont le premier élément est l'orgueil d'avoir à soi un génie, un grand caractère, un grand homme, orgueil enivrant s'il en fût, plein d'ambition pour l'objet aimé, et qu'entretient éternellement un enthousiasme sans bornes pour les qualités et les moindres actions, quelquefois les défauts de l'homme idolâtré. Parmi les poètes du siècle qui ont écrit sur l'amour, Balzac doit être placé au premier rang à côté de Victor Hugo, Musset, Lamartine, Michelet, Dumas fils, Stendhal, ce dernier surtout dont on a dit qu'il a «< disséqué la femme ». Nul mieux que Balzac n'a exprimé avec plus de force, plus de science pénétrante et de profondeur, dans toutes les circonstances et sous toutes les formes possibles, les effets de ce sentiment qui est toute la femme. Et comment pouvait-il en être autrement? Balzac n'estil pas le grand anatomiste des passions? Mère et épouse, la vie d'une femme est toute d'amour et de dévouement pour l'homme. Elle le soigne au berceau, le conduit et l'assiste toute sa vie, et, quand il meurt, c'est elle qui le pleure le plus; elle est la seule chez qui la douleur survive au temps, car la plaie faite par mort est dans toutes ses fibres qu'elle fait saigner au moindre

la

« PrécédentContinuer »