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qui me veux battre; le ciel m'en défend la pensée : et, si vous m'attaquez, nous verrons ce qui en arrivera.

Nous verrons,

D. CARLOS.

de vrai, nous verrons.

SCÈNE IV.

D. JUAN, SGANARELLE.

SGANARELLE.

MONSIEUR, quel diable de style prenez-vous là? Ceci est bien pis que le reste, et je vous aimerois bien mieux encore comme vous étiez auparavant. J'espérois toujours de votre salut : mais c'est maintenant que j'en désespère; et je crois que le ciel, qui vous a souffert jusqu'ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur.

D. JUAN.

Va, va, le ciel n'est pas si exact que tu penses; et si toutes les fois que les hommes...

SCÈNE V.

D. JUAN, SGANARELLE, UN SPECTRE EN FEMME

VOILÉE.

SGANARELLE, apercevant le spectre.

AH! monsieur, c'est le ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne.

D. JUAN.

Si le ciel me donne un avis, il faut qu'il parle un peu plus clairement, s'il veut que je l'entende.

LE SPECTRE.

Don Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du ciel; et, s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.

SGANARELLE.

Entendez-vous, monsieur?

D. JUAN.

Qui ose tenir ces paroles? Je crois connoître cette voix.

SGANARELLE.

Ah! monsieur, c'est un spectre; je le reconnois au marcher.

D. JUAN.

c'est.

Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que (Le spectre change de figure, et représente le Temps avec sa

faux à la main.)

SGANARELLE.

O ciel! voyez-vous, monsieur, ce changement de figure?

D. JUAN.

Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur; et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.

(Le spectre s'envole dans le temps que don Juan veut le frapper.)

SGANARELLE.

Ah! monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez

vous dans le repentir.

D. JUAN.

Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi.

SCENE VI.

LA STATUE DU COMMANDEUR, D. JUAN, SGANARELLE.

LA STATUE.

ARRÊTEZ, don Juan. Vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi.

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Don Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste; et les grâces du ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.

D. JUAN.

O ciel! que sens-je? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah! (Le tonnerre tombe, avec un grand bruit et de grands éclairs,

sur don Juan. La terre s'ouvre, et l'abîme; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé. \

238 LE FESTIN DE PIERRE. ACTE V, SC. VII.

SCÈNE VII.

SGANARELLE.

VOILA, par sa mort, un chacun satisfait. Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n'y a que moi seul de malheureux, qui, après tant d'années de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître punie par le plus épouvantable châtiment du monde.

FIN DU FESTIN DE PIERRE.

SUR

LE FESTIN DE PIERRE.

:

CE sujet ne fut pas du choix de Molière. Une comédie espagnole de Tirso de Molina, intitulée, EL COMBIDADO DE PIEDRA, venoit d'être traduite en italien, et jouée à Paris avec beaucoup de succès cette vogue passagère excita l'émulation des camarades de Molière : ils pensèrent que, si cette comédie pouvoit être arrangée à leur théâtre, elle leur procureroit un gain considérable, et ne cessèrent de tourmenter leur chef pour qu'il se chargeât de ce travail. Le sujet répugnoit à Molière le merveilleux sur lequel le dénoûment est fondé lui paroissoit indigne d'un théâtre qu'il avoit épuré; et le caractère odieux de don Juan, dont les crimes sont du ressort de la justice, plutôt que de celui de la comédie, ne lui déplaisoit pas moins. Cependant il céda au vœu de sa troupe : la pièce fut jouée; mais le succès ne répondit pas à l'attente de ceux qui avoient spéculé sur cette entreprise. Soit que goût des habitués de ce théâtre, formé par les chefs-d'œuvre de l'auteur, rejetât un genre qui leur étoit si contraire; soit que le parti qu'il avoit pris d'écrire en prose une pièce en cinq actes, quoique l'usage fût de les mettre en vers, parût une innovation condamnable, le parterre n'accueillit point LE FESTIN DE PIERRE ; et les ennemis de Molière profitèrent de cette circonstance pour renouveler d'anciennes calomnies. 1

Voyez Vie de Molière.

le

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