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appliquer quelque peu son génie à l'étude des mœurs de cette nation, dont le comte Tolstoï, le Balzac russe contemporain, nous révèle les qualités merveilleuses. Quel retentissement énorme aurait eu sur une scène parisienne un drame tel que Pierre et Catherine! Nous ne pouvons reproduire ici l'article de M. Hostein qui en a conservé le prologue; mais nous engageons sincèrement tout le monde à le lire dans la quatrième partie de l'Histoire des OEuvres de H. de Balzac, très remarquable ouvrage, dù à la plume d'un éminent balzacien, le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, vrai monument de bibliographie contemporaine où sont (recueillis tous les documents pouvant utilement servir à la propagation du renom de Balzac 1.

Nous ne connaissons de Balzac que trois comédies. Deux d'entre elles seulement ont été jouées : les Ressources de Quinola et Mercadet le Faiseur. La troisième, l'École des ménages, dont le titre promet une pièce bien intéressante, analogue peutêtre à l'École des femmes et à l'École des maris de Molière, existe à l'état de manuscrit, mais nous n'en connaissons point le

canevas.

Lorsqu'il fit les Ressources de Quinola, Balzac songeait à doter la scène française d'une pièce du genre anglais ou espagnol, réclamé à grands cris, paraît-il, par tous les critiques d'art. La tentative fut infructueuse et, malgré les éloges de quelques écrivains illustres, entre autres Victor Hugo et Lamartine, la comédie de Balzac fut sifflée. Il s'en émut beaucoup, car il n'a jamais cessé, en dépit des critiques, de considérer sa pièce comme un chef-d'œuvre. On peut dire que c'est celle à laquelle il tenait le plus, en raison des tendances d'art nouveau qu'il cherchait à y introduire. Quinola joint à l'esprit de Mascarille et à la ruse de

1. S'il se formait une association régulière d'admirateurs de Balzac et de lecteurs fanatiques de ses œuvres, c'est à M. de Lovenjou qu'il faudrait en donner la présidence. En citant ici son magnifique ouvrage d'érudition balzacienne, nous sommes heureux de l'occasion qui nous est offerte de lui exprimer, en même temps que notre sympathie, notre profonde gratitude pour les renseignements qu'il nous a si gracieusement fournis au cours de notre Étude sur les travaux inédits et la correspondance de Balzac, actuellement en préparation.

Gil Blas la philosophie de Triboulet. En créant ce personnage, Balzac a fait preuve de beaucoup d'esprit; Quinola ne vaut pas cependant le fameux Mercadet, dont nous dirons un mot pour finir notre étude du théâtre de Balzac.

La comédie intitulée Mercadet est sans contredit la meilleure de Balzac. Elle n'a été représentée qu'après avoir subi un remaniement complet de la part de M. d'Ennery. Mercadet, bien mieux que Vautrin, est une pièce toute d'actualité. Après les récents désastres financiers qui ont affligé le pays, ce qu'elle représente a un cachet de vérité, bien plus frappant de nos jours qu'en 1840. C'est une terrible satire, d'une verve sans égale, contre la soif effrénée des spéculateurs, les menées avides d'hommes d'argent qui côtoient sans cesse l'infamie. La fièvre de la spéculation, une des grandes plaies modernes, y est décrite avec un talent hors ligne. Là, le génie réaliste de l'auteur se déploie dans toute sa force; le moraliste y exerce ses plus brillantes facultés de redresseur de torts. Certaines scènes de Mercadet sont inimitables. Nous ne croyons pas que Molière ou Cervantès, flétrissant des vices ou des ridicules de leur époque, aient trouvé des accents de raillerie plus forte que Balzac pour châtier la cupidité dévorante des sociétés financières de notre temps. Il y a dans cette comédie une abondance inimaginable de traits mordants, tranchants comme un couperet, qui, appliqués à la conduite de certains de nos brasseurs d'affaires, mettraient leur réputation en miettes. Et encore, Balzac a-t-il voulu que son << faiseur » possédat quelques bons sentiments. Il le fait sauver au moment de la chute irrémédiable, ce qui produit dans la pièce un admirable mélange de grotesque et de pathétique des plus saisissants. Balzac ne pouvait choisir pour le lieu de l'action d'autre endroit que Paris. Cette comédie appartient essentiellement à la vie parisienne. Elle est le corollaire obligé des romans Gobseck et la Maison Nucingen.

En terminant ce trop court aperçu du théâtre de Balzac, rappelons une opinion de plusieurs critiques, que nous partageons entièrement, à savoir que l'auteur de la Comédie humaine, bien que placé au second rang comme auteur dramatique, a eu une

influence considérable sur le théâtre contemporain. Le fait est exact; seulement ce n'est pas, comme on pourrait le croire, dans les quelques pièces jouées de Balzac qu'il faut en rechercher la cause, mais dans son œuvre tout entière, dans le roman surtout; c'est à la méthode de composition littéraire inaugurée par Balzac, à son réalisme, en un mot, qu'est dù le genre de nos pièces de théâtre actuelles. Et ceci n'est qu'un corollaire de l'influence générale exercée par le romancier sur la littérature contemporaine.

CHAPITRE DES CONCLUSIONS

CRITIQUE GÉNÉRALE DE L'OEUVRE DE BALZAC

Nous avons terminé le détail de l'étude sur la Comédie humaine. Toute notre crainte est d'avoir affaibli, en le résumant, ce drame pathétique et poignant de la vie, que Balzac a écrit mieux que personne, et dont les développements, sur la scène si changeante du monde, portent, d'acte en acte, l'émotion du lecteur à son comble. Au commencement de notre étude, nous avons expliqué la conception générale de l'œuvre, et montré quelle place elle occupe par son genre dans l'histoire des lettres au XIXe siècle. Pour clore dignement le discours, il nous reste à parler quelque peu de Balzac lui-même, de sa science, de sa méthode de composition, de son genre et de ses habitudes de style; ce sera comme une vue d'ensemble du fond de la Comédie humaine, expliquée par quelques traits définitifs sur l'auteur. Nous nous permettrons ensuite de résumer, en les appréciant, les principaux jugements portés sur cette œuvre. De cette contrecritique, si nous pouvons nous exprimer ainsi, devra ressortir une dernière fois, avec ses grandeurs et ses incohérences, le genre d'architecture du monument. Dans nos conclusions, enfin, nous essayerons de dire quelle véritable impression générale doit laisser, tant dans l'esprit des lecteurs que dans celui des critiques, l'originalité du génie de Balzac.

Nous avons vu Balzac, dans les applications si diverses de son intelligence et de son talent, se révéler à la fois psychologue, physiologiste, moraliste et, par-dessus tout, grand peintre. Il était

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