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Ce défaut de population n'empêchoit pas que le pays des Natchez ne fût excellent. Le climat en eit fain & tempéré, le fol fe prête à des cultures riches & variées: le terrein eft affez élevé pour n'avoir rien à craindre des inondations du Heuve. Cette contrée eft généralement ouverte, étendue, arrofée, couverte de jolis côteaux, d'agreables prairies, de bois délicieux, jufqu'aux Apalaches. Auffi les premiers françois qui la reconnurent, jugèrent-ils que, malgré l'éloignement où elle étoit de la mer, ce feroit avec le temps le centre de la colonie. Cette opinion les y attira en foule. Ils furent accueillis favorablement, & foulagés par les fauvages dans l'établiffement des plantations qu'ils vouloient former. Des échanges réciproquement utiles commencèrent entre les deux nations une amitié qui paroiffoit fincère. Elle feroit devenue folide, fi les liens n'en avoient été chaque jour affoiblis par l'avidité des européens. Ces étrangers n'avoient d'abord demandé les productions du pays qu'en négocians honnêtes. Ils dictèrent depuis impérieufement les conditions du commerce. A la fin, ils ravirent ce qu'ils étoient las de payer, même à vil prix. Leur audace s'accrut au point de chaffer le cultivateur indigène des champs qu'il avoit défrichés.

Cette tyrannie étoit atroce. Pour en arrêter le cours, les natchez employèrent, mais fans fuccès, les plus humiliantes fupplications. Dans leur défefpoir, ils tentèrent d'affocier à leur reffentiment les peuples de l'ett, dont les difpofitions leur étoient connues; & ils réuffirent à former, fur la fin de 1729, une ligue prefque univerfelle, dont le but étoit d'exterminer en un feul jour la race entière de leurs oppreffeurs. La négociation fut fi heureufement conduite, que le fecret n'en fut pénétré ni par les fauvages, amis des françois, ni par les françois eux-mêmes. Ce qui eft für c'eit que, fur deux cents vingt françois qui étoient alors dans cet établiffement, il y en eut deux cents de maffacrés : les femmes enceintes, ou qui avoient des enfans en bas âge, n'eurent pas une destinée plus heureufe; & les autres reftées prifonnières, furent expofées à la brutalité des affaffins de leurs fils & de leurs époux. Au bruit de cet événement, la colonie entière fe crut perdue. Elle ne pouvoit oppofer à la foule d'ennemis qui la menaçoient de toutes parts, que quelques paliffades à demi-pourries, qu'un petit nombre de vagabonds mal armés & fans difcipli ne. Perrier, en qui réfidoit l'autorité, n'avoit pas une meilleure opinion de la fituation des chofes. Cependant il montra de l'affurance, & cette audace lui tint lieu de forces. Les fauvages ne le crurent pas feulement en état de fe défendre, mais encore de les attaquer. Pour écarter les four çons qu'on pouvoit avoir conçus contr'eux, ou dans l'efpoir d'obtenir leu? grace, plufieurs de ces nations joignirent leurs guerriers aux fiens pour affurer fa vengeance,

Il eût fallu, pour réuflir, d'autres troupes que des alliés mal intentionnés & des foldats qui fervoient par force. Cette milice marcha vers le pays des natchez avec une lenteur qui n'étoit pas d'un fort bon augure; elle attaqua leurs forts avec une molleffe qui ne promettoit aucun fuccès. Heureufement les affiégés offrirent de relâcher tous les prifonniers qu'ils avoient en leur puiffance, fi l'on confentoit à fe retirer; & cette propofition fut acceptée avec une joie extrême.

Mais Perrier, ayant reçu quelques fecours d'Europe, recommença les hoftilités dans les premiers jours de l'an 1731. A la vue de ce nouveau péril, la divifion fe mit parmi les natchez, & cette méfintelligence entraina la ruine de la nation entière. Quelques foibles corps de ces fauvages furent paffés au fil de l'épée; un grand nombre furent envoyés efclaves à Saint Domingue. Ce qui avoit échappé à la fervitude & à la mort, fe refugia chez les chicachas.

