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boucherie, s'éloignèrent pour toujours de Madagafcar.

Remarques fur les établiffemens qu'on a effayé d'y former depuis. La cour de Verfailles a jetté de loin en loin quelques regards fur Madagascar, mais fans en fentir vivement le prix. Après avoir perdu, par la guerre de 1756, tout fon commerce, elle a fenti l'importance d'une ifle dont la poffeffion lui auroit vraisemblablement épargné ces calamités. Depuis on l'a vue occupée du defir de s'y établir. Les deux tentatives de 1770 & 1773 ne doivent pas l'avoir découragée, parce qu'elles ont été faites fans plan, fans moyens ; & qu'au lieu d'y employer le fuperflu des habitans de Bourbon, hommes pacifiques, fages & acclimatés, on n'y a envoyé que des vagabonds ramaffés dans les boues de l'Europe. Des mefures plus fages & mieux combinées la conduiront fûrement au but qu'elle fe propofe. Ce n'eft pas feulement la politique qui veut qu'on fe roidiffe contre les difficultés inféparables de cette entreprife. L'humanité doit parler plus haut, plus énergiquement encore que l'intérêt.

Il feroit glorieux pour la France de retirer un peuple nombreux des horreurs de la barbarie; de lui donner des mœurs honnêtes, une police exacte, des loix fages, une religion bienfaisante, des arts utiles & agréables; de l'élever au rang des nations inftruites & civilifées.

MADERE, ifle de la mer Atlantique, appar tenant au Portugal.

Lorfque les monarques portugais formèrent, au commencement du quinzième siècle, le projet d'étendre leur navigation & leur empire, c'étoit une opinion généralement établie que la mer Atlantique étoit impraticable; que les côtes occidentales de l'Afrique, brûlées par la zone torride, ne pouvoient pas être habitées. Ce préjugé auroit pu être diffipé par quelques ouvrages de l'antiquité, qui avoient échappé aux injures du temps & de l'ignorance: mais on n'étoit pas affez familier avec ces favans écrits, pour y découvrir des vérités qui n'étoient que confufément énoncées. Il falloit que les maures & les arabes, de qui l'Europe avoit déja reçu tant de lumières, nous éclairaffent fur ces grands objets. A travers un océan qui paffoit pour indomptable, ces peuples tiroient des richeffes immenfes d'un pays qu'on croyoit embrafé. Dans des expéditions, dont la Barbarie fut le théatre, l'on fut inftruit des fources de leur fortune, & l'on réfolut d'y aller puifer. Des aventuriers de toutes les nations formèrent ce projet. Henri, fils de Jean I, roi de Portugal, fut le feul qui prit des mefures fages.

Ce prince mit à profit le peu d'aftronomie que les arabes avoient confervé. Un obfervatoire, où furent inftruits les jeunes gentilshommes qui compofoient fa cour, s'éleva par fes ordres à Sagres ville des Algarves. Il eut beaucoup de part à

l'invention de l'aftrolabe, & fentit le premier l'utilité qu'on pouvoit tirer de la bouffole, qui étoit déja connue en Europe, mais dont on n'avoit pas encore appliqué l'ufage à la navigation.

Les pilotes qui fe formèrent fous fes yeux, découvrirent en 1419 Madere, que quelques favans ont voulu regarder comme un foible débris de l'Atlantide.

Quoi qu'il en foit de cette contrée réelle ou imaginaire, c'eft une tradition fort accréditée qu'à l'arrivée des portugais Madere étoit couverte de forêts; qu'on y mit le feu; que l'incendie dura fept ans entiers, & qu'enfuite la terre fe trouva d'une fertilité extraordinaire.

Etat de la culture. Sur ce fol qui a vingt-cinq milles de long & dix de large, les portugais ont, felon le dénombrement de 1768", formé une population de foixante trois mille neuf cents treize perfonnes de tout âge & de tout fexe, diftribuées dans quarante trois paroiffes, fept bourgades, & la ville de Funchal, bâtie fans beaucoup de goût fur la côte méridionale, dans un vallon fertile, au pied de quelques montagnes dont la pente douce eft couverte de jardins & de maifons de campagne très-agréables. Sept ou huit ruiffeaux, plus ou moins confidérables, la traverfent. Sa rade, la feule où il foit permis de charger ou décharger les bâtimens, & la feule par conféquent où l'on ait établi des douanes eft très-fure durant prefque toute l'année. Quand, ce qui eft infiniment rare, les vents viennent d'entre le fud-eft & l'oueft nord-oueft, en paffant par le fud, il faut appareiller; mais heureufement on peut prévoir le mauvais tems vingtquatre heures avant de l'éprouver.

