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trouve congédié comme simple moine par la belle Impéria, « qui, trouvant le petit prebstre rougeaud le plus parfaict moyne, le plus ioly petit moyne, moynant, moynillant, qui ayt iamais. moyneaudé dans ceste saincte et amoureuse ville de Constance, lui promet, qu'il sera tost cardinal, quand pour rougir sa barrette, elle debvroyt verser tout le sang de son cueur, elle dont les princes treuvoyent la pantophle de plus hault goust que celle du pape ».

Tout cela est un petit tableau comique de la vie menée par quelques membres du haut clergé au concile de Constance. Après les discussions théologiques et la lecture du bréviaire, les abbés de ce temps chantaient l'alleluia secret chez les Galloises. «< Tout alloyt bien ainsy, dit le conteur; mais aussy il y avoyt de la foy et de la religion. Voilà comment le bonhomme Huss fut bruslé. Et la cause? Il mettoyt la main dans le plat sans en estre prié. Et doncques, pourquoi estoyt-il huguenot avant les aultres? »

De grandes vérités se cachent sous ce ton plaisant, qui est la plus mordante critique de l'aveuglement du fanatisme religieux, mêlé aux abus impudiques qu'engendre le trop grand bien-être des gens au pouvoir.

Nous devons considérer l'ensemble de ces Contes, qui ne sont pas sans apprendre d'excellentes choses au lecteur, malgré le côté obscène de certains, comme une œuvre d'art admirablement fouillée et ciselée par la main du plus fin des artistes. Ces Contes sont surtout une œuvre de style. Balzac, qui a souvent parlé d'une façon défectueuse la langue du XIXe siècle, aurait doublé sans peine Rabelais au xvi. Il est allé jusqu'à faire revivre, dans certains passages, les grâces naïves du style de Froissard et de Commines, de Montluc et de Brantôme. Pour juger les Contes au point de vue moral, nous nous contenterons de dire, avec l'auteur, qu'ils ne sont point faits pour les couvents.

THEATRE DE BALZAC

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Nous dirons fort peu de choses du « Théâtre de Balzac », car le propre du grand écrivain est bien d'avoir été Molière ou Shakespeare, mais sans la scène. Un romancier a toujours, plus ou moins, le tempérament d'un auteur dramatique. Balzac a donc fait du théâtre comme tant d'autres, mais, à vrai dire, sans grand succès. Ce n'est pas que les drames qu'il a composés soient mauvais, mais ils s'adaptent difficilement à la scène. De tel roman, inférieur au roman le moins bon de Balzac, on peut tirer une pièce supérieure au meilleur de ses drames. Balzac mettait bien au-dessus de la gloire du romancier celle de l'auteur dramatique. Il était passionné pour le théâtre, qu'il considérait comme une école universelle de morale. Faire des pièces de théâtre était pour lui une aussi haute mission que celle de l'historien, du professeur, du philosophe, en même temps que la meilleure manière de propager une idée. Sa grande ambition eût été de transformer son œuvre en comédies et en drames, de manière à donner une représentation réelle des scènes de la Comédie humaine. S'il n'a pu arriver à faire jouer que cinq pièces, il en a laissé vingt et une à l'état de projet sous différents titres, ce qui prouve qu'il a beaucoup écrit pour le théâtre, et que son désir le plus cher était d'y triompher, chimère qu'il n'a pas eu besoin de réaliser pour être un homme vraiment célèbre. Le génie de Balzac était donc fait pour toute autre chose que le théâtre; c'est peut-être à regretter, car on connaît l'irréprochable

conscience littéraire de l'écrivain. Si, auteur dramatique de génie bien plus que romancier, il avait apporté dans l'élaboration des pièces cette admirable conscience, son théâtre aurait été, comme plus tard celui d'Emile Augier, une incomparable merveille. Mais un auteur, pour si puissant qu'il soit, ne peut avoir tous les tempéraments. Il nous paraît difficile à un écrivain d'atteindre, par exemple, le même degré de perfection en poésie et en prose, et de faire d'un bon roman une pièce de même valeur. Aussi, devons-nous nous contenter d'étudier, dans Balzac, le roman, et non le théâtre. Et d'abord, une chose aurait manqué au romancier pour être auteur dramatique complet c'est la faculté d'écrire en vers. Poète par le cœur, il ne l'était point de fait Avec sa pétulance et la manière dont les idées lui venaient, il lui aurait été impossible d'observer le rythme. Sainte-Beuve a comparé la manière d'écrire de Saint-Simon, « à une source abondante qui veut sortir par un goulot trop étroit et qui s'y étrangle». Qu'il nous soit permis d'emprunter à l'illustre critique cette heureuse comparaison, pour l'appliquer à Balzac.

« Cette précipitation des choses sous la plume », observée dans les fameux Mémoires, se remarque pareillement dans la Comédie humaine, et c'est la meilleure raison qu'on puisse donner de l'inaptitude de Balzac à écrire en vers. Or, nos plus grands auteurs dramatiques, à peu d'exceptions près, ont été poètes; il est donc peu rationnel de mettre le théâtre de Balzac en parallèle avec leurs œuvres. Du reste, l'auteur de la Comédie humaine, bien qu'il fût un peu vantard, avait la bonne foi de se reconnaître lui-même, en fait d'art dramatique, très inférieur à beaucoup de ses contemporains, qui, d'un autre côté, ne lui arrivaient pas à la cheville comme romanciers.

