Images de page
PDF
ePub

SUR

LE MARIAGE FORCÉ.

DANS les plus petites pièces de Molière, on trouve des vues profondes et d'excellentes peintures de mœurs. Celle-ci, faite avec la plus grande précipitation, n'étant d'abord destinée qu'à un divertissement que le roi donnoit au Louvre, offre une multitude de traits dignes d'être observés, si l'on veut se faire une idée complète de l'état de la société pendant le dix-septième siècle.

On a dit que Molière se plaisoit à peindre les bourgeois de son temps ce n'étoit que chez eux qu'il trouvoit cette bonhomie, cette naïveté qui fournissent à l'observateur des idées justes sur l'homme en général. LE MARIAGE FORCÉ peut être considéré en quelque sorte comme le prologue de GEORGE DANDIN: un homme de basse naissance, enrichi par de longs travaux, n'étant plus jeune, a le malheur de prendre un goût passager pour une demoiselle : il l'épouse, et bientôt il connoît les suites de sa folie. Ces deux pièces, comme on le voit, sont à peu près la conséquence l'une de l'autre.

Sganarelle, dans LE MARIAGE FORCÉ, paroît un marchand enrichi on le voit par les différents voyages qu'il a faits, soit à Rome, soit en Angleterre, soit en Hollande. Sa naissance n'est pas illustre : « Je veux, dit-il, imiter mon père, et tous << ceux de ma race qui ne se sont jamais voulu marier.» Cet

aveu, arraché pár la situation où Sganarelle se trouve, ajoute à la vraisemblance de la fable, et rend la conduite de Dorimène moins odieuse. Il y a lieu de présumer que l'expression comique de cette idée a été fournie à Molière par une des meilleures épigrammes de Malleville : le poëte s'adresse à un homme qui ne sait s'il doit se marier :

[merged small][ocr errors]

Les deux philosophes paroissent aujourd'hui un peu chargés; mais on aura une opinion contraire, si l'on réfléchit à l'espèce de fanatisme qui régnoit alors dans la philosophie; et si l'on se rappelle que le parlement de Paris, par un arrêt de 1624, avoit défendu, sous peine de mort, d'enseigner dans les écoles une doctrine contraire à celle d'Aristotę. Cet arrêt étant tombé en désuétude, et le cartésianisme faisant des progrès, les partisans de la philosophie péripatéticienne reprirent leur ancienne fureur, et se livrèrent à des emportements à peu près pareils à ceux de Pancrace. Boileau, peu de temps après,

Courage est pris là pour cœur les poëtes de ce temps étudioient beaucoup l'espagnol. Dans cette langue, corazon exprime indifféremment cœur ou courage.

fit son ARRÊT BURLESQUE, qui acheva de les couvrir de ridi cule, et qui rendit leurs efforts impuissants.

Molière, dans cette scène de Pancrace, a imité une idée plaisante de Rabelais: Panurge, interrogé par Pantagruel, lui parle en plusieurs langues, et ne répond pas à ce qu'il demande.

La scène de Marphurius est une imitation encore plus exacte de cet auteur. Panurge, sur le point de se mariér, va consulter Trouillogan, philosophe pyrrhonien. Cette scène, dont Molière a pris les principaux traits, mérite d'êtré citée.

<< PANURGE. Me dois-je marier? TROUILLOGAN. Il y a de te l'apparence. PAN. Et si je ne me marie point? TROUILL. Je << n'y vois inconvénient aulcun. PAN. Vous n'y en voyez point? « TROUILL. Non, ou la vue me déçoit. PAN. Jy en trouve plus << de cinq cents. TROUILL. Comptez-les. PAN. Je dis impropre«ment parlant, et prenant nombre certain pour incertain, «< déterminé pour indéterminé, c'est-à-dire, beaucoup. « TROUIL. J'écoute. PAN. Je ne peux pas me passer de femme, « de par tous les diables! TROUIL. Otez ces vilaines bêtes. PAN. << De par Dieu soit, car mes salmigondis disent: Coucher seul << ou sans femme, être vie brutale, et tel le disoit Didon en ses « lamentations. TROUILL. A votre commandement. PAN. Par la ༥ quan dé, j'en suis bien. Doncques me marierai-je? TROUIL. << Par aventure. PAN. M'en trouverai-je bien? TROUILL. Selon la « rencontre. PAN. Aussi, si je rencontre bien, comme j'espère, << serai-je heureux? TROUILL. Assez. PAN. Tournons à contre«poil; et si je rencontre mal? TROUILL. Je m'en excuse. PAN. << Mais conseillez-moi, de grâce, que doibs-je faire? TROUILL. « Ce que vous voudrez. PAN. Tarabin, Taraba. TROUILL. N'in«< voquez rien, je vous prie. PAN. Au nom de Dieu, je ne veux « sinon que vous me conseillerez. Que m'en conseillez-vous?

<< TROUILL. Rien. PAN. Me doibs-je marier? TROUILL. Je n'y « étois pas. PAN. Je ne me marierai donc point? TROUILL. Je << n'en puis mais. PAN. Si je suis marié, je ne serai jamais cocu? « TROUILL. J'y pensois. PAN. Mettons le cas que je sois marié... « et doncques si je suis marié, je serai cocu? TROUILL. On-le « diroit. PAN. Si ma femme est preude et chaste, je ne serai « jamais cocu? TROUILL. Vous me semblez parler correct. «PAN. Sera-t-elle preude et chaste? Reste seulement ce << point. TROUILL. J'en doute. >>

La plaisanterie est peut-être poussée trop loin dans cette scène mais on voit combien elle été utile à l'auteur, qui, suivant sa coutume, a surpassé son modèle. Sa scène est plus dramatique, parce que Sganarelle, ayant battu Marphurius, veut à son tour lui persuader que la chose est douteuse.

[ocr errors]

Le rôle d'Alcidas n'est plus dans nos mœurs; mais Molière a présenté ce spadassin d'une manière très-comique en le rendant poli et doucereux. Rien ne fait plus d'effet au théâtre que cette espèce de contraste entre l'extérieur d'un homme et sa conduite habituelle. Molière n'a jamais manqué, lorsque l'occasion s'en est offerte, d'indiquer cette bizarrerie, trèscommune dans le monde. Le dénoûment se présentoit naturellement l'auteur l'a traité en maître. Sganarelle garde un silence morne en recevant la main de cette même femme qu'il aimoit tant quelques moments auparavant. Alcantor, enchanté d'être délivré de sa fille, n'a que cette idée en tête; et, sans faire attention à la consternation de son gendre, il se borne à dire gaîment: Allons nous réjouir, ét célébrer cet heureux mariage›

[ocr errors][ocr errors]

DON JUAN,

OU

LE FESTIN DE PIERRE,

COMÉDIE

EN CINQ ACTES ET EN PROSE,

Représentée à Paris, sur le théâtre du Palais Royal,

le 15 février 1665.

« PrécédentContinuer »