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connu, me dis-je, des jeunes gens de notre époque, qui pourraient cependant, comme leurs aînés de 1840, puiser dans ses œuvres de grands enseignements. La publication d'une étude est nécessaire pour donner un regain d'actualité aux splendeurs de la Comédie humaine. Avant que l'écrivain ait à Paris sa statue sur une place publique, élevonsen le piédestal dans le domaine des lettres. Le jour même, je commençai les pages que vous allez lire. Elles sont dédiées après vous aux fervents admirateurs de Balzac, à ses critiques, et en particulier à tous les jeunes artistes armés d'un vouloir à toute épreuve, qui pratiquent noblement la sublime maxime de Buffon, rééditée par Baudelaire : « Avoir du génie, c'est avoir de la patience; » ou bien encore : « C'est travailler tous les jours ».

Ils trouveront dans quelques-uns des extraits de la Comédie humaine mis exprès en relief, bien des encouragements très supérieurs à tout ce que j'ai pu dire dans cette préface.

4 août 1888.

MARCEL BARRIÈRE.

AVANT-PROPOS

Le présent travail sur Balzac comprend d'abord une introduction générale, où, partant des principes d'art posés dans la préface du Cromwell de Victor Hugo, l'auteur fait l'histoire du réalisme issu du mouvement romantique, et devenu peu à peu le naturalisme d'aujourd'hui. Cette histoire s'applique spécialement à la forme littéraire la plus répandue de nos jours, le roman de mœurs. — Balzac, à la fois chroniqueur, philosophe, et par-dessus tout peintre et historien de mœurs, est le père du roman contemporain. A sa méthode de composition réaliste, à son inimitable vérité d'expression, il joint la plus perçante acuité d'analyse psychologique et l'imagination la plus fantaisiste qu'il soit possible de voir. Son génie touffu s'applique à tout; sa pensée fouille toutes choses en tout sens. Son œuvre est à la fois l'étude la plus complète des passions humaines et l'histoire la plus vivante des mœurs de la première moitié du siècle. En un mot, cette introduction résume et définit l'œuvre de Balzac, en découvre les principes fondamentaux, la méthode d'exécution, l'ordre; elle retrace l'impression qu'en produit la lecture, l'influence considé

rable exercée sur le mouvement littéraire, et marque enfin la place que doit occuper la Comédie humaine dans notre histoire des lettres. Toute une théorie de l'art, tel que l'ont inauguré les romantiques, est renfermée dans cette introduction; l'auteur en montre l'application faite par Balzac, ses prédécesseurs, ses contemporains et ses suivants. Les différentes appellations d'écoles littéraires et philosophiques s'y trouvent définies du mieux possible. Un parallèle est établi entre la Comédie humaine et le roman actuel; le mouvement philosophique qui a produit ce genre de littérature y est étudié et analysé. L'introduction est, en somme, une sorte de philosophie de la Comédie humaine doublée de la philosophie de l'art en général.

Après cela, pour entrer dans le vif de l'œuvre, l'auteur a suivi la division indiquée par Balzac lui-même. Trois choses distinctes s'y trouvent: la Comédie humaine, les Contes drôlatiques et le Théâtre. Prenant la Comédie humaine, la partie la plus considérable, l'auteur a fait une seconde introduction, s'appliquant plus spécialement à faire ressortir une des idées de Balzac qui a servi de base commune à tous ses livres nous voulons parler de l'actualité. du pouvoir de l'argent. Ce pouvoir a existé de tout temps, jamais cependant avec autant de force qu'aujourd'hui, en raison de la multiplicité des formes de possession et d'échange que la spéculation a données à l'argent. Avec son intuition hors de pair des choses spéciales à son époque, Balzac a parlé dans tous ses romans du grand rôle de l'argent; il l'a fait avec une hauteur de vue pleine d'audace et un talent franchement exceptionnel. L'auteur a donc beaucoup insisté sur ce côté, peut-être insuffisamment compris, de la pensée de Balzac.

Comme on le sait, la Comédie humaine se divise en trois parties: Études de mœurs, Études philosophiques et Etudes analytiques. Une introduction précède chacun de ces trois groupes d'études, où l'auteur cherche toujours à expliquer le sens de la pensée de l'écrivain. De ces trois parties, les Études de mœurs constituent pour ainsi dire à elles seules presque toute la Comédie humaine. Elles se divisent en Scènes de la vie privée, de la vie de province, de la vie parisienne, de la vie politique, militaire et de campagne. La même manière d'étude a été suivie pour chacun de ces groupes de scènes; il leur a été fait des introductions successives. Enfin, chose qui constitue le vrai fond de l'ouvrage, l'auteur a analysé roman par roman chacun des livres qui composent les différents groupes de scènes; s'attachant, bien entendu, à l'analyse de ceux qu'il croit être les chefs-d'œuvre du maître. Il ne s'est pas contenté d'analyser tous ces romans d'une façon sèche, en en résumant l'intrigue. Avant tout, il s'est préoccupé d'en expliquer le sens intime; il a cherché à donner à tous un lien commun; il les a classés suivant les idées qui en ont été, selon lui, la genèse dans l'esprit de Balzac; il en a fait ressortir les côtés saillants, les beautés, les défauts; il a comparé plusieurs d'entre eux à nombre d'œuvres plus récentes; il a montré les analogies qui existent entre les personnages de Balzac et bien des héros de romans actuels. N'oublions pas, enfin, de dire que dans chaque introduction des groupes de scènes, se trouve une analyse particulière des études de Balzac sur la femme en général. Balzac

a dit que, dans le monde zoologique, le naturaliste, après avoir fait le portrait d'un mâle, achève en quelques traits ajoutés celui de la femelle. Il n'en est pas de même pour

l'humanité, où la femme ne ressemble presque jamais à l'homme. L'étude de l'homme, à ne considérer que les deux sexes, est donc double de celle du monde animal. L'auteur a suivi cette idée de Balzac dans son étude; il a réservé à la fin de chaque introduction, une analyse spéciale au genre de femmes étudiées dans les scènes qui suivent.

Arrivé aux Études philosophiques, l'auteur a cherché à découvrir, pour en apprécier la valeur, les idées de Balzac en métaphysique et en psychologie. Pour lui, la Comédie humaine est un vaste traité de philosophie expérimentale dont les Études analytiques si elles avaient paru auraient été l'ontologie, les Études philosophiques la psychologie, les Études de mœurs la morale, et le génie de l'écrivain la logique. Il s'est attaché à rendre compte du fameux Traité de la Volonté, que contient Louis Lambert; il a expliqué et commenté l'émouvant symbole de la Peau de Chagrin en faisant allusion à ce sujet au terrible mal du siècle dont se plaignait Musset, la névrose d'aujourd'hui qui fait tant de victimes et que Balzac, avec son gros bon sens, appelait l'intempérance du désir. Enfin, dans Séraphita, une des œuvres inaperçues mais capitales de la Comédie humaine, l'auteur a exalté l'ardent spiritualisme de Balzac, qui est à opposer au matérialisme du jour, source des excès de la littérature décadente et naturaliste. Dans la nouvelle Jésus-Christ en Flandre, il a résumé le sens moral de la Comédie humaine. Inutile de parler de tout ce qui a été dit, au cours de l'étude, sur la politique de Balzac, ses opinions en matière de législation, en histoire, ses appréciations de nos lois sociales tant de fois remaniées par le fait des révolutions. Balzac savait

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