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de la Vie parisienne, sont autrement amusants que celui de Balzac; mais ils ont peut-être moins de fond, car il y a beaucoup de philosophie dans ce panorama des misères conjugales. Si la Physiologie du mariage a la prétention de faire éviter aux maris les infortunes de l'adultère, la deuxième étude de Balzac est encore mieux faite pour rendre les ménages meilleurs, en leur indiquant les écueils des désunions causées par des niaiseries. Il y a deux parties dans le livre: l'une contient la série des misères dont la femme peut rendre son mari victime l'autre, le tableau des ennuis de toute sorte que causent à une femme les nombreux défauts du mari. C'est, en somme, un résumé de tous les faits que l'on pourrait appeler « les Mesquineries du mariage ». La lecture de ce livre se commence par un éclat de rire. Quand on a tourné la dernière page, la réflexion arrive et finit par vous rendre sombre, absolument comme une vision rétrospective des comédies, d'abord amusantes et finalement écœurantes, de la politique de « bascule ».

Vis-à-vis du mari, Balzac compare la femme à une Chambre des députés en guerre avec le pouvoir exécutif. Comme la Chambre, l'épouse fait de l'opposition, et l'opposition, dit plaisamment l'écrivain, n'a pas pour but d'avoir raison, elle n'a de raison d'être que celle de créer des embarras au pouvoir. De là Balzac tire l'historique du « 18 Brumaire des ménages » et de leur « Campagne de France » : ce sont les deux parties le plus pleines d'humour. Sont encore à signaler les pages où l'auteur traite de la logique et du jésuitisme des femmes. La logique des femmes, cette chose qu'on croit si complexe, consiste tout bonnement, d'après Balzac, à ne jamais exprimer qu'une seule idée, celle qui formule leur volonté. « Comme toutes les choses de la nature femelle, ce système peut se résoudre par ces deux termes algébriques : Oui Non. Il y a aussi quelques hochements de tête qui remplacent tout. » Qu'une seule d'entre les femmes ose démentir, elle, cette logique serrée de Balzac!

Le vrai chapitre de haute morale du livre est celui qui a pour titre «<les Ambitions trompées ». Là, l'écrivain, fort expert en la matière, fait un tableau, hélas trop vrai! des mille souffrances

que la médiocrité intellectuelle d'un mari, d'abord pris pour un grand homme, fait endurer à une jeune femme! Aussi, exprimet-il quelque part le vœu que son livre apprenne aux hommes à traiter les femmes comme elles doivent l'être, c'est-à-dire en reines. Nous applaudissons de tout cœur à cette idée.

Il y a bien d'autres chapitres très intéressants; mais le chapitre essentiel manque, celui qui devrait traiter de la plus grande des petites misères conjugales, « le Divorce ». Balzac n'avait pas prévu la loi Naquet. Il doit en ressentir bien de la confusion dans l'autre monde!

CONTES DROLATIQUES

APPRÉCIATION GÉNÉRALE

Notre étude sur Balzac ne saurait être complète, si nous ne disions un mot de ce que le romancier a produit en dehors de la Comédie humaine. L'esprit et le style des fameux Contes drolatiques, par exemple, ne peuvent être passés sous silence. Ces contes auraient suffi pour donner à leur auteur une bonne place dans notre littérature. Comme on le verra plus loin, nous avons dù constater que Balzac a souvent manqué d'esprit ou écrit très incorrectement, mais il faut bien se garder de formuler cette accusation à propos des Contes drolatiques, qui sont un chefd'œuvre de style, et qu'on jurerait être sortis de la cervelle de Rabelais ou de Verville, tant ils donnent l'illusion de la gracieuse et naïve époque de la Renaissance, où rois et princesses ne s'effarouchaient point du franc parler des Triboulets.

Balzac, tout poète qu'il était, n'avait point le caractère excessif du rêveur, comme lord Byron, ou du conteur lugubre, comme Hoffmann. Il avait l'esprit plus positif et très peu sceptique, presque naïf, sans qu'il le paraisse. Sans cela, il n'aurait jamais été réaliste. Aussi, en vrai disciple de Rabelais, en dépit de son manque d'argent et de protections, aimait-il à rire, de ce rire bruyant, franc, épanoui, très fin aussi parfois, qui indique une heureuse insouciance, une philosophie douce, la franchise et la bonté de l'âme. Il y a trop peu de ces bons et braves rieurs du genre de Balzac, qui sachent, quand on doit, d'une part, «< humer le piot » comme Gargantua et « se réjouir la panse »; de l'autre,

compatir effectivement aux souffrances d'autrui. Franchement, c'est à regretter. A l'opposé de certains gêneurs moroses, Balzac trouvait que la vie matérielle a du bon. Que voulez-vous? Il n'était pas un méchant buveur d'eau claire, et l'écrivain, que l'on pourrait accuser de pessimisme, quand on a lu le Père Goriot ou les Parents pauvres, était au contraire, dans la vie pratique, l'optimiste le plus entêté qu'il fût possible de voir.

