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<«< que cascuns soit sergans et ait pooir de penre et d'arrêter <<< les malfaiteurs 10 ».

La procédure féodale avait même organisé, dans la clameur de haro, une méthode formaliste et naïve pour conserver au fait son caractère de flagrant délit. En Normandie, on ne pouvait crier «< haro » que dans les cas d'incendie, d'homicide, d'attaque à main armée, de vol ou de tout autre péril imminent. Dans les cas moins urgents, celui qui abusait de la clameur de haro était puni d'amende. Les légistes empruntèrent, à la Normandie, cet usage de poursuivre à cri et haro, à chaude chasse, à chasse et à fuite 11. Ils étendirent ainsi la procédure plus sommaire de flagrant délit à des cas pour lesquels elle n'avait pas été faite 12.

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Si le malfaiteur n'était pas pris en flagrant délit ni dans la poursuite sur clameur de haro, l'offensé ou ses parents devaient signaler le crime à la justice et former une plainte, en leur nom, par voie de citoiement, comme ils le feraient en matière civile. C'est l'accusation germanique. Dans cette procédure, la société n'intervient, par ses tribunaux, que pour juger le procès; le débat s'engage entre l'accusé et l'accusateur qui se porte partie. Celui-ci doit avoir la pleine capacité de plaider et de donner ou recevoir des gages de bataille. Après l'ajournement ou semonce à la requête de l'accusateur, qui formulait sa demande en s'offrant à prouver les faits allégués, l'accusé devait répondre sur le champ et mot à mot, en niant ce que l'autre affirmait, et relever le gage de bataille; sinon, il était condamné. En cas d'absolution de l'accusé, l'accusateur était passible de la peine dont son adversaire aurait été frappé dans le cas de condamnation.

Si la victime ou son lignage existaient encore et ne se plaignaient point, le justicier n'avait pas le droit de poursuivre.

10 Beaumanoir, XXXI, 14. Voy. éd. Beugnot, préface, CLX.

11 L. Tanon, Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris, p. 369; Esmein, op. cit., p. 50.

12 Voy. Beaumanoir, XXXIX, 43, 44. Sur tous ces points: Esmein, op. cit., p. 49. Le même besoin de célérité a porté les légistes du xix siècle à étendre, en France, la notion du flagrant délit.

On admit, sans doute, de tout temps, la faculté, pour les officiers de justice, de se saisir du malfaiteur et de provoquer la poursuite des intéressés. Mais cette procédure, destinée seulement à stimuler l'accusation privée, n'était pas encore la poursuite au nom de l'État, l'accusation publique.

42. De bonne heure cependant, la nécessité se fit sentir de donner au magistrat une initiative qui ne lui appartenait pas tout d'abord, celle de poursuivre les crimes que personne ne poursuivait. La justice féodale y était d'autant plus intéressée que le produit des amendes et confiscations, peines ordinairement prononcées à cette époque pour la plupart des délits, appartenait au fisc. On admit donc que les juges pouvaient poursuivre d'office et même on finit par créer, auprès des juridictions importantes, un représentant du seigneur, chargé de veiller sur ses intérêts pécuniaires, qu'on appela, pour ce motif, procureur fiscal. Ce ne fut que par degrés qu'on transforma ainsi le caractère de l'action pénale et de celui qui l'exerçait. Dans le principe, le magistrat ne put agir que dans quelques cas exceptionnels, quand il y avait flagrant délit, quand la victime ne laissait pas d'héritier. Le détenu avait même la faculté de consentir à être jugé sans accusateur, d'après une procédure que les textes appellent « l'enqueste du païs 13 ». Puis, on fit un pas de plus et on reconnut au magistrat, dans tous les cas, le droit d'exercer lui-même la pour

suite.

A partir du jour où cette évolution fut accomplie, ne cessa pas, pour les intéressés, la victime du délit, ou ses parents, le droit de se porter accusateurs; mais l'accusation se présenta sous deux formes: l'accusation directe, dans laquelle la partie lésée engage le procès elle-même; et la dénonciation, par laquelle elle fait appel à l'action du magistrat. La dénonciation était une forme de procédure dans la poursuite dont l'Église avait fourni l'idée et les premières applications devant

43 Le Grand Coutumier de Normandie donne une description détaillée de cette singulière procédure chap. LXVIII. Voy. Esmein, op. cit., p. 53.

ses tribunaux. Elle avait deux avantages sur l'accusation` directe; elle n'exposait pas son auteur, si elle était mal fondée, aux peines si sévères du talion, usitées encore vers la fin du XII° siècle"; de plus, en laissant au juge le soin d'apprécier, au préalable, la valeur de la plainte, le dénonciateur se mettait à l'abri du ressentiment et de la vengeance. L'emploi de la dénonciation fut admis devant le tribunal de l'Inquisition, dès son institution dans le midi de la France; il fut ensuite pratiqué par les officialités; et, de la procédure ecclésiastique, il passa dans la procédure laïque.

Mais un tel système était sujet à un inconvénient inverse de celui auquel il tendait à se substituer. Les dénonciations devinrent des délations, et l'on dut prendre des mesures pour arrêter les abus. Une ordonnance de 1303, relative à la juridiction municipale de Toulouse, prescrit que chaque dénonciateur donne son nom et soit averti qu'il sera puni s'il est calomniateur. Une autre ordonnance de la même année, et rendue pour la même ville, dispose que les juges doivent euxmêmes dédommagement à l'inculpé, quand, après son arrestation, il a été prouvé que les soupçons portés contre lui ne reposaient sur aucun fondement. En divers pays, on astreignait le dénonciateur à prêter le serment de calumnia. Mais ces garanties exigées retinrent souvent les dénonciateurs, et, dans l'intérêt de la répression, on finit par admettre qu'une simple plainte adressée à la justice ne serait pas considérée comme une dénonciation. Désormais, les individus lésés se contentèrent d'être plaignants, et c'est ce qui fit tomber en désuétude les précautions prises contre les dénonciateurs.

