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1 «Le juge peut violer la justice ou la retarder; l'avocat « peut, par intérêt, soutenir une mauvaise cause; le mar<< chand peut nous attraper notre argent; enfin toutes les per<<< sonnes avec lesquelles la nécessité nous force de traiter << peuvent nous faire quelque tort; mais aucune ne peut nous << ôter impunément la vie. Les médecins seuls ont ce droit; ils << peuvent nous tuer sans en craindre les suites, et sans em<< ployer d'autres armes que quelques remèdes. Leurs bévues « ne se découvrent jamais, parce qu'au moment même la terre « les couvre et les fait oublier. »

Sganarelle, parlant avec franchise à Léandre, s'exprime à peu près de même :

«La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos, <<< et nous taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous tra«vaillons. Un cordonnier, en faisant des souliers, ne sauroit «gâter un morceau de cuir qu'il n'en paye les pots cassés; « mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. « Les bévues ne sont pas pour nous, et c'est toujours la faute « de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il «y a parmi les mor's une honnêteté, une discrétion la plus << grande du monde : jamais on n'en voit se plaindre du mé<< decin qui l'a tué. »

El juez nos puede torcer, o dilatar la justicia; el letrado sustentar por su interes nuestra injusta demanda; el mercader chuparnos la hacienda : finalmente todas las personas con quien de necesidad tratamos, nos pueden hacer algun dano pero quitarnos la vida, sin quedar sugetos al temor 'del castigo, ninguno. Solo los medicos nos pueden matar, y nos matan sin temor y a pie quedo, sin desembaynar ctra espada que la de un recipe : y no hay descubrirse sus delitos, porque al momento los meten debaxo de la tierra.

(EL LICENCIADO VIDRIERA.

Ces idées semblent aujourd'hui rebattues, parce qu'elles ont été souvent employées au théâtre; mais elles avoient alors tout le piquant de la nouveauté.

Le couplet de Sganarelle parut une des meilleures chansons à boire qui eût été faite. On en félicitoít Molière chez M. de Montausier; et le poëte, sans attacher, beaucoup d'importance à cette bagatelle, étoit flatté de ces éloges. Rose, secrétaire du cabinet du roi, homme de beaucoup d'esprit, soutient que cette chanson n'appartient pas à Molière, et qu'elle est tirée d'une ancienne épigramme latine imitée de L'ANTHOLOGIE. La dispute s'échauffe, et Rose improvise le couplet suivant, qui est une traduction littérale de celui de Sganarelle :

Quàm dulces,
Amphora amoena,

Quàm dulces

Sunt tuæ voces !

Dùm fundis merum in calices,
Utinam semper esses plena!

Ah! ah! cara mea lagena,

Vacua cur jaces?

Le Médecin malgré lui offre des beautés comiques qu'on peut appeler de premier ordre. Dans aucune pièce on ne trouve un dialogue plus vif, plus précis et plus naturel que celui de l'exposition. La scène de M. Robert présente, sous l'apparence du badinage, un sens très-profond. Quelle dissertation n'auroit pas faite un moraliste pour prouver qu'il ne faut pas se mêler des affaires d'autrui, surtout quand de leur nature elles exigent un certain mystère! Molière, dans un dialogue rapide, épuise tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Les rôles de Sganarelle et de Martine peignent les gens du peuple de cette

492 RÉFLEX. SUR LE MÉDECIN MALGRÉ LUI.

époque : on peut voir, dans le Discours préliminaire, combien cette peinture est fidèle. Quoique Molière n'ait prétendu faire qu'une farce, on reconnoît, dans la conduite de cette pièce, la sagesse de son esprit : rien contre la vraisemblance dramatique. Il est tout naturel qu'un homme qui a servi six ans un médecin, et qui a appris le rudiment tout entier, débite du latin à des personnes qui ne l'entendent pas. Enfin LE MÉDECIN MALGRÉ LUI, si peu suivi de nos jours, peut être considéré comme une des farces les plus agréables de Molière : aucune n'offre plus d'esprit dans le dialogue; elle gagne à être relue, épreuve que peu d'ouvrages sont en état de soutenir; et plus on l'examine, plus on y trouve de ces traits profonds qui ne peuvent appartenir qu'à un grand maître.

LES FÊTES

DE VERSAILLES,

EN 1664.

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