On allait jadis au théâtre entendre une pièce de Balzac par curiosité, par engouement pour la célébrité dont l'auteur jouissait depuis longtemps. On faisait même des ovations à ses pièces. La postérité a été plus froide, et Balzac le pressentait. Au lendemain de la première de la Marâtre, jouée en pleine révolution de 1848, un ami dit à l'auteur : « Nous avons remporté la victoire. Oui, répondit Balzac, une victoire à la façon de

celle de Charles XII. » On voit qu'il ne se dissimulait point sa défaite. Plus modeste en cela qu'un de nos écrivains du jour qui prétend l'égaler presque, il ne lançait pas, sur le ton de l'anathème, à la face des critiques, ces paroles d'un pédantisme inouï << Vous m'avez déjà fait grand romancier, vous êtes en train de me rendre grand dramaturge!» Non, plus sensé que le trop célèbre auteur de cette phrase, Balzac est resté romancier, et, comme tel, il a acquis une gloire plus que suffisante, pour être aussi grand, dans son temps, que le premier de nos auteurs dramatiques.

Il est donc reconnu que Balzac n'a eu au théâtre que des demi-succès, et cela tient, non au fond de ses pièces, qui est semblable à celui de ses romans et tout aussi intéressant et solide, mais à une foule de petits défauts dans la façon du drame c'est d'abord l'agencement des scènes, quelquefois inhabilement fait, comme dans les Ressources de Quinola, puis l'exagération du réalisme des personnages qui, acceptable dans le roman, devient choquante au théâtre.

En voyant Vautrin, Gertrude de Meilhac ou Mercadet sur la scène, le parterre crie à la fantaisie, et il n'a pas tort. Le dialogue, remarquable dans le roman, est souvent lourd dans la pièce. Là où il ne faudrait que de courts traits d'esprit, l'auteur déploie les tirades philosophiques qui lui sont familières. Les paradoxes ne manquent pas, et, quel que soit leur brillant, ils sont plus difficiles à digérer quand on les entend sur une scène que lorsqu'ils sont lus. Quant à l'intrigue, toujours assez sobre d'événements, elle n'est pas mal conduite. On a dit de Balzac qu'une grande pauvreté d'intrigue règne dans ses œuvres. Nous n'affirmerons pas le contraire, mais nous pensons que, dans le roman, cette pauvreté d'intrigue, qui dans la Comédie humaine est du reste très relative, constitue plutôt un mérite. Le caractère. d'un individu nous importe plus à connaître que les événements tout particuliers de son existence, bons à citer seulement pour la clarté du livre, et dont le récit détaillé offre peu d'intérêt. Mais ce qui est une qualité pour le roman est souvent un défaut au théâtre. Si Balzac a raison, d'un côté, de préférer dans ses

romans la simplicité de l'intrigue aux trucs spéciaux qui font parfois le succès d'un livre, il néglige trop, d'autre part, dans son théâtre, les nécessités d'art dramatique, indispensables à la vogue d'une pièce.

Quoique Balzac n'ait pas eu beaucoup de chance au théâtre, ses comédies et ses drames, au point de vue de l'idée générale qui les a fait concevoir, ont une réelle valeur. Nous croyons même que, joués devant un public exclusivement composé de philosophes et de gens de lettres, ils seraient goûtés des plus difficiles. Cette opinion, tout à l'honneur du théâtre de Balzac, nous fait engager le lecteur à parcourir les quelques pièces qui en sont connues. Cela ne peut que jeter plus de lumière sur ce que nous avons déjà dit de l'universalité du génie de l'écrivain.

Les deux drames les plus connus de Balzac, ceux qui peuvent donner une idée juste de la valeur de l'écrivain comme auteur dramatique, sont Vautrin et la Marâtre. A propos de drame, il est particulièrement intéressant de signaler le projet, prêté à Balzac, de prendre pour sujet d'une de ses pièces capitales, l'épisode le plus romanesque de l'histoire de la Russie : l'élévation de Catherine, ancienne fille d'auberge, remarquée par Pierre le Grand, au rang d'impératrice. Dans ses Historiettes et Souvenirs d'un homme de théâtre, M. Hostein a reproduit, comme le tenant de la bouche même de Balzac, le prologue entier de cette pièce qui devait être intitulée Pierre et Catherine. Ce passage de la conversation attribuée à Balzac est tellement empreint du cachet de facture dramatique propre à l'au teur de la Comédie humaine, que nous ne saurions douter de son authenticité. En quelques phrases, s'y trouve condensé l'intérêt le plus émouvant qui puisse ressortir d'une intrigue. Le prologue donne véritablement une idée éblouissante de ce qu'aurait été la pièce : cela s'explique parfaitement. Balzac adorait les Russes et leur pays. Il ne tarissait pas d'éloges sur le grand peuple, dont il disait : « Il n'y a chez eux que des cœurs d'or. » Aussi regrettons-nous vivement que le temps lui ait fait défaut, pour

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