C'étoit le peuple le plus intrépide de ces contrées. On connoiffoit fes liaisons intimes avec les anglois. Sa vertu chérie étoit l'hofpitalité. Pour toutes ces raifons, on craignit de lui propofer d'abord de livrer ceux des natchez, auxquels il avoit accordé afyle. Mais le fucceffeur de Perrier, Bienville, fe crut autorifé à les demander. La réponfe des chicachas fut celle de l'indignation & du courage. Des deux côtés, on courut aux armes en 1736. Les françois furent battus en rafe campagne, & repouffés avec perte fous les paliffades de leur ennemi. Encouragés quatre ans après par les fecours qu'ils avoient reçus du Canada, ils voulurent tenter de nouveau la fortune. Ils fuccomboient encore, lorfque des circonstances favorables les réconcilièrent avec ces fauvages. Depuis cette époque, la tranquillité de la Louifiane ne fut plus troublée. On va voir à quel degré de profpérité cette longue paix avoit élevé la

colonie.

Ce qu'étoit devenue la colonie de la Louifiane, le traité de paix de 1763 l'a cédée à l'Espagne, & ce qu'elle est aujourd'hui. Les côtes de la Louisiane, toutes fituées fur le golfe du Mexique, font généralement baffes & couvertes d'un fable aride. Elles font inhabitées & inhabitables. On n'a jamais fongé à y élever aucune fortification.

Quoique les françois duffent fouhaiter de s'approcher du Mexique, ils n'avoient formé aucun établiffement fur la côte qui eft à l'oueft du Miffilipi. On craignoit fans doute d'offenfer l'Efpagne, qui n'auroit pas fouffert patiemment ce voifinage. :

A l'eft du fleuve, on voit le fort la Mobile, élevé fur les bords d'une rivière qui prend fa fource dans les Apalaches. Il fervoit à contenir dans l'alliance des françois, les chaetas, les alimabous, d'autres peuplades moins nombreuses, & à s'affurer de leurs pelleteries. Les efpagnols

de Penfacole tiroient de cet établiffement quelques denrées, quelques marchandises.

L'embouchure du Miffiffipi offre un grand nom. bre de paffes qui n'ont point de ftabilité. Plu fieurs font quelquefois à fec. Il y en a qui ne peuvent recevoir que des canots ou des chaloupes. Celle de l'eft, la feule aujourd'hui fréquentée par des navires, eft très - tortueufe, n'offre qu'une voie infiniment étroite, & n'a qu'onze ou douze pieds d'eau dans les plus hautes marées. Le petit fort, nommé la Balise, qui défendoit autrefois l'embouchure de la rivière, a perdu toute fon utilité, depuis que fon canal s'eft comblé, & que les bâtimens naviguent hors de la portée du

canon.

La Nouvelle-Orléans, fituée à trente lieues de P'Océan, eft le premier établiffement qui fe préfente. Cette ville, deftinée à être l'entrepôt de toutes les liaisons que la métropole & la colonie formeroient entr'elles, fut bâtie fur le bord oriental du fleuve, autour d'un croiffant acceffible à tous les navires, & où ils jouiffent d'une fûreté entière.. On en jeta les fondemens en 1717; mais ce ne fut qu'en 1722 qu'elle prit quelque confiftance, qu'elle devint la capitale de la Louifiane. Jamais elle n'a compté plus de feize cents habitans, partie libres, & partie efclaves. Les cabanes qui la couvroient originairement, ont été fucceffivement remplacées par des maifons commodes, mais bâties de bois fur brique, parce que le fol n'avoit pas affez de folidité pour foutenir des édifices plus pefans.

l'indigo pour l'exportation. Ils s'occupoient autrefois du coton mais ils l'ont abandonné, depuis que l'Europe l'a trouvé trop court pour fes fabriques.

Un peu plus haut, fur la même côte, furent placés huit cents acadiens, arrivés à la Louifione immédiatement après la paix de 1763. Leurs travaux fe font bornés juíqu'ici à l'éducation des beftiaux, à la culture des denrées les plus néceffaires. Si leurs facultés augmentent, is demanderont à leur fol des productions vénales,

Toutes celles qui enrichiffent le bas de la colonie, fe terminent à l'établiffement de la PointeCoupée, formé à quarante cinq lieues de la Nouvelle-Orléans. Il fournit de plus, la majeure par tie du tabac qui fe confomme dans le pays, & beaucoup de bois pour le commerce extérieur. Ces travaux occupent cinq ou fix cens blancs & douze cens noirs.

