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la même caufe qui diminue le profit apparent augmente le premier prix. L'étendue du marché en permettant d'employer de plus gros capitaux, diminue le profit apparent. Mais comme elle met dans la néceflité de fe fournir à une plus grande diftance, elle augmente ainfi le premier prix de la diminution de l'un; & de l'augmentation de l'autre il réfulte, la plupart du temps, qu'ils fe Contre-balancent ou à-peu-près. C'est pour cela que les prix du pain & de la viande font à peu de chofe près, les mêmes dans la plus grande putie du royaume, quoique les prix du bled & du bétail foient fort différens.

Quoique les profits des capitaux du commerce en gros & en détail, foient en général moindres dans la capitale que dans les petites villes & les villages, on y voit fouvent de petits commencemens mener à une grande fortune, ce qui n'arrive prefque jamais dans les petits endroits. Dans ceux-ci les bornes du marché font trop étroites, pour que le commerce puiffe s'étendre à mefure que les capitaux s'étendent. Quoique le taux des bénéfices d'une perfonne particulière puiffe y être fort haut, la fomme ou le montant de ces bénéfices, & par conféquent celle de leur accumulation annuelle, ne peut être fort grande. Dans les grandes villes, au contraire, le commerce peut s'étendre à mesure que les capitaux croiffent, & le crédit d'un homme économe & qui fait bien fes affaires, croît encore plus vite que fon capital. Son commerce s'aggrandit en proportion de l'un & de l'autre. La fomme de fes bénéfices et en proportion de l'étendue de ce commerce, & l'accumulation annuelle en proportion de fes bénéfices. Il eft rare toutefois qu'on y faffe des fortunes confidérables par aucune branche d'induftrie régulière, établie & bien connue, fi ce n'eft après une longue vie laborieufe, économe & appliquée. Les fortunes s'y font par ce qu'on nomme le commerce de fpéculation. Le marchand qui fpécule, n'exerce point une branche régulière, établie & bien connue de commerce. Il est marchand de bled cette année, il fera marchand de vin l'année prochaine, & celle d'enfuite il fera marchand de fucre, de tabac ou de thé. Il entre dans toutes les affaires où il prévoit un grand bénéfice, & il les quitte dès qu'il prévoit que le gain retombera au niveau des autres commerces. Ses bénéfices & fes pertes n'ont donc point de proportion régulière avec ceux des branches établies & bien connues. Deux ou trois fpéculations heureufes peuvent enrichir un homme entreprenant; mais il n'en faut, de même que deux ou trois malheureufes pour le ruiner. Ce commerce eft particulier aux grandes villes; il demande une fagacité qu'on ne peut avoir que dans les places, où il y a le plus d'affaires & de correfpondance.

Quoique les cinq chofes dont on vient de parler occafionnent de grandes inégalités dans le

falaire du travail & les profits des fonds, elles n'en occafionnent point dans le total des avantages & des défavantages, réels ou imaginaires, des différens emplois, tant de l'un que des autres. La nature de ces chofes eft telle, que, dans quelques uns de ces emplois, elles tiennent lieu d'un petit gain pecuniane, & que dans d'autres elles font le contre-poids d'un gain confidérable.

Cependant, pour que l'égalité fubfifte dans le total de ces avantages ou défavantages, il faut le concours de trois chofes, dans les endroits même où il règne la plus parfaite liberté ; 1o. les applications du travail & des capitaux doivent être bien connues & établies depuis long-temps dans le pays ou l'arrondiffement; 2°. elles doivent être dans leur état ordinaire & naturel; & 3°. elles doivent faire la feule ou la principale occupation de ceux qui s'y livrent.

Le lecteur trouvera le développement de ces trois remarques dans les Recherches fur la nature & les Caufes de la richeffe des nations, tom. I, pag. 233 de la traduction.

La police de l'Europe, en gênant la liberté, occafionne d'autres inégalités bien plus impor

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Les privilèges exclufifs de corporations font le moyen dont elle fe fert pour cet effet.

Le privilège exclufif d'un corps de métier borne la concurrence, dans une ville où il est établi, à ceux qui y font agrégés. Pour acquérir le droit d'en être, il faut communément fervir en qualité d'apprentif, dans une ville fous un maître. Les ftatuts de la corporation règlent quelquefois le nombre d'apprentifs qu'un maître peut avoir, & prefque toujours le nombre d'années que doit durer l'apprentiffage. L'intention de ces règles eft de reftreindre la concurrence à un plus petit nombre qu'il n'en entreroit fans cela dans le métier. La limitation du nombre des apprentifs le fait d'une manière directe; la longue durée de l'apprentiffage le fait d'une manière plus indirecte, mais auffi efficace, en augmentant les frais de l'éducation.

Par un ftatut de la communauté de Sheffield,

un maître ne peut avoir qu'un apprentif à la fois. A Norfolk & à Norwich, un maître tifferand ne peut en avoir que deux, fous peine d'une amende de cinq liv. fterl. par mois, payable au roi. Il n'eft permis à aucun maître chapelier, nulle part en Angleterre ni dans les colonies angloifes, d'en avoir davantage, fous peine de pareille amende, moitié au profit du roi, moitié au profit du dénonciateur. Mais, quoique ces réglemens aient été confirmés par une loi publique du royaume, ils font dictés par le même efprit de corporation qui a fait les ftatuts de Sheffield. Il y avoit à peine un an que les ouvriers en foie formoient une communauté à Londres, lorfqu'ils défendirent par un ftatut, à tous les maîtres de leur corps de prendre plus de deux apprentifs à la fois. Il a fallu un acte du parlement pour annuller cette difpofition.