Les crevaffes des montagnes, la couleur noirâtre des pierres, la lave mêlée avec la terre: tout porte l'empreinte des anciens volcans. Auffi ne récolte-t-on que très-peu de grain, & les habitans font réduits à tirer de l'étranger les trois quarts de celui qu'ils confomment.

Les vignes font toute leur reffource. Elles occupent la croupe de plufieurs montagnes, dont le fommet eft couronné par des châtaigners. Des haies de grenadiers, d'orangers, de citronniers, de myrtes, de rofiers fauvages les féparent. Le raifin croît généralement fous des berceaux, & mûrit à l'ombre. Les feps qui le produifent, font baignés par de nombreux ruiffeaux qui, fortis des hauteurs, ne fe perdent dans la plaine qu'après avoir fait cent & cent détours dans les plantations. Quelques propriétaires ont acquis ou ufurpé le droit de tourner habituellement ces eaux à leur avantage; d'autres n'en ont la jouiffance qu'une, deux, trois fois la femaine. Ceux même qui veulent former un nouveau vignoble fous un climat ardent, dans un terrein fec où l'arrofement eft indifpenfable, n'en peuvent partager le privilège qu'en l'achetant fort cher.

Le produit des vignes fe partage toujours en dix parts. Il y en a une pour le roi, une pour le clergé, quatre pour le propriétaire, & autant pour le cultivateur.

L'ifle produit plufieurs efpèces de vin. Le meil leur & le plus rare fort d'un plant tiré originai rement de Candie. Il a une douceur délicieuse, eft connu fous le nom de malvoifie de Madere & fe vend cent piftoles la pipe. Celui qui eft fec ne coûte que fix ou fept cents francs, & trouve fon principal débouché en Angleterre. Les qualités inférieures & qui ne paffent pas quatre ou cinq cents livres, font deftinés pour les Indes orientales, pour quelques ifles & le continent feptentrional de l'Amérique.

Les récoltes s'élèvent communément à trente mille pipes. Treize ou quatorze des meilleures vont abreuver une grande partie du globe: le refte eft bu dans le pays même, ou converti en vinaigre & en eau-de-vie pour la consommation du Brefil.

Revenus. Le revenu public eft formé par les dixmes généralement perçues fur toutes les productions; par un impôt de dix pour cent fur ce qui entre dans l'ifle, & de douze pour cent fur ce qui en fort. Ces objets réunis rendent environ 2,700,000 liv. Tels font cependant les dépenfes ou les vices de l'adminiftration, que d'une fomme fi confidérable il ne revient prefque rien à la métropole.

Gouvernement. La colonie eft gouvernée par un chef qui domine auffi fur Porto-Santo, qui n'a que fept cents habitans & quelques vignes; fur les falvages encore moins utiles; fur quelques autres petites ifles entiérement défertes hors le tems des pêches. On ne lui donne, pour la défense d'un fi bel établiffement, que cent hommes de troupes régulières; mais il difpofe de trois mille hommes de milice qu'on affemble & qu'on exerce un mois chaque année. Officiers & foldats, tout dans ce corps fert fans folde, fans que les places en foient moins recherchées. Elles procurent quelques diftinctions, dont on eft plus avide dans cette ifle que dans aucun lieu du monde. Voyez l'article PORTUGAL & l'article AFRIQUE.

MADELAINE, (ifles de la ) , fituées en Amérique, dépendantes de l'ifle de Saint-Jean, & appartenant à l'Angleterre. Voyez l'article JEAN (S.).

MADRASS, établiffement des anglois fur la côte de Coromandel. Les anglois ont dans l'Inde trois établiffemens généraux : celui de Bombay, de Madrafs & de Calcutta ou du Bengale, lequel, par les derniers réglemens, a obtenu la fupériorité fur les autres.