Sur toute la longueur des terres cultivées dans ces divers établiffemens qui appartiennent à la baffe-Louisiane, règne une chauffée deftinée à les garantir des inondations du fleuve. De larges & profonds foffés, dont chaque champ eft entouré, affurent une iffue aux fluides qui auroient percé ou furmonté la digue. Ce fol eft entiérement vafeux. Lorfqu'il doit être mis en valeur, on coupe par le pied les groffes cannes dont il eft couvert. Dès qu'elles font fèches, on y met le feu. Alors, pour peu qu'on fouille la terre, elle ouvre un fein fécond à toutes les productions qui demandent un terrein humide. Le bled n'y profpère pas, & il ne pouffe que des épis fans grain.

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La ville s'élève dans une ifle qui a foixante lieues de long fur une largeur médiocre. Cette ifle, dont la plus grande partie n'eft pas fufcep: davantage, Ils croiffent fort vite ; ils fleuriffent La plupart des arbres fruitiers ne réuffiffent pas tible de culture, eft formée par l'Océan, par le Miffiffipi, par le lac Pontchartrain & par le deux fois chaque année mais le fruit, piqué de Manchac, ou la rivière d'Iberville, canal que le vers, fèche & tombe généralement avant d'avoir Miffiffipi s'eft creufé pour y verfer le fuperflu de atteint fa maturité. Il n'y a que le pêcher, fes eaux dans la faifon de fa trop grande abon-ranger & le figuier, dont on ne peut affez vanter dance. Il peut y avoir fur ce territoire une cenla fertilité. taine de poffeffions, où l'on trouve quatre ou On trouve une nature différente dans la haute cinq cents blancs & quatre mille noirs, que des Louisiane. A l'eft du Miffiffipi, cette région comindigoteries occupent principalement. Quelques mence un peu au-deffus de la rivière d'Iberville. propriétaires entreprenans ont tenté d'y naturali- Son terrein, anciennement formé, affez élevé fer le fucre; mais de petites gelées, deftructives pour être à l'abri des inondations, & qui n'a que de cette riche production, ont rendu ces effais le degré d'humidité convenable, exige moins de infructueux. Les plantations font rarement conti foins, & promet une plus grande variété de progues. Des eaux ftagnantes & marécageufes les féductions. Ainfi le penfèrent les premiers françois parent le plus fouvent, fur-tout dans la partie inférieure de l'ifle.

qui parurent dans ces contrées. Ils s'établirent aux Natchez,y effayèrent plufieurs cultures qui réufVis-à-vis l'ifle de la Nouvelle-Orléans, & fur firent toutes, & fe fixèrent enfin à celle du tala rivière occidentale du Miffiffipi, furent éta- bac, qui ne tarda pas à avoir dans la métropole blis, en 1722, trois cents allemands, reftes in- la réputation dont il étoit digne. Le gouvernement fortunés de plufieurs mille qu'on avoit arrachés à s'attendoit à voir arriver bientôt de cet établisse leur patrie. Leur nombre a triplé depuis cette ment l'approvifionnement entier de la monarchie, époque peu éloignée, parce qu'ils ont toujours lorfque la tyrannie de fes agens en caufa la ruine. été les hommes les plus laborieux de la colonie. Depuis cette funefte époque, ce fol inépuifablė Aidés par environ deux mille efclaves, ils culti- eft resté en friche, jufqu'à ce que la Grande Bre vent du maïs pour leur nourriture, du riz & detagne en ayant acquis la propriété par les traités,

y ait fait paffer une population fuffifante pour le féconder.

