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dans ses joues et sur ses lèvres je ne sais quoi de vulgaire et de commun. A voir certains détails de cette physionomie, vous eussiez dit un vieux vigneron débauché, un commerçant avare; mais, à travers ces ressemblances vagues et la décrépitude d'un vieillard mourant, le roi, l'homme de pouvoir et d'action, dominait. Ses yeux d'un jaune clair paraissaient éteints, mais une étincelle de courage et de colère y couvait et, au moindre choc, il pouvait en jaillir des flammes à tout embraser. » Ce dernier portrait du terrible monarque n'est-il pas d'une vérité sans comparaison possible?

Si Balzac s'était donné la peine de faire de l'histoire, quel monument aussi impérissable que celui de Michelet n'eût-il pas édifié! Mais nous allons encore mieux juger son talent dans les études suivantes, où il fait revivre, avec un relief tout spécial et marquées de sa puissante griffe, les physionomies extraordinaires de Catherine de Médicis, Marie Stuart, Coligny, Calvin, Chaulieu, Théodore de Bèze, Robespierre et Marat, comme il a déjà fait revivre celles de Napoléon et de Louis XVIII d'une façon excep. tionnelle, malgré la connaissance vulgarisée de leurs traits.

SUR CATHERINE DE MÉDICIS

On a tant écrit sur Catherine de Médicis, que la peinture du caractère de cette reine semble être devenue un lieu commun. Aussi, l'étude de Balzac s'offre-t-elle au critique sous le double aspect de l'histoire et du roman; et c'est à ce double point de vue que nous avons à juger l'œuvre. Elle se divise en trois parties où règne la même idée, mais dont les faits n'ont pas de suite. Dans la première, intitulée « le Martyr calviniste »>, Balzac met en action, comme un drame de théâtre, la fameuse conjuration d'Amboise. Il y met en lumière le rôle de Catherine; et, mêlant très habilement le roman à l'histoire, il nous montre la part prise à cet événement par un jeune calviniste, Christophe Lecamus, fils d'un riche bourgeois de Paris, dont l'existence n'est qu'un long

dévouement à la cause des Valois et à celle du pouvoir absolu rêvé par Catherine.

«La Confidence des Ruggieri » forme la seconde partie de l'étude. Nous sommes après la Saint-Barthélemy. Charles IX, qui a deviné la terrible ambition de sa mère, veut régner par lui-même. Connaissant la croyance de la fille des Médicis aux sciences occultes, il fait appeler auprès de lui, dans la maison de Marie Touchet, les deux astronomes Laurent et Cosme Ruggieri, conseillers de la reine mère, pour les interroger sur l'avenir. La réponse des deux magiciens est simplement conforme aux vues de leur maitresse. La politique de Catherine et celle des Ruggieri ne fait qu'un.

Enfin, dans la troisième partie, « les Deux Rêves », le romancier nous présente sous une forme allégorique les conclusions des principes politiques exposés au cours du livre. En 1786, dans une soirée chez Bodard de Saint-James, trésorier de la marine, Robespierre et Marat, encore inconnus, font, en présence de quelquesuns des ministres de Louis XVI, entre autres Calonne, le récit de visions singulières qu'ils ont eues pendant leur sommeil. Robespierre a vu Catherine de Médicis. La reine lui a expliqué les causes de la Saint-Barthélémy; elle a voulu s'absoudre ellemême de ce grand crime en prétextant que la liberté politique, la tranquillité d'une nation, la science même sont des présents pour lesquels le destin prélève des impôts de sang. Elle annonce au futur dictateur de la Convention qu'il achèvera, lui, en faveur de la souveraineté des masses, la révolution qu'elle a tentée, elle, en faveur du pouvoir absolu de la royauté. La liberté indéfinie de l'homme, dit-elle, est la mort de tout pouvoir. Les doctrines de Luther et de Calvin ayant progressivement amené les peuples de l'esprit d'investigation au désir de renverser la monarchie, elle a condamné les huguenots promoteurs des idées nouvelles. Robespierre sera un des maçons du futur édifice social. « Tant que tu promèneras ton niveau sur les têtes, lui dit la mère de Charles IX, tu seras applaudi; quand tu voudras prendre la truelle, on te tuera. »

D'un autre côté, Marat affirme avoir vu en songe, dans la cuisse gangrenée d'un malade, une multitude de vers dont il a

tué un millier d'un seul coup de bistouri. Il reconnaît dans ce malade une image de la société française. Ces deux rêves sont donc une préface du régime de la Terreur, dans laquelle les deux、 derniers chefs de la Révolution veulent expliquer et excuser, comme Catherine de Médicis, leur conduite politique à venir. Voilà le résumé des faits du livre. Voyons ce que l'auteur a voulu y exprimer.

L'Étude sur Catherine de Médicis forme la partie des Études philosophiques correspondant aux Scènes de la vie politique. Nous avons analysé, dans une de ces scènes, le caractère particulier de certains faits politiques pris dans l'histoire de notre siècle. Ici Balzac, suivant l'idée philosophique qui lui a inspirée la seconde partie de son œuvre, a voulu nous donner un aperçu des principes qui, selon lui, doivent servir de base à la politique en général. Son but est la démonstration de la vérité de ces principes. Pour y arriver, il n'était pas nécessaire à l'écrivain d'embrasser toute l'histoire ou de ne chercher de preuves que dans l'histoire contemporaine. Il lui suffisait de prendre n'importe où, les exemples lui paraissant le plus propres à la démonstration poursuivie. C'est pourquoi il n'a choisi que trois épisodes, dont deux, « le Martyr calviniste» et « la Confidence des Ruggieri », appartiennent au siècle de la Réforme, et le troisième, « les Deux Rêves », à la Révolution. Ce choix est assurément fort restreint. Mais chacun de ces romans, dont le fond tient à l'histoire, est pour l'auteur un simple moyen d'exposer ses théories en politique, théories déduites de son opinion personnelle sur les faits indiqués. Cela explique le cadre d'apparence peu vaste, mais cependant suffisant, donné à cette partie des Études philosophiques.