Nous avons parle de l'établiffement de Bombay à l'art. BOMBAY : nous avons parlé en genéral des productions & du commerce de la côte de Coromandel à l'article COROMANDEL : nous donnerons des détails généraux femblables à l'article

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MALABAR : nous avons dit à l'article INDOS. TAN comment & à quelle époque les françois & les anglois fe font mêlés des révolutions politiques de l'Indoftan, & nous avons fait fur cette vafte contrée de l'Inde les obfervations qui nous ont paru analogues à la nature de cet ouvrage : nous avons donné à l'article BENGALE le précis de l'hift. politique du Bengale, & de la conquête qu'en ont fait les anglois : nous avons parlé de l'état actuel du Bengale & des revenus qu'il produit: nous avons fait des obfervations fur l'adminiftration tyrannique de la compagnie angloife, & fur les moyens qu'on vient d'imaginer en Angleterre pour la réformer: nous avons parlé des tribunaux, de la navigation & du commerce du Bengale: & le lecteur trouvera des articles particuliers fur les diverfes fouverainetés de l'Inde, & fur les établiffemens qu'y ont formé les françois, les hollandois & les danois.

Nous nous bornerons ici, 1o. à un précis des progrès de la compagnie angloife dans l'Inde, & à des remarques fur l'état actuel de cette compagnie; 2°. nous rapporterons le nouvel acte du parlement fur l'adminiftration angloife dans l'Inde, acte qui n'avoit pas encore paffé à l'époque où on a imprimé l'article BENGALE, & nous ferons quelques remarques fur cet acte: 3°. nous donnerons des détails fur l'établiffement de Madrafs.

SECTION PREMIERE.

Précis des progrès de la compagnie angloife dans l'Inde, & remarques fur l'état actuel de cette compagnie.

En 1600, une fociété de négocians de Londres obtint un privilège exclufif pour le commerce de l'Inde. L'acte en fixoit la durée à quinze ans. Il y étoit dit que fi ce privilège paroifloit nuifible au bien de l'état, il feroit aboli & la compagnie fupprimée, en avertiffant les affociés deux ans d'avance.

Cette réferve dut fon origine au chagrin que les communes avoient récemment témoigné d'une conceffion qui pouvoit les bleffer par fa nouveauté.

Les fonds de la compagnie furent d'abord peu confidérables. L'armement de quatre vaiffeaux qui partirent dans les premiers jours de 1601, en abforba une partie. On embarqua le refte en atgent & en marchandises.

Nous n'indiquerons pas ici les premiers pas de cette compagnie, & les établiffemens qu'elle forma dans les diverfes contrées de l'Inde nous renvoyons le lecteur à l'Hiftoire philofophique & politique des établiffemens européens dans les deux Indes, & aux divers articles que nous avons fait dans cet ouvrage fur ces établiffemens.

La compagnie angloife établit bientôt des comptoirs à Mazulipatam, à Calicut, en plufieurs

autres ports, & même à Delhy. Surate, le plus riche entrepôt de ces contrées, tenta leur ambition en 1611. On étoit disposé à les y recevoir ; mais les portugais déclarèrent que, fi l'on fouffroit l'établiffement de cette nation, ils brûleroient toutes les villes de la côte, & fe faifiroient de tous les bâtimens indiens; & ce n'eft qu'après plufieurs victoires que les anglois triomphèrent de la refiftance du Portugal.

arrêtée dans fa carrière par une rivalité que fes propres fuccès avoient fait naître.

Des négocians, échauffés par la connoiffance des gains qu'on faifoit dans l'Inde, réfolurent d'y naviguer. Charles II, qui n'étoit fur le trône qu'un particulier voluptueux & diffipateur, leur, en vendit la permiffion, tandis que d'un autre côté il tiroit des fommes confidérables de la compagnie, pour l'autorifer à pourfuivre ceux qui de cette nature devoit dégénérer en brigandages. Les anglois, devenus ennemis, couroient les uns fur les autres avec un acharnement une animofité qui les décrièrent dans les mers d'Afie.