Un peu plus haut, mais fur la rive occidentale, fe décharge dans le Miffiffipi la rivière Rouge. C'est à trente lieues de fon embouchure & fur les terres des nachitoches que les françois, à leur arrivée dans la Louifiane, élevèrent quelques paliffades. Ce pofte avoit pour objet de tirer du Nouveau-Mexique des bêtes à poil & à cornes, dont une colonie naiffante a toujours befoin, & celui d'ouvrir un commerce interlope avec le fort espagnol des Adayes, qui n'en est éloigné que de fept lieues. Il y a long-temps que la multiplication des troupeaux, dans les campagnes où il falloit les naturalifer, a fait ceffer la première liaifon on avoit encore plutôt compris que la feconde, avec un des plus pauvres établiffemens du monde, n'auroit jamais d'utilité réelle. Auffi les nachitoches ne tardèrent-ils pas à être abandonnés par ceux que l'efpoir d'une grande fortune y avoit attirés. On n'y voit plus que les defcendans de quelques foldats qui s'y font fixés à la fin de leur engagement. Leur nombre ne paffe pas deux cents. Ils vivent du mais ou des légumes qu'ils cultivent, & vendent le fuperflu de ces productions à leur indolent voifin. L'argent qu'ils reçoivent de cette foible garnifon, leur fert à payer les boiffons & les vêtemens qu'ils font obligés de tirer d'ailleurs.

L'établiffement formé aux Akanfas eft plus miférable encore. Infailliblement il feroit devenu tresforiffant, fi les troupes, les armes, les engagés les vivres & les marchandifes que Law y faifoit paffer pour fon compte particulier, n'euffent été confifqués après la difgrace de cet homme entreprenant. Il ne s'eft depuis fixé dans cet excellent pays que quelques canadiens qui ont pris pour compagnes des femmes indigènes. De ces liaisons eft bientôt fortie une race prefque fauvage. Les familles en font très-peu nombreuses; elles vivent difperfées, & ne s'occupent guère que de la chaffe.

Pour arriver des Akanfas aux illinois, il faut faire trois cents lieues; car les peuples ne fe touchent pas en Amérique comme en Europe, & n'en font que plus indépendans. « Les illinois, dit l'auteur de l'Hiftoire philofophique & politique des établiffemens européens dans les deux Indes, placés dans la partie la plus feptentrionale de la Louifiane, étoient continuellement battus, & toujours à la veille d'être détruits par les iroquois ou par d'autres nations belliqueufes. Il leur falloit un défenfeur, & le françois le devint, en occupant une partie de leur territoire à l'embouchnre de leur rivière & fur les rives plus riantes, plus fécondes du Mififfipi. Raffemblés autour de lui, ils ont évité la deftinée de la plupart des peuplades de ce nouveau - Monde, dont il reste à peine quelque fouvenir. Cependant leur nombre a diminué à mesure que celui de

leurs protecteurs s'eft accru. Ces étrangers ont formé peu-à-peu une population de deux mille trois cents quatre-vingt perfonnes libres & de huit cents efclaves, diftribués dans fix bourgades dont cinq font fituées fur le bord oriental du fleuve ».

Malheureufement la plupart d'entr'eux ont eu la paffion de courir les bois pour y acheter des pelleteries, ou d'attendre dans leurs magafins que les fauvages leur apportaffent le produit de leurs chaffes. Ils auroient travaillé plus utilement pour eux, pour la colonie & pour la France s'ils euffent fouillé le fol excellent où la fortune les avoit placés; s'ils lui avoient demandé les grains de l'ancien monde, que la Louifiane a tou jours été obligée de tirer de l'Europe ou de l'Amérique feptentrionale. Mais combien l'établiffement formé par les françois du pays des illinois combien leurs autres établissemens font reftés loin de cette profpérité»! Ces détails manquent d'exactitude, ou il faut les appliquer feulement à la partie de la Louifiane qui eft à l'ouest du Miffiffipi, en face de la rivière des illinois; car à l'eft du Miffiffipi & dans le pays proprement dit des illinois, on trouve le fort de Kaskakias qui ap partenoit, ainfi que tous les environs, aux anglois, & qui appartient aujourd'hui aux colonies américaines.

Commerce de la Louifiane. Jamais, dans fon plus grand éclat, la Louisiane n'eut plus de fept mille blancs, fans y comprendre les troupes qui varièrent depuis trois cents jufqu'à deux mille hom mes. Cette foible population étoit difperfée sur les bords du Miffiffipi, dans un espace de cinq cents lieues, & foutenue par quelques mauvais forts fitués à une distance immenfe l'un de l'autre. Cependant elle n'étoit point engendrée de cette écume de l'Europe que la France avoit comme vomie dans le nouveau-Monde au temps du fyftême. Tous ces miférables avoient péri fans fe reproduire. Les colons étoient des hommes forts & robuftes, fortis du Canada, ou des foldats congédiés qui avoient fu préférer les travaux de l'agriculture à la fainéantife, où le préjugé les laiffoit orgueilleufement croupir. Les uns & les autres recevoient du gouvernement un terrein convenable & de quoi l'enfemencer, un fufil, une hache, une pioche, une vache & fon veau, un coq & fix poules, avec une nourriture faine & abondante durant trois ans. Quelques officiers quelques hommes riches avoient formé des plantations affez confidérables, qui occupoient huit mille efclaves.

