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<< Statistique conjugale » se trouve une désopilante définition de la femme, faite dans le sens de galanterie voulu par l'écrivain. C'est sans doute à cette définition que les gais reporters du Gil Blas ont emprunté leur fameux mot d'« horizontale ». Pour désigner l'espèce particulière de femme dont s'occupe la Phy siologie du mariage, Balzac dit en effet : « La position horizontale est celle qu'elle prend le plus volontiers. >> Cette phrase nous édifie complètement sur le sens du livre. Les femmes dont parle ici Balzac sont donc les mêmes, à peu de chose près, bien qu'il s'en défende, que celles qui servent de terme de comparaison aux fameuses « pêches à quinze sous » d'Alexandre Dumas fils; et l'on comprend pourquoi l'auteur a mis en tête de l'ouvrage : « Les dames n'entrent pas ici. >>

Il y a cependant d'excellentes choses dans ce livre, et l'homme supérieur à qui il est dédié, suivant le mot de l'auteur, doit savoir les y distinguer. Le « Catéchisme conjugal », les « Considérations sur les dangers de l'internat pour les jeunes filles »>, et enfin la merveilleuse adaptation de la légende athénienne du Minotaure aux phénomènes du « Messer Cocuaige» de Rabelais ne sont des morceaux appréciables que pour les plus fins gourmets littéraires. « Ne commencez jamais le mariage par un viol! » crie Balzac, après avoir fait cette hilarante comparaison de l'homme et du singe dans la manière de jouer de l'instrument délicat, appelé violon pour l'orang-outang, femme pour un nouveau marié. « Arlequin, ajoute-t-il, essayant de savoir si son cheval peut s'accoutumer à ne pas manger, n'est pas plus ridicule que ces hommes qui veulent trouver le bonheur en ménage et ne pas le cultiver avec tous les soins qu'il réclame. Les fautes des femmes sont autant d'actes d'accusation contre l'égoïsme, l'insouciance et la nullité des maris. » Bravo! voilà Balzac qui défend les pauvres femmes contre l'aveugle bêtise des hommes ! N'a-t-il pas mille fois raison? Mais, où la note change, c'est quand le moraliste, prenant le ton le plus sérieux du monde, soutient, dans l'épilogue de la première partie, la théorie scabreuse de l'émancipation des jeunes filles; et cela sous prétexte de conformer nos mœurs au climat, de détruire la

honteuse plaie des filles publiques, et de diminuer enfin le nombre des adultères. Il nous semble à nous que c'est tout le contraire qui arriverait. Balzac partage sans hésitation les idées que contiennent à ce sujet l'Émile et la Nouvelle Héloïse. « Le XVIIIe siècle, dit-il, était trop profondément gangrené pour comprendre les hautes leçons que renferment ces deux poèmes. >> Nous admirons certes Jean-Jacques Rousseau autant que pouvait le vouloir Balzac; mais, chaque fois que nous lisons un livre de ce divin enjôleur, il nous semble voir apparaître derrière la couverture le modeste bout d'oreille des plus furieux paradoxes; aussi sommes-nous méfiants à l'égard de ses théories morales. Dans le cas qui nous occupe, nous laissons à chacun le soin de juger si Balzac et Rousseau ont raison de vouloir que les jeunes filles usent de leur libre entendement dès l'âge nubile.

La seconde partie de la Physiologie du mariage traite des moyens de défense contre l'adultère. L'auteur donne comme épigraphe aux méditations qui suivent, le vers bien connu de Shakespeare: To be or not be, that is the question. L'être ou ne pas l'être, voilà toute la question. Cette application de la plus profonde des idées métaphysiques au plus ridicule des accidents moraux de l'homme marié, nous paraît d'un goût douteux. Rabelais, à qui nous sommes toujours obligé de revenir pour ces sortes de cas litigieux, aurait à coup sûr trouvé une plus fine allusion. Le sens dénaturé de la pensée d'Hamlet est loin de valoir l'explication de l'antique sacrifice au Minotaure. Examinons, comme précédemment, les quelques passages où reparaissent, à côté de plaisanteries burlesques et d'élégants paradoxes, le bon sens et la vraie finesse d'esprit de Balzac. C'est d'abord, dans le « Traité de la politique maritale », l'heureuse comparaison entre un mari et un monarque constitutionnel.

Qui peut gouverner une femme, dit l'écrivain, peut gouverner une nation. Il existe en effet beaucoup d'analogie entre ces deux gouvernements. La politique des maris ne doit-elle pas être à peu près celle des rois? Ne les voyons-nous pas tâchant d'amuser le peuple pour lui dérober sa liberté; lui jetant des comestibles. à la tête pendant une journée, pour lui faire oublier la misère

d'un an'; lui prêchant de ne pas voler, tandis qu'on le dépouille; et lui disant: Il me semble que si j'étais peuple, je serais vertueux? » Voilà sept lignes qui valent autant que tout le livre. C'est du Rabelais ceci, et du vrai. Montaigne lui-même n'a rien dit d'aussi spirituellement profond.

Nous ne faisons que citer les chapitres relatifs à l' « Hygiène du mariage »; quelque peu grivois, ils sont tout de même intéressants, instructifs, et contiennent des vérités de premier ordre. « La femme est pour son mari ce que son mari l'a faite. » Telle est la conclusion. On ne saurait mieux trouver. Après la « Théorie du lit», qui n'a rien que de très moral, malgré le titre, nous retombons dans le paradoxe, à propos des « Révolutions conjugales »>, d'où nous détachons cette perle digne de Machiavel: « Le dernier degré du bien jouer chez un prince est de persuader à son peuple qu'il se bat pour lui quand il le fait tuer pour son trône. » Dans la Physiologie du mariage, le prince est le mari, et le peuple la femme; le trône, c'est l'indépendance et l'honneur du mari.