Nous voici arrivé au point le plus difficile de notre œuvre : porter un jugement impartial sur les opinions de Balzac en histoire, d'où découlent à la fois les convictions politiques et religieuses de l'écrivain. On comprendra sans peine tout ce qu'il y a de délicat dans notre entreprise. Mais, courageusement armé du flambeau de la vérité, nous n'hésiterons pas à signaler les nombreux paradoxes et les graves erreurs du romancier, en tant qu'homme politique.

C'est chose permise au génie que de se tromper en théorie. Quel est le philosophe qui n'a point propagé quelque erreur? Il faut cependant prendre garde à l'application des principes enseignés; c'est pourquoi, tout en ne cessant de rendre hommage au grand esprit de Balzac, nous condamnerons impitoyablement quelques-uns des dogmes de sa religion politique.

La première partie de l'Étude sur Catherine de Médicis est une absolution complète des crimes de cette reine, que l'auteur appelle une grande et belle figure de notre histoire. « En France, dit Balzac, et dans la partie la plus grave de l'histoire moderne, aucune femme n'a plus souffert des erreurs populaires que Catherine de Médicis. Cette reine, obligée de combattre une hérésie prête à dévorer la monarchie, sans amis, apercevant la trahison dans les chefs du parti catholique et la république dans le parti calviniste, a employé l'arme la plus dangereuse, mais la plus certaine de la politique, l'adresse. Pourquoi donc refuser à la majestueuse adversaire de la plus inféconde des hérésies la grandeur qu'elle a tirée de sa lutte même ? Tout pouvoir, légitime ou illégitime, doit se défendre quand il est attaqué; mais, chose étrange, là où le peuple est héroïque dans sa victoire sur la noblesse, le pouvoir passe pour assassin dans son duel avec le peuple. La ruse n'est-elle pas permise au pouvoir, contre la ruse? Ne doit-il pas tuer? Les massacres de la Révolution répondent à ceux de la Saint-Barthélemy. Le peuple devenu roi a fait, contre la noblesse et le roi, ce que le roi et la noblesse ont fait contre les insurgés du XVIe siècle. Ainsi les écrivains populaires, qui savent très bien qu'en semblable occurrence le peuple agirait encore de même, sont sans excuse quand ils blâment Catherine de Médicis et Charles IX. Tout pouvoir est une conspiration permanente. Il y a malheureusement à toutes les époques des écrivains hypocrites prêts à pleurer deux cents conjurés tués à propos! >>

La conclusion de ce discours est nette. Balzac admet en politique l'opportunité du crime toutes les fois qu'il s'agit de défendre le pouvoir absolu, que ce pouvoir soit entre les mains d'un seul; roi, dictateur, premier ministre, ou entre les mains de plusieurs, comme au Conseil des Dix, dans une confédération,

dans une république oligarchique. Cet égoïsme du pouvoir, tant pratiqué jadis, est encore en vigueur dans bien des pays. d'Europe. Nous connaissons en France les terribles formules de nos pires ennemis chez les Allemands, c'est « la force prime le droit »; chez les Anglais, « la ruse remplace la force ». N'est-ce pas, n'en déplaise à Balzac, le plus grand honneur de notre pays de s'être théoriquement affranchi d'aussi affligeantes maximes.

Tout monarque, tout homme d'État, ou tout parti souverain, qui applique dans un pays le principe du pouvoir absolu, est absous par Balzac des moyens employés pour maintenir ce pouvoir, quelle qu'en soit l'origine. C'est ainsi que l'auteur de la Comédie humaine, rigoureusement logique dans son idée, en arrive à admirer la Convention tout autant que Catherine de Médicis, le duc d'Albe, Richelieu, Cromwell, Louis XIV et Napoléon. Remarquez, en effet, sa manière d'interpréter le rêve de Robespierre et celui de Marat. « Les vérités, fait-il dire au premier, ne sortent de leur puits que pour prendre des bains de sang où elles se rafraîchissent. Le christianisme s'est-il établi sans martyrs? Le sang n'a-t-il pas coulé à flots, ne coulera-t-il pas toujours? » Quant au corps humain rongé aux vers que Marat a rêvé qu'il soignait, c'est la société française avant la Révolution. Pour sauver le corps, il faut tuer la vermine, a pensé le médecin. C'est toute l'explication à donner au régime de la Terreur, sous lequel des tyrans de la race des Nérons, des Tibères, des Philippe II et des ducs d'Albe, commirent au nom de la liberté des crimes inimaginables, par application de ce fameux principe d'autorité sans restrictions ni limites, tel que le comprenait Balzac.

Certes l'écrivain, très honnête et très moral par lui-même, se garde bien de nier le crime; il le déplore même. Mais, en nous dévoilant le sens de la pensée intime de Catherine de Médicis, de Marat et de Robespierre, à savoir que ces hommes d'État, partant d'un principe faux, absolument contraire à la morale des gouvernants, sont néanmoins persuadés d'avoir fait acte de justice pour sauver l'avenir de leur pays, Balzac donne à entendre

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