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maître, si mes idées à ce sujet sont saines, claires, et s'appuient bien sur la raison. Je n'ai pas caché que le naturalisme a du bon en principe; il suffit donc, pour en combattre les erreurs, de remonter le courant jusqu'à sa source, jusqu'au réalisme, qui sera et a toujours été, peut-être sous d'autres noms mais avec le même principe, la vraie expression de l'art, sa méthode la plus sûre, comme la vraie philosophie doit reposer sur une entente parfaite du raisonnement abstrait méthode de Platon et de Pascal et de la science pratique méthode des savants du jour.. Dans l'art en général, et la littérature en particulier, le réel, ai-je déjà dit, est la base de l'œuvre, son critérium; mais l'idéal en est, à mon sens, la fin supérieure, le but suprême, la tendance de l'âme de l'artiste vers l'infini. L'observation des choses créées par Dieu, mais imparfaites en soi de la réalité, doit servir d'échelon au poète pour s'élancer vers les choses parfaites, incréées, qu'il ne voit pas, mais qu'il sent. Voilà l'unique et vraie théorie de l'art. Ainsi donc le réalisme, au lieu d'être, comme on y est arrivé par le naturalisme, la suppression de l'idéal, doit essentiellement constituer le principe primordial de la théorie de l'art qui ramène au réel, en le prenant pour base même de l'aspiration vers l'idéal. Une œuvre d'art se trouve être ainsi la transformation du réel par l'idéal. De cette façon le but de l'art est atteint; car l'art a un but, il faut se garder de le nier, à savoir la fidèle reproduction du beau, l'émotion forte et salutaire que donne la contemplation de belles œuvres.

Au point de vue de la forme, qui dans toute œuvre d'art frappe la première les sens avant de faire pénétrer dans l'âme la pensée de l'artiste, le naturalisme a produit, con

séquence de son trop grand libéralisme en fait d'art, une des plus graves erreurs qu'il fût possible d'inventer je veux parler du système de « l'art pour l'art ». Cette erreur est aujourd'hui la plus sensible, celle qui se manifeste avec le plus d'évidence aux yeux de la réaction dans les écarts du naturalisme. Comme toujours, c'est par la forme que l'on commence à s'apercevoir des défauts du fond. Cette théorie de l'art pour l'art, telle que l'ont pratiquée Flaubert et bien d'autres, et à laquelle Balzac a, hélas! avouons-le à regret, donné un certain poids, cette théorie, dis-je, est une absurdité. L'art pour lui-même est un non-sens. Rien dans la création n'est par soi ou pour soi; l'art comme toute chose est pour un but, une fin supérieure à lui-même. Les artistes ne sont que les intermédiaires de l'art visant à cette fin. L'art seul, par définition, porte évidemment en luimême la beauté qui lui est propre; c'est là, si l'on veut, la raison philosophique de l'expression « l'art pour l'art » appliquée à un système. Mais cette expression est devenue de nos jours la source d'un malentendu. Les romantiques, voulant avec raison donner aux productions de l'art la liberté d'inspiration, ont, les premiers, inventé la formule de « l'art pour l'art ». De nos jours, cette formule a changé de sens et s'est pervertie. Qu'est-ce qui constitue une œuvre d'art? Deux choses premièrement, la pensée qui l'a produite; deuxièmement, la forme donnée à l'œuvre par l'artiste. L'harmonie entre la pensée et la forme produit le beau, but utile de l'art par les impressions qu'il cause au lecteur ou au spectateur appelé à juger du degré du beau. Telle est la règle immuable posée depuis l'antiquité, éternellement vraie d'Homère à Victor Hugo, de Raphaël à Courbet. Eh bien, il est des