C'est à ce légitime amour du rire, chez Balzac, que nous devons les Contes drolatiques. Si la morale en est un peu légère, c'est pour nous le cas ou jamais de désirer n'avoir point d'yeux pour voir; car, en dépit de leur légèreté, ces contes sont un rude coup porté à la sécheresse des analystes, à l'humeur noire des hypocondriaques, voire même à l'hypocrisie de certaines gens par trop vertueux, dissimulée sous le nom de pudeur. Le conteur nous donne lui-même un bon conseil « Voiez les joieulzetés qui se pourmènent soubz vostre nez et en riez, dit-il. Tout est chair à ridiculet le hault trésorier et la iustice abbatiale, ceulx portant braquemart et rapière, gens de grimoire et de moinerie, ribauds et gentils damoiseaux, hault assis, hault perchés, tous vrais parpaillots et grands saulteurs. Toute cette harpaille doibt estre marottée de la bonne façon, comme boule à travers quilles, par petites joieulzetés, joieulzes mocqueries, mocqueuses adventures, adventureuses souvenances, pourtraicturant les faicts, dicts et gestes de tout drâlard, petit ou grand. Ai fiance qu'ainsy gros nous rirons. » — Eh bien, il fait si bon rire innocemment de cette manière, qu'il y aurait mauvais vouloir à ne pas suivre l'auteur dans cette joyeuse voie. Nous reconnaissons volontiers que les Contes drolatiques sont une épice d'un goût un peu fort pour le palais des délicats. En les faisant, Balzac s'est peut-être laissé aller à payer un large tribut à cette tendance particulière d'esprit obscène, qui pousse tant d'écrivains de génie à la « gaudriole», à la « gauloiserie »; mais, ceci dit, nous ne pouvons nous empêcher de constater qu'il y a de fort jolies trouvailles à faire dans les Contes drolatiques.

Prenons au hasard comme exemple le conte intitulé la Belle Impéria. Quelle plus jolie satire trouver, contre les mœurs «< guallantes» des princes de l'Église, accusateurs de l'infortuné Jean Huss? Un tout joli « petit prebstre Tourangeau, pauvre tout son saoul », est le héros du conte. Balzac ne manque pas de rapporter à son mignon et plantureux pays de Touraine, patrie de François Rabelais, son maître en sapience et en comédie, tout ce qui se passe de plus amusant. Ce petit prêtre amené à Constance par le vieil archevêque de Bordeaux, qui « par force ne peschoyt plus et passoyt pour un sainct », voit parmi les membres du concile des gens menant une vie dissolue « et n'en gaignant pas moins d'indulgences plénières et de bénéfices que d'aultres très sages et rangez ». Il veut alors, lui aussi, « faire sa provision à pannerées, puisque ung chascun puise au giron de nostre saincte mère l'Ecclise sans le tarir, miracle qui prouvoyt bien la présence de Dieu ». Notre rusé et mignard Tourangeau se faufile un jour jusque dans la chambre de la belle Impéria, « la plus précieuse et fantasque fille du monde, la plus lucidificquement belle, qui s'entend le mieulx à papelarder les cardinaux, les potentats, les oppresseurs du peuple; qui n'avoyt qu'un mot à souffler à ceste fin d'occire ceulx qui faisoyent les faschez, et qui rabrouoyt ou menoyt à la baguette les abbés commendataires, auditeurs de rote, légats, évecques, princes, ducs et margraves, comme elle auroyt pu faire de simples clercs desnuez d'argent. Là, le petit prebstre émerillonné, parlant ce bon languaige auquel les dames entendent sans poincts, virgules, accens, lettres, figures ni charactères, notes ou imaiges, trouve moyen de faire donner congé par la maistresse de céans au gros évecque de Coire, soingneux plus qu'aucun du vestement de peau ecclésiasticque dans lequel sa desfuncte mère l'avoyt cousu. » Le cardinal de Raguse, le boute-en-train du concile, homme « à daguer deux moynes et à vendre son morceau de vraye croix pour obtenir sa repeue », n'est pas plus heureux que l'évêque. Il a eu beau donner à choisir au petit prêtre entre « le hault bois » s'il reste, ou « la mitre» s'il décampe; promettre à la gente Galloise des dispenses in articulo mortis, et la plus belle place dans le ciel; il se

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