Images de page
PDF
ePub

Quelle sublime antithèse que la Peau de Chagrin, qui commence les Études philosophiques, et Jésus-Christ en Flandre, qui les finit. Plus de satires, plus de pamphlets contre la société ! non; mais l'expression du plus pur et du plus vif enthousiasme pour son action civilisatrice sur l'homme. Balzac n'est un moraliste sévère pour l'égoïsme humain, que parce qu'il s'agit de défendre le sentiment et la foi au bien qui s'en vont, contre l'envahissement des intérêts matériels. « Ne demandez jamais rien de grand aux intérêts, parce que les intérêts peuvent changer; mais attendez tout des sentiments, de la foi religieuse, de la foi patriotique. » Quelle pensée consolante ne doit pas laisser dans l'esprit l'œuvre d'un écrivain qui a si noblement dit de telles choses!

La dernière allégorie de Jésus-Christ en Flandre est comme l'auréole sacrée qui couronne l'édifice de la Comédie humaine; cette magnifique cathédrale, où l'architecte, fidèle à la sublime. tradition de l'art chrétien, a mis à côté de sinistres têtes de chimères de belles figures d'anges. Bien des parties basses de la nef sont dans les ténèbres; mais au sommet resplendissent, comme les feux du soleil à travers les dentelles de pierre de l'art gothique, les vives lumières de la science et les douces clartés du sentiment.

ÉTUDES ANALYTIQUES

INTRODUCTION

Par la nouvelle de Jésus-Christ en Flandre, où Balzac pressent pour l'avenir le triomphe des idées spiritualistes, se terminent. les Études philosophiques. Nous voudrions avoir à parler longuement à présent de la troisième et dernière partie de l'œuvre, les Études analytiques; mais, hélas, la mort n'a pas attendu que l'architecte ait posé la dernière pierre de l'édifice. De ces études, dont nous avons vu un fragment dans Louis Lambert au sujet du Traité de la Volonté, il n'a été publié que la Physiologie du mariage et les Petites misères de la vie conjugale. Nous savons quel était le plan de Balzac. Ses Études analytiques, où devaient se condenser tous les principes générateurs de l'organisme moral, étaient le complément indispensable des précédents livres. Elles devaient être la lumière, apportée dans les mille recoins obscurs du monument, le moyen de compréhension de l'œuvre entière, dans son ensemble comme dans ses plus petits détails. La fantaisie a malheureusement une trop large part dans la Physiologie du mariage, pour que nous puissions juger dans cet unique ouvrage comment le but a été rempli. Cette physiologie est une satire, parfois aussi peu raisonnable. que certains romans de George Sand, contre les institutions, hélas imparfaites! qui sont la règle actuelle du mariage. L'étude est brillante, amusante même; mais les paradoxes y fourmillent. L'auteur a eu le grand tort d'y exposer des principes contraires à ses propres opinions sur le but du mariage, que nous l'avons

vu développer, avec tant de bon sens, dans certaines Scènes de la vie privée.

Le livre n'a de valeur qu'au point de vue de l'art. Aussi devons-nous le considérer comme occupant une place très inférieure, à côté des autres volumes en projet, qui devaient terminer la Comédie humaine, et dont voici les titres :

Anatomie des corps enseignants, — Pathologie de la vie sociale, - Monographie de la vertu, - Dialogue philosophique et politique sur la perfection du XIXe siècle.

Ces titres, où se révèlent les derniers ressorts de la puissance d'observation scientifique du romancier, ont une éloquence significative. Ils suffisent bien à faire deviner le sens de la fin de l'œuvre de Balzac; sens profond, que la Physiologie du mariage n'a pas qualité pour traduire.

PHYSIOLOGIE DU MARIAGE

Le Castigat ridendo mores du bon Horace est la seule excuse de la Physiologie du mariage, un livre que Balzac aurait dû plus justement nommer la « Monographie de l'adultère ». Mais si ce titre a fait peur à l'écrivain, ce n'est pas à coup sûr le sujet, ni la façon dont il est traité. Il est évident que l'auteur de la Comédie humaine pouvait impunément aborder tous les genres; c'est là un grand mérite; mais, ce qui n'en est pas un, c'est d'être souvent tombé dans la double erreur du paradoxe en philosophie et de l'injustice en morale, au cours de quelquesunes des «< méditations » qui composent son ouvrage. Oh! la satire est très brillante, «< crépitante » même, pour nous servir d'un joli mot de M. Jules Lemaître, dit à propos d'autres satires; nous n'en disconvenons pas. Lesage, Marivaux ou Beaumarchais, auraient sans doute adopté la Physiologie du mariage, mais nous croyons que Rabelais, dont se recommande Balzac non sans quelque raison assurément, aurait mis dans un pareil livre, sous des apparences tout aussi légères, un peu plus de profondeur réelle.

Personne ne voudrait croire que c'est à la lecture d'un discours de Napoléon au conseil d'État sur les passages du code relatif au mariage, qu'est due la conception de l'étude de Balzac. C'est pourtant ce qu'avoue l'écrivain au début de sa préface. De ses considérations sur les défauts de la loi et des mœurs dont souffre le mariage, il déduit le but de sa physiologie : « Le mariage, dit-il, est un combat à outrance avant lequel les deux époux demandent au ciel sa bénédiction, parce que s'aimer toujours est la plus téméraire des entreprises... Il manquait un guide, une boussole aux pèlerins mariés, cet ouvrage est destiné à leur en servir. » Voilà une remarquable intention de moraliste. Est-elle suivie? Mon Dieu, non! Quelques lignes plus loin, l'austérité de ce début fait place à une bouffonnerie. Le moraliste annonce qu'il va seulement indiquer comment on peut empêcher une femme de tromper son mari. Il a l'air de s'être levé pour cela de très grand matin; pas plus tôt que les femmes, hélas! I appelle son livre une entreprise neuve, un autre Speculum vitæ humanæ. Singulière comparaison, où Roger Bacon ferait une drôle de contenance s'il était présent. Notre second Molière cède donc à la tentation de la folie et du rire, à la grande joie des pantagruélistes, ce qui est le seul résultat de l'œuvre, auquel nous prenons part fort agréablement comme tout le monde.

Après l'introduction, où Balzac fait l'historique amusant de la genèse de son livre, la Physiologie du mariage est divisée en trois parties dont chacune contient un certain nombre de chapitres appelés «< méditations ». La première partie est désignée sous la rubrique de « Considérations générales ». Le caractère tout d'exception de l'étude analytique s'y découvre. Balzac montre bien qu'il ne se propose d'analyser le mariage que dans l'adultère, et dans une classe de gens exclusivement choisie ad hoc, celle des gens riches. Il n'est parlé ici que d'une seule espèce de femme celle qui peut inspirer l'amour; et l'auteur entend par amour le caprice et le plaisir bien plus que le sentiment. On voit par là combien le titre du livre de Balzac est trompeur, et combien la portée en est restreinte. Dans le chapitre intitulé

« PrécédentContinuer »