Les intérêts de cette compagnie firent bien-entreprenoient fur fon privilège. Une concurrence tôt déclarer la guerre aux hollandois. De toutes les guerres maritimes dont l'hiftoire a confervé le fouvenir, c'eft la plus favante, la plus illuftre, par la capacité des chefs & le courage des matelots, la plus féconde en combats opiniâtres & meurtiers. Les anglois eurent l'avantage, & ils le dûrent à la grandeur de leurs vaiffeaux que l'Europe a imitée depuis.

Le protecteur qui donna la loi, ne fit pas pour les Indes tout ce qu'il pouvoit. Il fe contenta d'y affurer le commerce anglois, de faire défavouer le maffacre d'Amboine, & de prefcrire des dédommagemens pour les defcendans des malheureufes victimes de cette action horrible. On ne fit nulle mention, dans le traité, des forts que les hollandois avoient enlevés à la nation dans l'ifle de Java, & dans plufieurs des Moluques. A la vérité, la reftitution de l'ile de Pouleron fut ftipulée; mais les arbres à épiceries y furent tous arrachés, avant qu'elle repaffât fous les loix de fes anciens maîtres. Comme fon fol lui reftoit cependant toujours, & qu'avec le tems il pou voit mettre obftacle au monopole que la Hollande vouloit exercer, on la conquit de nouveau en 1666, & les inftances de la France ne réuffirent pas à en arracher le facrifice à la république. Malgré ces négligences, dès que la compagnie eut obtenu, en 1657, du protecteur le renouvellement de fon privilège, & qu'elle fe vit folidement appuyée par l'autorité publique, elle montra une vigueur que fes malheurs paffés lui avoient fait perdre. Son courage s'accrut avec fes droits.

Les hollandois voulu ent mettre à profit cette fingulière crife. Ces républicains s'étoient trouvés affez long-temps les feuls maitres du commerce des Indes. Ils en avoient vu avec chagrin fortir une partie de leurs mains, à la fin des troubles civils d'Angleterre. La fupériorité de leurs forces leur fit efpérer de la recouvrer, lorsque les deux nations commencèrent, en 1664, la guerre dans toutes les parties du monde : mais les hoftilités ne durèrent pas affez long-tems pour réalifer ces vaftes efpérances. La paix leur interdifant la force ouverte, ils fe déterminèrent à attaquer les fouverains du pays, pour les obliger de fermer leurs ports à leur rival. La conduite folle & méprifable des anglois accrut l'audace hollandoife; elle alla jufqu'à les chaffer ignominieufement de Bantam en 1680.

Une infulte auffi grave & auffi publique ranima la compagnie angloife. La paffion de rétablir fa réputation, de fatisfaire fa vengeance, de maintenir fes intérêts, la détermina aux plus grands efforts. Elle arma une flotte de vingt-trois vaiffeaux, où furent embarqués huit mille hommes de troupes réglées. On mettoit à la voile, lorfque les ordres du monarque fufpendirent le départ. Charles, dont les befoins & la corruption ne connoiffoient point de bornes, avoit efpéré que, pour faire révoquer cette défense, on lui donneroit un argent immenfe. N'en pouvant obtenir de fes fujets, il fe détormina à en recevoir de fes ennemis. Il facrifia l'honneur & le commerce de fa nation à 2,250,000 livres que lui firent compter les hollandais, que de fi grands préparatifs avoient effrayés. L'expédition projettée n'eut point lieu.

Le bonheur qu'elle avoit en Europe, la fuivit en Afie. L'Arabie, la Perfe, l'Indoftan, l'eft de l'Inde, la Chine, tous les marchés que les anglois avoient anciennement pratiqués, leur furent ouverts. On les y reçut même avec plus de franchise & de confiance, qu'ils n'en avoient éprouvé autrefois. Les affaires y furent fort viLa compagnie, épuifée par les frais d'un arves, & les bénéfices très - confidérables. Il ne manquoit à leur fortune que de pénétrer au Ja-mement que la vénalité de la cour avoit rendu pon: ils le tentèrent. Mais les japonois, inftruits par les hollandois que le roi d'Angleterre avoit épousé une fille du roi de Portugal, ne voulurent pas recevoir les anglois dans leurs ports.