Cette peuplade envoyoit à la France quatrevingt milliers d'indigo, quelques cuirs & beaucoup de pelleteries. Elle envoyoit aux isles, du fuif, des viandes fumées, des légumes, du riz, du mais, du brai, du gondron, du merrain & des bois de charpente. Tant d'objets réunis pouvoient valoir 2,000,000 de livres. Cette fomme

lui

étoit payée en marchandifes d'Europe, & en productions des Indes occidentales. La colonie recevoit même beaucoup plus qu'elle ne donnoit; & c'étoient les frais de fouveraineté qui lui procuroient ce fingulier avantage.

langui fi long-temps, fans la faute qu'on fit, dès l'origine, d'accorder des terres au hafard & felon le caprice de ceux qui les demandoient. Des déferts immenfes n'auroient pas féparé les colons les uns des autres. Rapprochés d'un centre commun, ils fe feroient prêté des fecours mutuels, & auroient heureufement joui de tous les avantages d'une fociété régulière & bien ordonnée. A mefure que la population auroit augmenté, le cercle des défrichemens fe feroit étendu. Au lieu de quelques hordes de fauvages, on eût vu s'élever une riche colonie, qui feroit peut-être devenue avec le temps une nation puiffante. Que d'avantages il en eût réfulté pour la France même !

Les dépenfes publiques furent toujours trop confidérables à la Louifiane. Elles furpaffèrent, même en pleine paix, le produit entier de cet établissement. Peut-être les agens du gouvernement auroient-ils été plus circonfpects, fi les opérations euffent été faites avec des métaux. La malheureuse facilité de tout payer avec du papier, qui ne devoit être acquitté que dans la métropole, les rendit généralement prodigues. Plufieurs furent même infideles. Pour leur intérêt Ce royaume, qui a acheté chaque année dixparticulier, ils ordonnèrent la conftruction des huit à vingt millions pefant de tabac, & qui forts, qui n'étoient d'aucune utilité, & qui coû- l'a tiré de l'Angleterre jufqu'à la révolution d'Atoient vingt fois plus qu'il ne falloit. Ils multi-mérique, auroit pu le faire cultiver dans la Louiplièrent, fans motif comme fans mefure, les pré-fiane. Ainfi le penfoit & l'efpéroit le gouvernefens annuels que la cour de Verfailles étoit dans l'habitude de faire aux tribus fauvages.

Les exportations & les importations de la Louifiane ne fe faifoient pas fur des navires qui lui fuffent propres. Jamais elle ne s'avifa d'en avoir un feul. Il lui arrivoit quelquefois de foibles embarcations des ports de France. Quelquefois les ifles à fucre lui envoyoient de gros bateaux. Mais le plus fouvent des vaiffeaux, partis de la métropole pour Saint-Domingue, dépofoient dans ce riche établiffement une partie de leur cargaifon, alloient vendre le refte au Miffiffipi, & s'y chargeoient en retour de ce qui pouvoit convenir à Saint-Domingue, de ce qui pouvoit convenir à la métropole.

La Louifiane feroit arrivée à la profpérité des colonies angloifes de l'Amérique feptentrionale; elle auroit fait les progrès que fait aujourd'hui la colonie de Kentucke, qui occupe une partie du terrein qu'on comprenoit autrefois fous le nom de Louifiane; elle auroit eu les fuccès qu'auront les habitans des Etats-Unis, qui iront s'établir fur les terres fituées à l'eft du Miffiffipi, en remontant ce fleuve jufqu'à la hauteur des lacs fi l'on eût écouté les voeux des proteftans françois, refugiés dans les colonies établies par les anglois au nouveau-Monde.