A propos de la correspondance, Balzac émet une opinion que de récentes discussions entre Alexandre Dumas fils et je ne sais plus quelle femme de lettres, nous font un devoir de mettre en lumière. «< Une convention qui doit rester sacrée entre les époux est celle par laquelle ils se jurent l'un à l'autre de respecter le cachet de leurs lettres respectives. Celui-là est un mari habile qui consacre ce principe en entrant en ménage, et qui sait y obéir consciencieusement. » Que ce soit calcul ou galanterie, Balzac se range donc sur ce point délicat à l'avis des femmes, et il a d'autant plus raison que, comme il l'avoue ensuite, il n'existe aucun moyen d'empêcher deux amants de correspondre. Toute cette haute philosophie conjugale se termine enfin, après les << Essais sur la police », « l'Art de rentrer chez soi » et « les Péripéties », par la méditation sur « le Budget », où l'auteur flétrit avec une énergie dont on ne saurait trop le louer, la plus dégradante des fautes de la femme, commise, hélas! trop souvent dans les ménages brouillés, et que nous appelons, sans plus de commentaires, la prostitution dans le mariage.

<< La Guerre civile », tel est le titre de la troisième et dernière partie de la Physiologie du mariage. Ce n'est presque plus une étude analytique; l'écrivain substitue maintenant aux théories une série de faits racontés avec un art des plus piquants. Là, Balzac passe en revue et généralise les événements qui ont habituellement lieu dans l'adultère. Après en avoir étudié les causes et trop peu sérieusement les remèdes, nous en voyons les effets expliqués et commentés suivant des vues généralement saines. A part le chapitre où il est parlé des « Compensations », dissertation très juste, mais d'un sens forcément peu moral, cette partie est la plus sérieuse de tout l'ouvrage. Il s'y trouve une remarquable définition de la pudeur, qui prouve combien Balzac avait en réalité d'estime pour les femmes en général. « La pudeur, dit-il, est la conscience du corps, elle est une des conditions essentielles de la vitalité du mariage. » Cela rachète bien des légèretés d'ailleurs. La méditation sur « la Paix conjugale » développe un fait qui est presque toute la raison du mariage dans l'ordre moral avant de l'être dans l'ordre social c'est que le temps affaiblit les passions, et efface le souvenir de tous les maux de la vie y compris l'adultère. Balzac rappelle le mot de Napoléon « Si l'homme ne vieillissait pas, je ne lui voudrais pas de femme. » C'est parfait, mais puisqu'il vieillit... la conclusion est en faveur du mariage. « Après tout, dit l'écrivain, s'il existe tant de plaintes contre cette institution, c'est peut-être parce que l'homme n'a de mémoire que pour ses maux, et qu'il accuse sa femme comme il accuse la vie, car le mariage est une vie dans la vie. » Voilà qui est la raison même.

Eh bien, nous ferons en terminant un dernier reproche à Balzac c'est, après avoir parlé de toutes les choses en somme plutôt déplorables que risibles de l'adultère, de n'avoir presque rien dit de l'amitié des époux, succédant souvent aussi bien à la discorde qu'à l'amour. N'est-ce pas là le desideratum légitime de l'homme et de la femme dans un contrat moral basé sur le bon sens et la raison? On regrette que l'auteur de la Comédie humaine n'ait fait qu'effleurer ce sujet. Il faut bien se figurer que, dans la vie ordinaire, un mari n'est pas uniquement aimé

pour ce qu'il procure de bien-être ou de plaisir à sa femme, mais pour ce que son amitié éclairée causera de joies morales, rendra de véritables services à celle qui en est l'objet. La paternité morale, voilà le véritable sentiment que l'homme doit prodiguer à la femme, qui est presque toujours un enfant, pour s'en faire aimer jusqu'à la mort. L'amour rassasié fait faillite, suivant la juste expression de Balzac lui-même, parce que la raison n'est presque jamais la base de l'amour. L'amitié, au contraire, devient de plus en plus forte à mesure qu'on avance dans la vie. Celle d'une femme, avec sa tendresse et son charme particulier, aide beaucoup à vivre; il faut donc la rechercher; mais il est bien difficile, peut-être impossible à certains hommes de faire la conquête de cette précieuse chose qui demande pour exister beaucoup de délicatesse, de grandeur d'âme et une perpétuelle soumission des sens.

Nous parions que si M. Henry Fouquier, le plus gracieusement féminin de nos virtuoses de la chronique, avait fait la Physiologie du mariage, il n'aurait point commis la lacune de Balzac. Nous lui laisserions volontiers la parole pour la combler, mieux que ne nous le permettent nos moyens. Seul, il pourrait achever notre jugement sur cette étude analytique, et même compléter la Physiologie du mariage, lui qui a tant de fois parlé, avec une sagesse que la génération présente ne saurait trop admirer, du beau, du noble, du grand rôle de la femme dans la façon dont elle doit élever et guider l'homme. Notre digression sur le nom et le talent de cet écrivain n'a d'autre but que de montrer dans quel sens nous aurions voulu que fût écrit le livre de Balzac sur le mariage. N'aurait-il pas mieux valu, pour l'auteur de la Comédie humaine, ne consulter que la raison et presque pas la fantaisie pour faire son étude? Il avait bien assez des Contes drolatiques pour prouver qu'il pouvait balancer Rabelais.

PETITES MISÈRES DE LA VIE CONJUGALE

Que dire des Petites Misères de la vie conjugale après la Physiologie du mariage? Presque rien. Les petits volumes de Gyp

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