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DE LA

BAISSE PROBABLE DE L'OR

DES CONSÉQUENCES COMMERCIALES ET SOCIALES QU'ELLE PEUT AVOIR

ET DES MESURES QU'ELLE PROVOQUE

TROISIÈME PARTIE.

DANGERS D'UNE DÉPRÉCIATION DE L'OR ET MOYENS DE LES PRÉVENIR.

I. - DES EFFETS QUI ACCOMPAGNENT LA BAISSE DE LA VALEUR DE LA MONNAIE
PENDANT LE TEMPS QU'ELLE MET A S'ACCOMPLIR.

D'après ce qui a été exposé dans la première partie de cet essai, nous nous trouvons, selon toute vraisemblance, à la veille d'une baisse très notable de la valeur de l'or par rapport aux denrées et à toutes les autres marchandises; plus d'une personne autorisée est même d'opinion que le fait est en voie de s'accomplir. La seconde partie (1) a été consacrée à prouver que la législation française ne reconnaît la qualité d'étalon monétaire qu'à l'argent, qu'elle fait de l'or un métal subordonné, c'est-à-dire que le franc, unité monétaire de la France, se compose invariablement de 4 grammes et 1/2 d'argent unis à 1/2 gramme d'alliage (ou de 5 grammes d'argent au titre de 9/10), tandis que la quantité d'or qui correspond au franc est variable, et que si la loi du 7 germinal an xi l'a mise à 29 centi

(1) Voyez la livraison du 15 octobre dernier, et pour la première partie celle du 1er octobre.

grammes, c'est une fixation provisoire dont le terme est arrivé depuis quelque temps même. Nous ne tarderons pas à voir qu'il n'importe pas seulement à l'honneur et à la dignité de l'état d'y mettre fin par des mesures décisives. Pour remplir de notre mieux le programme que nous nous sommes tracé, il faut maintenant examiner deux questions. D'abord nous avons à signaler les inconvéniens principaux qui accompagneraient la baisse de l'or comme aussi les avantages qui pourraient venir en balance de ces dommages. En second lieu, s'il est établi, comme je crois pouvoir le pronostiquer dès à présent, que dans certains pays et particulièrement en France, au cas où le législateur n'aviserait pas, ainsi qu'il l'avait formellement promis en l'an x1, la proportion du mal doit de beaucoup excéder celle du bien, nous aurons à chercher quelles dispositions seraient propres à empêcher ou à amoindrir les effets fâcheux de l'envahissement de notre système monétaire par le précieux métal sous une forme qu'a d'avance condamnée l'esprit de notre législation.

Cela posé, je suppose un habitant de Londres ayant en rentes sur l'état un revenu de 1,000 livres sterling. Une fois l'événement de la baisse entièrement consommé, il recevra comme aujourd'hui 1,000 disques contenant chacun 7 grammes 318 milligrammes d'or fin; c'est ce qu'on nomme un souverain ou une livre sterling. En tout, il aura 7 kilogr. 318 grammes de métal pur. La baisse étant à son terme, si l'or a perdu la moitié de sa valeur, dans toutes les transactions où il suffisait d'une pièce d'or, il en faudra donner deux. Avec ses 7 kilogr. 318 grammes du précieux métal, notre habitant de Londres ne pourra se procurer en pain, en viande, en articles de tout genre, en satisfactions de toute sorte, que la moitié de ce qu'il aurait eu en retour auparavant. Il sera appauvri de moitié. Ce que je dis d'une personne fixée à Londres serait également vrai d'un habitant de Paris, si l'on ne discontinuait la tolérance en vertu de laquelle l'or circule sur le pied établi par la loi du 7 germinal an x1, quoique depuis les événemens aient renversé l'hypothèse sur laquelle est fondée la rédaction de cette loi en ce qui concerne l'or. Ce ne sera rien moins qu'une perturbation profonde pour les états dans la monnaie desquels l'or sert d'étalon, ainsi que pour ceux où, comme on le fait présentement en France, on lui permet de se comporter comme s'il l'était. C'est la catégorie des pays placés dans l'un ou l'autre de ces cas que nous devons envisager de préférence.

Une révolution pareille peut n'être pas sans quelques résultats utiles. Essayons de nous en rendre compte. En supposant que la baisse de l'or doive être de la moitié de sa valeur, proportion que j'énonce uniquement par manière d'exemple et pour la clarté du discours, il s'ensuivra qu'au bout d'un certain temps la matière pre

mière de certains objets de luxe tout entiers en or aura baissé de moitié. Ainsi on pourra faire frapper des médailles d'or à moins de frais, la tabatière d'or sera un luxe à la portée d'un plus grand nombre de bourses, et nos Crésus, les jours de gala, décoreront le buffet de leur salle à manger un peu plus facilement avec des coupes en or. Je dis un peu plus et pas davantage, parce que dans ces objets déjà l'art et la façon, qui forment une partie considérable du prix, n'auront pas baissé, et la baisse ne portera que sur la matière première. A plus forte raison dans la dorure, la matière première seule ayant baissé, il ne s'ensuivra pas une grande réduction, car ce n'est pas la quantité d'or qu'elle absorbe qui en fait la principale dépense. En fait d'avantages permanens que la société ait à espérer de cet abaissement de l'or après l'époque où la crise de la transition sera passée, je ne vois rien de plus dans le cas où il s'agirait d'un peuple qui n'aurait pas le fardeau d'une dette considérable. Il faut en convenir, tout ceci est bien médiocre; il y a peu de matières pour lesquelles la baisse dans la même proportion ne fût un plus grand bienfait. Dans le cas d'un état qui serait chargé d'une grosse dette publique, l'abaissement de l'or produirait un certain ⚫ adoucissement pour les contribuables; c'est un fait que plus loin nous essaierons d'apprécier.

En compensation du plaisir que le public français trouverait à faire frapper à moindres frais de belles médailles en or, à se procurer à meilleur marché des tabatières d'or, et à payer moins cher les boîtes de montre ou les bracelets d'or, ou l'encadrement métallique de ses pierreries, il éprouverait en premier lieu le désagrément d'avoir échangé une marchandise qui a actuellement une valeur relativement fixe, son argent monnayé, contre un autre métal dont la valeur est en décroissance et doit tomber de moitié. Il aurait à peu près fait le commerce de ce grand seigneur qui, par manière de gageure, passa une matinée sur le Pont-Neuf à vendre des écus de six livres pour une pièce de vingt-quatre sous. En supposant qu'au point de départ notre monnaie courante en argent fût de 2 milliards et demi, cette belle opération nous ferait perdre plusieurs centaines de millions, une somme d'autant plus voisine de 1,250 millions que l'enlèvement de notre argent aurait été plus rapide; or il nous est ravi avec une prestesse bien grande. Ce serait au-delà de cette forte somme, si la dépréciation de l'or était de plus de moitié, ou si, celleci étant de moitié seulement, notre monnaie courante en argent avait été au point de départ de plus de deux milliards et demi.

La somme de 1,250 millions est assez ronde pour qu'on ne la sacrifie pas légèrement, et pourtant ce n'est pas la perte qui me semble mériter le plus qu'on s'en préoccupe. Le grand péril et le grand mal,

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