Malgré cette contrariété, les profpérités de la compagnie furent très-brillantes. L'efpoir de donner encore plus d'étendue & de folidité à fes affaires, la flattuit agréablement, lorfqu'elle fe vit

inutile, envoya fes bâtimens aux Indes, fans les fonds néceffaires pour former des cargaisons, mais avec ordre à fes facteurs de les raffembler fur fon crédit, fi la chofe étoit poffible. La fidélité qu'elle avoit montrée jufqu'alors dans fes engagemens, fit trouver 6,750,000 liv. Rien n'eft plus extraordinaire que la manière dont on s'y prit pour les payer.

Jofias Child, qui de directeur de la compagnie | fieurs années ; qui occafionna une dépense de neuf à dix millions; qui caufa la perte de cinq gros vaiffeaux, & d'un plus grand nombre de moindre grandeur; qui coûta la vie à plufieurs milliers d'excellens matelots, & qui fe termina par la ruine du crédit & de l'honneur de la nation: deux chofes dont la valeur eft au-deffus de tous les calculs, & dont les deux Child auroient dû payer la perte, de leur tête.

en étoit devenu le tyran, fit paffer, dit-on, à l'infu de fes collègues, des ordres aux Indes pour qu'on imaginat des prétextes, quels qu'ils puffent être, de fruftrer les prêteurs de leur créance. C'est à fon frère Jean Child, gouverneur de Bonbay, que l'exécution de ce fyftême d'iniquité fut plus particuliérement confiée. Auflitôt cet homme avide, inquiet & féroce, annonce au gouverneur de Surate des prétentions plus folles les unes que les autres. Ces demandes ayant été accueillies comme elles le méritoient, il fond fur tous les vaiffeaux qui appartenoient aux fujets de Delhy, & de préférence fur les navires expédiés de Surate, comme les plus riches. Il ne refpećte pas même les bâtimens qui naviguoient munis de fes paffe ports, & il pouffe l'audace jufqu'à s'emparer d'une flotte chargée de vivres pour une armée mogole. Cet horrible brigandage, qui dura soute l'année 1688, caufa dans tout l'Indoftan des dommages ineftimables.

Aurengzeb, qui tenoit les rênes de l'empire d'une main ferme, ne différa pas d'un moment la punition d'un fi grand outrage. Un de fes lieutenans débarque, au commencement de 1689, avec vingt mille hommes à Bombay, ifle importante du Malabar, qu'une princeffe de Portugal avoit apportée en dot à Charles II, & que ce monarque avoit cédée à la compagnie en 1668. A l'approche de l'ennemi, l'on abandonne le fort de Magazan avec tant de précipitation, qu'on y oublie de l'argent, des vivres, plufieurs caiffes remplies d'armes, & quatorze pièces de gros canon. Le général indien, enhardi par ce premier avantage, attaque les anglois dans la plaine, les bat & les réduit à fe renfermer tous dars la principale fortereffe, où il les inveftit, & où il efpère bientôt les forcer de fe rendre.

Child, auffi lâche dans le danger qu'il avoit paru audacieux dans fes pirateries, envoie fur le-champ des députés à la cour pour y demander grace. Après bien des fupplications, bien des baffeffes, ces anglois font admis devant l'empereur, les mains liées & la face profternée contre terre. Aurengzeb, qui vouloit conferver une liaifon qu'il croyoit utile à fes états, ne fut pas inflexible. Après avoir parlé en fouverain irrité. en fouverain qui pouvoit & devoit peut-être fe venger, il céda au repentir & aux foumiffions. L'éloignement de l'auteur des troubles, un dédommagement convenable pour ceux de fes fujets qu'on avoit pillés tels furent les actes de juftice auxquels le defpote, le plus abfolu qui fût jamais, réduifit fes volontés fuprêmes. A ces conditions fi modérées, il fut permis aux anglois de continuer à jouir des privilèges qu'ils avoient obtenus dans les rades mogoles, à des époques différentes.

Ainfi finit cette malheureuse affaire, qui interrompit le commerce de la compagnie pendant plu

En changeant de maximes & de conduite, la compagnie pouvoit fe flatter de fortir du précipice affreux où elle s'étoit jettée elle-même. Une révolution qui lui étoit étrangère, ruina bientôt ces douces efpérances. Jacques II fut précipité du trône. Cet événement arma l'Europe entière. Les fuites de ces fanglantes divifions font affez connues. L'on ignore peut-être que les armateurs françois enlevèrent à la Grande-Bretagne quatre mille deux cents bâtimens marchands, qui furent évalués fix cents foixante quinze millions de livres, & que la plupart des vaiffeaux qui revenoient des Indes, fe trouvèrent compris dans cette fatale lifte.