Bien souvent, du reste, personne ne se présentait comme accusateur, dénonciateur ou plaignant. La rumeur publique (fama) signalait seule un fait dont nul ne voulait ou ne pouvait fournir la preuve. A la fin du x° siècle, Innocent III

14 Le juge devait d'ailleurs avertir l'accusateur du péril auquel il s'exposait. L'ord. de 1260 prescrivait de dire, à celui qui voulait faire une «< clameur », qu'il serait ouï, mais qu'il devait s'obliger à souffrir ce que son adversaire souffrirait s'il était atteint. Ord. I, 89; Beaumanoir, LXI, 2. Préface de Beugnot, CVIII.

institua, dans ce cas de diffamatio, la poursuite ex officio, dont le caractère essentiel consistait à rechercher la vérité par l'audition de témoins. C'est la procéduré par enquête, per inquisitionem, que la législation carolingienne avait déjà connue. Son triomphe assura, comme première conséquence, la substitution de l'action d'office à l'accusation par partie privée.

Ce fut d'abord le délégué même du seigneur ou du roi, qui, sur dénonciation ou d'office, prit la direction de la poursuite. Mais lorsque le pouvoir royal se développa, il eut besoin, auprès de chaque juridiction, pour toutes les affaires qui intéressaient la royauté, de procureurs, qui tenaient la plume, et d'avocats, qui portaient la parole. Ces procureurs et ces avocats n'étaient, à l'origine, que les agents particuliers du roi, poursuivant ou défendant en son nom, dans toutes les affaires où il était intéressé. L'ordonnance du 25 mars 1303, qui fait, pour la première fois dans un document législatif, mention de ces officiers, enjoint aux procureurs du roi, de prêter le serment de calumnia, comme les autres plaideurs, et leur défend de se mêler des causes des particuliers. Chaque bailliage, chaque siège de prévôté eut «< ses gens du roi »>, dont la délégation, d'abord temporaire, finit par devenir permanente, et dont le caractère se transforma comme le caractère même de la royauté. L'ordonnance de novembre 1553 prescrit«< qu'en chacun siège de nos prévôtés des villes de notre << dit royaume, ressortissant dûment par devant nos dits bail<«< lis et sénéchaux et où y a siège présidial, sera mis, insti«< tué, établi un procureur pour nous, pour assister aux expéditions de justice civile, politique et criminelle ».

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Le procureur du roi poursuivait les usurpations du domaine ou autres droits régaliens; il intentait les procès dans les cas royaux ; il intervenait dans l'instruction de tous les procès criminels pour sauvegarder les intérêts du fisc royal qui s'enrichissait des amendes et des confiscations. Une ordonnance de 1540 prescrit aux avocats et procureurs du roi de tenir un registre des matières criminelles pour en « poursuivre la vuidange aux jours assignés, afin que, par l'intelli

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gence des parties privées, les délits n'en demeurent impunis et ne soyons privez de ce que nous doibt estre acquis par le moyen desdits delicts ». On vit ainsi les procureurs du roi prendre l'initiative des poursuites. Leurs entreprises, en se multipliant, furent acceptées comme un usage, et cet usage s'imposa bientôt comme un droit. Aucune loi précise ne détermine ce progrès. Le ministère public, ce fut le nom collectif donné à ce corps d'officiers royaux, se révèle d'abord par son action, et, quand les premières ordonnances s'en occupent, il est déjà en exercice. Ces ordonnances ne le créent pas, elles l'adoptent et l'organisent. D'ailleurs, le ministère public n'arriva pas, avant la fin du xvi° siècle, à sa constitution définitive". Les procureurs généraux 16, près les parlements, nommèrent les procureurs du roi près les sièges inférieurs jusqu'à l'ordonnance de 1522, qui érigea les commissions de ces derniers en office et les rendit ainsi indépendants des procureurs généraux. Les avocats du roi, dont les fonctions demeurèrent toujours distinctes de celles des procureurs, les premiers portant la parole, les seconds tenant la plume, furent, d'abord, choisis, pour chaque affaire, parmi les avocats. Plus tard, ces emplois devinrent fixes et furent convertis en office1. Bien que recevant les instructions générales du chancelier, les officiers du ministère public ont toujours participé, dans notre ancien droit, à l'indépendance des parlements et n'ont jamais formé un corps un et indivisible dont tous les membres seraient reliés les uns aux

15 Voy. Lebon, Des principaux magistrats du parquet aux parlements, 1875; Casteran, Notice historique sur le ministère public (France judiciaire, t. 2, 1877, Ire part., p. 468 et s.); Coumoul, Précis historique sur le ministère public (Nouv. rev. hist., 1881, p. 299 et s.).

16 Le titre de procureur général, donné au procureur du roi près le parlement, apparaît, pour la première fois, dans June ordonnance du 2 octobre 1354 (Ord. des rois de France, t. 3, p. 346).

17 D'après Boucher d'Argis, Histoire abrégée de l'ordre des avocats, ch. XVI, ce serait en 1573 qu'un avocat acheta l'office d'avocat du roi au grand scandale de son ordre.

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Voy. dans la correspondance de d'Aguesseau, ses lettres aux procureurs généraux (OEuvres, t. 10 et suiv., passim).

G. P. P. I.

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