hommes qui ont eu l'insigne folie de ne se préoccuper dans une œuvre d'art que de la forme, tenant la pensée, l'idée, c'est-à-dire le fond, pour quantité négligeable. L'art, ont-ils dit, n'est plus qu'une question de forme. La pensée peut être ce qu'elle voudra, grande ou médiocre, vraie ou fausse, de bon ou de mauvais goût, pourvu que la forme lui soit proportionnée et en donne l'expression exacte, le beau se trouve créé et le but de l'art atteint par cette simple exactitude de la forme. Voilà l'explication de la nouvelle théorie de « l'art pour l'art » : Pensez ce que vous voudrez, que ce soit une sottise, pourvu que ce soit bien dit, c'est de l'art. L'absurdité d'un pareil principe d'esthétique est facile à vérifier. D'abord, ce principe supprime le choix des idées génératrices des œuvres d'art; ces idées se valent toutes. La beauté des œuvres n'a plus rien d'absolu; elle dépend de tout, même de ce qui est le plus étranger à l'art. Le sonnet d'Arvers est aussi grand que la Légende des siècles, l'éloquence de M. Joffrin vaut celle de Mirabeau, la prose de Monsieur Ohnet celle de Voltaire. D'après cela, il devient aussi intéressant de peindre une action quelconque des sens qu'un mouvement du cœur ou le phénomène d'une grande pensée. La théorie de « l'art pour l'art » déplace la base de l'art en ramenant les pensées d'artistes divers au même niveau, et en établissant seulement des degrés dans la forme. Cette théorie laisse le champ libre à toutes les insipides médiocrités; on ne saurait trop en condamner la honteuse et envahissante application. C'est à elle que nous devons finalement de voir à notre époque la vocation remplacée par le métier, ce qui supprime de la façon la plus absolue la conscience de l'artiste. Le roman-feuilleton et la peinture impressionniste,

l'afféterie du style chez les décadents et les élucubrations de leurs imaginations maladives découlent de « l'art pour l'art ». La voilà bien, la littérature décadente! Elle vient évidemment d'un oubli par trop prétentieux des classiques et des maximes traditionnelles du bon sens. Mais les plus grands romantiques n'ont-ils pas fini par devenir, tant dans la peinture que dans les lettres, les classiques de leur genre? Tout cela c'est une querelle de mots ou de partis. Heureusement le flot envahisseur du libéralisme d'art devenu à son tour, ô ironie du sort, une formule archiconventionnelle et des plus fausses, est forcé de s'arrêter aux bornes que lui impose le sens commun. L'esprit éclairé de plusieurs critiques se révolte contre la littérature creuse et dépourvue de sentiment; de justes anathèmes ont été enfin lancés à la fois contre naturalistes et décadents ces anathèmes ont été entendus; on réagit. La psychologie et la morale, tant dédaignées en littérature, renaissent. Il faut en rétablir les principes dans les œuvres nouvelles. Ce sera faire ainsi de l'art utile, qui profite, qui soit un moyen de conduire l'humanité dans la voie du progrès en l'améliorant. Dire que l'art doit être utile, c'est, objectera-t-on, le comparer à une industrie, et M. Prudhomme a déjà prêché pour cette espèce d'utilité de l'art. Je me hâte d'expliquer comment je comprends la chose. En affirmant la nécessité de rendre l'art utile, je me garde de songer à une utilité toute matérielle qui ravalerait l'artiste au niveau de la brute; c'est de l'utilité morale que je veux parler. Et comment réaliser ce but? C'est en n'écrivant pas uniquement pour écrire, en ne peignant pas uniquement pour peindre. En un mot, c'est en ne séparant jamais de l'imitation de la nature le sentiment et l'idée. Décrire la nature, la copier,

la représenter telle que la perçoivent les sens, constitue bien, dans une œuvre d'art, la recherche du vrai; mais pour que l'œuvre soit complète, pour que le but de l'art soit rempli, il faut y ajouter la reproduction de l'idéal que seul l'esprit découvre, incarné dans la nature réelle sans que les yeux du corps l'aperçoivent. L'imagination de l'artiste achève ainsi le tableau ou le poème, en lui donnant pour expression la sublime perspective de l'infini, évoquée par ceux qui lisent ou regardent. C'est en cela que consiste l'utilité de l'art. Toutes les œuvres où la nature et le réel sont servilement copiés sans intention d'idéal, représentent des corps sans âme qui ont le reflet du beau sans en avoir le caractère; la forme seule y étant travaillée, elles ne parlent qu'aux sens et ne satisfont pas ce désir de l'artiste. qui grandit sans cesse dans un horizon sans limites. Tel est le défaut capital du naturalisme et du système de « l'art pour l'art ».

Maintenant, s'il appartient à l'étude psychologique de nous ramener un peu vers les poétiques régions de l'idéal où, n'en déplaise aux positivistes, se complaira toujours l'âme humaine, il ne faut pas oublier que la littérature doit agir sur l'intelligence et le cœur et non sur les nerfs. Ce n'est pas seulement aux naturalistes mais aux décadents que revient la responsabilité de l'influence néfaste produite par les subtilités d'une psychologie d'ailleurs très sensualiste. Il faut s'entendre sur ce mot de psychologie. Bien des gens y confondent l'étude de l'âme avec celle des instincts de l'animal ou des mouvements nerveux; il y a en un mot des philosophes qui, sans le vouloir peut-être, matérialisent par trop cette science. Cette confusion donne lieu aux appréciations les plus dénuées de sens commun

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