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Ces déprédations furent fuivies d'une difpofition économique, qui devoit accélérer la ruine de la compagnie. Les refugiés françois avoient porté en Irlande & en Ecoffe la culture du lin & du chanvre. Pour encourager cette branche d'induftrie, on crut devoir profcrire l'ufage des toiles des Indes, excepté les mouffelines, & celles qui étoient néceffaires au commerce d'Afrique. Un corps déja épuisé pouvoit-il résister à un coup fi imprévu, fi accablant?

La paix qui devoit finir tant de malheurs, y mit le comble. Il s'éleva dans les trois royaumes un cri général contre la compagnie. Ce n'étoit pas fa décadence qui lui fufcitoit des ennemis ; elle ne faifoit que les enhardir. Ses premiers pas avoient été contrariés. Dès 1615, quelques politiques avoient déclamé contre le commerce des Indes orientales. Ils l'accufoient d'affoiblir les forces navales, par une grande consommation d'hommes, & de diminuer fans dédommagement les expéditions pour le Levant & pour la Ruffie. Ces clameurs, quoique contredites par des hom mes éclairés, devinrent fi violentes vers l'an 1628, que la compagnie fe voyant expofée à l'animofité de la nation, s'adreffa au gouvernement. Elle le fupplioit d'examiner la nature de fon commerce, de le prohiber, s'il étoit contraire aux intérêts de l'état ; & s'il lui étoit favorable, de l'autorifer par une déclaration publique. Le tems n'avoit qu'affoupi cette oppofition nationale, & elle fe renouvella plus furieufe que jamais au temps dont nous parlons. Ceux qui étoient moins rigi des dans leurs fpéculations, confentoient qu'on fit le commerce des Indes; mais ils foutenoient qu'il devoit être ouvert à toute la nation. Un privilège exclufif leur paroiffoit un attentat manifefte contre la liberté. Selon eux, les peuples

n'avoient établi un gouvernement qu'en vue de f
procurer le bien général; & l'on y portoit atteinte
en immolant, par d'odieux monopoles, l'intérêt
public à des intérêts privés. Ils fortifioient ce
principe fécond & inconteftable, par une expé-
rience affez récente. Durant la rébellion, difoient-
ils, les marchands particuliers, qui s'étoicnt em-
parés des mers d'Afie, y portèrent le double des
marchandifes nationales qu'on demandoit aupa-
ravant, & ils fe trouvèrent en état de donner
les marchandifes en retour, à un prix affez bas
pour fupplanter les Hollandois dans tous les
marchés de l'Europe. Mais ces républicains habiles,
certains de leur perte fi les Anglois conduifoient
plus long-temps les affaires fur les principes d'une
liberté entière, firent infinuer à Cromwel, par
quelques perfonnes qu'ils avoient gagnées, de
former une compagnie exclufive. Ils furent fe-
condés dans leurs menées par les négocians Anglois
qui faifoient alors ce commerce, & qui fe pro-
mettoient pour l'avenir des gains plus confidéra-
bles, lorfque devenus feuls vendeurs ils donne-
roient la loi aux confominateurs. Le protecteur,
trompé par les infinuations artificieufes des uns
& des autres, renouvella le monopole, mais
pour fept ans feulement, afin de pouvoir revenir
fur fes pas, s'il fe trouvoit qu'il eût pris un mau-
vais parti.

Ce parti ne paroiffoit pas mauvais à tout le monde. Affez de gens penfoient que le commerce des Indes ne pouvoit réuffir qu'à l'aide d'un privilège exclufif: mais plufieurs d'entr'eux foutenoient que la charte du privilège actuel n'en étoit pas moins nulle, parce qu'elle avoit été accordée par les rois, qui n'en avoient pas le droit. Ils rappelloient plusieurs actes de cette nature, caffés par le parlement, fous Edouard III, fous Henri IV fous Jacques I, fous d'autres règnes. Charles II avoit à la vérité gagné un procès de cette nature à la cour des plaidoyers communs, mais fur une raifon puérile. Ce tribunal avoit ofé dire, que le prince devoit avoir l'autorité d'empêcher que tous les fujets puffent commercer avec les infidèles, dans la crainte que la pureté de leur foi ne s'altérât.