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Les trois cents mille familles, établies en France à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes, furent difperfées dans les différentes parties du globe, & elles tournoient par-tout de triftes regards vers leur ancienne patrie. Ceux qui avoient trouvé un afyle au nord de l'Amérique, défefpérant de revoir jamais leurs premiers foyers, vouloient du moins être réunis à la nation aimable dont on les avoit féparés. Ils offroient de porter leur industrie & leurs capitaux à la Louifiane, pourvu qu'il leur fût permis d'y profeffer leur culte. Mais Louis XIV & le régent firent rejetter ces propofitions.

Peut-être encore la Loufiane n'auroit-elle pas
Econ. polit. & diplomatique. Tom. III.

ment, quand il fit arracher cette plante en France. Convaincu que les terres de fes provinces étoient propres à des cultures plus riches & plus importantes, il crut fervir à la fois la métropole & la colonie, en affurant à cet établiffement naiffant le débouché de la production qui demandoit le moins d'avances, le moins de temps & le moins d'expérience. Le difcrédit où tomba Law, auteur du projet, fit tomber dans l'oubli cette vue, dont les avantages étoient fi fenfibles, avec celles qui n'avoient pour bafe qu'une imagination déréglée. Les intérêts particuliers des agens du fife empêchèrent enfuite le ministère de renouveller ce plan.

Ces détails font inutiles aujourd'hui pour la France qui ne poffède plus la Louifiane; mais ils peuvent fervir à l'Espagne, & nous allons les continuer.

Les richeffes que le tabac eût fait entrer dans la colonie, lui auroient ouvert les yeux fur l'utilité des vaftes & belles prairies dont elle eft remplie. Bientôt elles fe fuffent couvertes de nombreux troupeaux, dont les cuirs auroient difpenfé la métropole d'en acheter de plufieurs nations, & dont la chair préparée & falée auroit remplacé le boeuf étranger dans les ifles. Les chevaux & les mulets, qui s'y feroient multipliés dans la même proportion, euffent tiré les colonies francoifes de la dépendance où elles ont toujours été, où elles font encore, des anglois & des efpagnols, pour cet objet indifpenfable.

Une fois mis en action, les efprits feroient montés d'une branche d'industrie à l'autre. Auroientils pu fe refufer à la construction des vaiffeaux ? Le pays étoit couvert des bois propres pour le corps du navire. La mâture & le goudron fe trouvoient dans les pins qui rempliffoient les côtes. Le chêne ne manquoit pas pour le bordage, & il pouvoit être remplacé par le cyprès, moins fujet à fe fendre, à fe courber, à fe rompre, & rachetant par un peu d'épaiffeur ce que la nature

V

lui refufoit de force & de dureté. Il étoit facile | de faire croitre du chanvre pour les voiles & pour les cordages. On n'eût été réduit qu'à tirer du fer des autres contrées; & encore paroît-il prouvé qu'il en exifte dans les mines de la Louifane.

Les forêts, ainfi défrichées fans frais & même avec profit, auroient laiffé le fol libre aux grains, à l'indigo, même à la foie, lorfqu'une population abondante auroit permis de fe livrer à une occupation à laquelle la douceur du climat, la multitude des mûriers, quelques expériences heureufes ne ceffoient d'inviter. Que n'eût-on pas fait d'une poffeffion où le ciel eft tempéré, où le terrein eft uni, vierge, fertile, & qui avoit été moins habité que parcouru par quelques vagabonds auffi inappliqués que mal-habiles?

Si la Louifiane fût parvenue à la fécondité que la nature y fembloit attendre de la main des hommes, on n'auroit pas tardé à s'occuper du foin de rendre fon entrée plus acceffible. Peut-être y eût-on réuffi, en bouchant les petites paffes avec les arbres flottans que les eaux entraînent, & en réuniffant toute la force du courant dans un feul canal. Si la molleffe du terrein, fi la rapidité du fleuve, fi le refoulement de la mer euffent oppofé à ce projet des obftacles infurmontables, le génie eût trouvé des reffources. Tous les arts, tous les biens feroient nés les uns des autres, pour for mer dans cette plaine de l'Amérique une colonie floriffante & vigoureufe. Nous allons configner ici une remarque, dont la poftérité pourra reconnoître toute la jufteffe. Les françois ont poffédé la Louifiane cent ans, & on vient de voir ce qu'elle étoit après un fiècle de travaux. Les Etats-Unis vont s'établir dans une partie de la Louifiane, & on verra, à la fin du dix-neuvième fiècle, ce qu'elle fera devenue entre les mains de leurs citoyens fans attendre cette époque', on peut comparer fes progrès avec ceux des colonies angloifes.