Quoique les partis dont on a parlé euffent des vues particulieres, & même oppofées, ils fe réunirent tous dans le projet de rendre le commerce libre, ou de faire annuller du moins le privilège de la compagnie. La nation, en géné. ral, fe déclaroit pour eux mais le corps atta qué leur oppofoit fes partifans, les miniftres, tout ce qui tenoit à la cour, qui faifoit elle-même caufe commune avec lui. Des deux côtés, employa la voie des libelles, de l'intrigue, de la corruption. Du choc de ces paffions, il fortit un de ces orages, dont la violence ne fe fait guère fentir qu'en Angleterre. Les factions, les fectes, les intérêts fe heurtèrent avec impétuité Tout, fans diftinction de rang, d'âge, de fexe, fe partagea. Les plus grands évènemens n'avoient pas

on

excité plus d'enthoufiafme. La compagnie, pour appuyer la chaleur de fes défenfeurs, offrit de prêter de grandes fommes, à condition qu'on lui laifferoit fon privilège. Ses adverfaires en offrirent de plus confidérables pour le faire révoquer.

Les deux chambres, devant qui s'inftruifoit ce grand procès, fe déclarèrent pour les particuliers. Il leur fut permis de faire, enfemble ou féparément, le commerce de l'Inde. Ils s'affocièrent & formèrent une nouvelle compagnie. L'ancienne obtint la permiffion de continuer les armemens jufqu'à l'expiration très-prochaine de fa charte. Ainfi l'Angleterre eut à la fois deux compagnies des Indes Orientales, autorifées par le parlement, au lieu d'une feule établie par l'autorité royale. On vit alors ces deux corps auffi ardens à fe détruire réciproquement, qu'ils l'avoient été à s'établir. L'un & l'autre avoient goûté les avantages qun procuroit le commerce, & fe regardoient avec cette jaloufie, cette haine, que l'ambition & l'avarice ne manquent jamais d'infpirer. Leur divifion fe manifefta par de grands éclats en Europe, & fur-tout aux Indes. Les deux fociétés fe rapprochèrent enfin, & finirent par unir leurs fonds en 1702. Depuis cette époque, les affaires de la compagnie furent conduites avec plus de lumières, de fageffe & de dignité. Les principes du commerce, qui fe développoient de plus en plus en Angleterre, influèrent fur fon adminiftration, autant que le permettoient les intérêts de fon monopole. Elle améliora fes anciens établiffemens; elle en forma de nouveaux. Ce qu'une plus grande concurrence lui ôtoit de bénéfice, elle cherchoit à fe le procurer par des ventes plus confidérables. Son privilège étoit attaqué avec moins de violence, depuis qu'il avoit reçu la fanction des loix, & obtenu la protection du parlement.

Quelques difgraces paffagères troublèrent fes profpérités. Les Anglois avoient formé en 1702 un établissement dans l'ifle de Pulocondor dépendante de la Cochinchine. Leur but étoit de prendre part au commerce de ce riche royaume, jufqu'alors trop négligé. Une févérité outrée révolta feize foldats Macaffars, qui faifoient partie de la garnifon. Daus la nuit du 3 mars 1705, ils mirent le feu aux maifons du fort, & maffacrèrent les Européens à mesure qu'ils fortoient pour l'éteindre. De quarante- cinq qu'ils étoient, trente pétirent de cette manière; le refte tomba fous les coups des naturels du pays, mécontens de l'infolence de ces étrangers. La compagnie perdit par cet événement les dépenfes que lui avoit coûté fon entreprife, les fonds qui étoient dans fon comptoir, & les efpérances qu'elle avoit

conçues.

D'autres nuages s'élevèrent fur plufieurs de fes comptoirs. C'étoit l'inquiétude, c'étoit l'avarice de fes agens, qui les avoient affemblés. Une politique plus modérée fit abandonner d'odieufes

prétentions,

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