fixées; & les reftes infortunés de cette nation difperfés dans les établiffemens anglois, faifoient leurs arrangemens pour les fuivre. Les mêmes difpofitions fe remarquoient dans plufieurs colons de Saint-Vincent & de la Grenade, mécontens de leurs nouveaux maîtres. Douze ou quinze cents canadiens s'étoient mis en marche pour la Louisiane, & ils devoient être fuivis pas beaucoup d'autres. On a même de fortes raifons pour croire qu'un affez grand nombre de catholiques alloient paffer, des poffeffions britanniques dans cette vaste

& belle contrée.

Ceffion de la Louisiane à l'Espagne, effets de cette ceffion. Tel étoit l'état des chofes, lorsque la cour de Verfailles annonça, le 21 avril 1764, aux habitans de la Louifiane que, par une convention fecrète du 3 novembre 1762, on avoit abandonné à celle de Madrid la propriété de leur territoire.

L'averfion que montrèrent les habitans de la Louifiane pour la domination espagnole, ne fit rien changer aux arrangemens des cours de Ma drid & de Verfailles. Le 28 février 1766, M. Ulloa arriva dans la colonie avec quatre-vingt hommes de fa nation. La prife de poffeffion devoit dans les règles ordinaires, fuivre fon débarquement. Il n'en fut pas ainfi. Les ordres continuèrent à être donnés au nom du roi de France; la juftice fut rendue par fes magiftrats, & les troupes ne ceffèrent point de faire le fervice fous fes enfeignes. C'étoit le repréfentant de Louis XV qui avoit toujours le commandement. Toutes ces raifons perfuadèrent aux habitans que Charles III faifoit étudier le pays, & qu'il fe détermineroit à l'accepter ou à le rejetter, felon qu'il le croiroit utile ou nuifible à fa puiffance. Cet examen étoit fait par un agent qui paroiffoit prendre une idée peu favorable de la région qu'il étoit venu reconnoître, & il étoit raisonnable d'efpérer qu'il en dégoûteroit fon maître.

On étoit affez généralement dans cette illufion, A la paix de 1763, les habitans auxquels le fifc lorfqu'une loi arrivée d'Espagne défendit à la devoit fept millions, acquis pour la plupart par Louisiane toute liaifon de commerce avec les mardes manoeuvres criminelles, défefpérant d'être chés qui avoient fervi jufqu'alors au débouché de jamais payés de cette dette impure, ou ne pou- fes productions. Les habitans difent que ce dévant fe flatter que de l'être tard & imparfaite-cret fut fuivi d'une hauteur intolérable, d'odieux ment, tournoient heureusement leurs travaux vers monopoles, d'actes répétés par autorité arbi des cultures importantes. Ils voyoient groflir leur traire. commerce d'une partie des pelleteries qu'attiroit autrefois le Canada. Les ifles françoifes, dont les befoins augmentoient continuellement & dont les reffources venoient de diminuer, leur demandoient plus de bois & de fubfiftances. Les liaifons frauduleuses avec le Mexique, interrompues par la guerre, reprenoient leur cours. Les navigateurs de la métropole, exclus d'une partie des marchés qu'ils avoient fréquentés, tournoient leurs voiles vers le Miffiffipi, dont les bords trop long-temps déferts alloient enfin être habités. Déja deux cents familles acadiennes s'y étoient

Ils étoient mécontens du moins; car ils fe livrèrent au défefpoir. Ils n'avoient que le fleuve à traverfer pour trouver le gouvernement anglois qui les preffoit d'accepter un excellent territoire, des encouragemens à la culture, toutes les prérogatives de la liberté mais un lien cher & facré les attachoit à leur patrie. Ils aimèrent mieux demander au confeil qu'Ulloa fût obligé de fe retirer, & que la prife de poffeffion qu'il avoit différée jufqu'alors, ne lui fût pas permife avant que la cour de Verfailles eût écouté les repréfentations de la colonie. Le tribunal pronon

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