Il paroît qu'anciennement la durée de l'appren tiffage, dans toute l'Europe, étoit de fept ans pour la plupart des corps de métier. On appelloit autrefois ces communautés, des univerfités. L'univerfité des forgerons, l'univerfité des tailleurs, &c. font des expreffions qu'on rencontre dans les vieilles chartes des anciennes villes. Lors du premier établiffement des corporations, qu'on appelle aujourd'hui univerfités, le nombre d'années d'étude qu'on exigea pour devenir maîtreès-arts, fut emprunté de la durée de l'apprentiffage dans les profeffions méchaniques, dont les Corporations étoient bien antérieures. Comme il falloit avoir travaillé fept ans fous un maître pour obtenir la maîtrife & le droit d'avoir foimême des apprentifs, il fut réglé qu'on étudieroit fept ans fous un maître, avant de devenir maître, profeffeur ou docteur (mots anciennement fynonymes), & pour avoir des écoliers & des apprentifs, mots également fynonimes dans l'origine.

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L'acte cinquième du règne d'Elifabeth, appellé communément le statut d'apprentissage, déclare que perfonne à l'avenir n'exercera aucu métier, profeffion ou art méchanique, exercé alors en Angleterre, à moins qu'il n'ait fervi au moins fept ans comme apprentif; & ce qui n'avoit été qu'un ftatut de plufieurs corporations particulières, devint une foi générale & publique pour tous les métiers pratiqués dans les villes de marché; car quoique les mots du ftatut foient généraux, & qu'ils paroiffent comprendre tout le royaume, fon effet a été limité par interprétation aux villes de marché, parce qu'on a jugé que pour la commodité des habitans de la campagne, & vu la difficulté d'y avoir affez d'ouvriers de chaque efpèce, il falloit qu'une feule perfonne pût exercer dans un village plufieurs métiers différens, quoiqu'elle n'eût pas fait fept ans d'apprentiffage dans chacun d'eux.

Par une interprétation littérale des termes de l'acte, on en à auffi borné l'effet aux métiers

établis en Angleterre avant qu'il parût, & on ne l'a jamais étendu à ceux qui s'y font introduits depuis. Cette limitation a donné lieu à diverfes diftinctions qui, confidérées comme règles de police, font extravagantes. Par exemple, on a condamné les carroffiers à ne faire ni par eux-mêmes, ni par les compagnons qu'ils emploient, les roues de leurs carroffes. Il faut qu'ils les achètent des maîtres faifeurs de roues, parce que ce métier exiftoit en Angleterre avant l'époque du ftatut d'Elifabeth. Mais un faifeur de roues, qui n'a jamais fait d'apprentiffage chez un carroffier, peut faire des carroffes par lui-même ou par les ouvriers qu'il emploie, le métier de carroffier n'étant point compris dans le ftatut, parce qu'il n'exiftoit pas en Angleterre avant que la loi fût portée. La plupart des manufactures de Birmingham, de Manchester & Wolverampton n'y font pas comprises par la même raison.

En France, la durée de l'apprentiffage varie felon les villes & les métiers. Cinq ans font le terme prefcrit à Paris pour un grand nombre mais avant qu'une perfonne puiffe exercer un métier comme maître, il faut dans la plupart qu'elle ferve cinq ans de plus comme journalier. Durant ce dernier terme il eft appellé compagnon de fon maître.

1 En Ecoffe, il n'y a point de loi qui fixe univerfellement la durée de l'apprentiffage. Le terme varie felon les corporations. Quand il est long, on peut en général en racheter une partie avec de l'argent. Dans la plupart des villes, on achète auffi pour peu de chofe la maîtrise dans une corporation. Les tifferands de toile de lin & de chanvre, qui font les principales manufactures du pays, & les autres artifans qui travaillent pour comme ceux qui font les rouets, les devidoirs, &c. peuvent y exercer leurs métiers fans rien payer. Dans toutes les villes de corporations, chacun peut vendre de la viande de boucherie tous les jours de la femaine où cette vente eft permife. Trois ans font le terme ordinaire de l'apprentiffage en Ecoffe, même pour certains en métiers qui demandent plus de connoiffances; & il n'y a peut-être pas de pays en Europe, où les loix des corporations foient fi peu oppref

eux

Comme la propriété qu'un homme a fur fon travail, eft le fondement de toute autre propriété, elle eft auffi la plus facrée & la plus inviolable. Le patrimoine d'un homme pauvre eft dans la force & l'adreffe de fes mains; & l'empêcher d'ufer de cette force & de cette adreffe, comme il croit devoir le faire fans porter aucun préjudice à fes femblables, c'eft une violation manifefte de cette propriété de toutes la plus facrée; c'eft un attentat vifible à la jufte liberté de l'ouvrier & de ceux qui voudroient l'employer. Car l'ou vrier n'étant pas le maître alors de travailler à ce qu'il lui plaît, les autres ne font pas les maitres

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IND

de faire travailler qui bon leur femble: on peut s'en rapporter fur le choix d'un ouvrier, à la difcrétion de ceux qui l'emploient. Ils font trop intéreffés à ne pas s'y méprendre. L'inquiétude du légiflateur, qui craint qu'on n'emploie des gens incapables, eft auffi déplacée qu'oppreffive.

Les longs apprentiffages ne peuvent garantir qu'on ne mettra pas en vente de l'ouvrage mal fait. Lorsqu'on en expofe de mauvais, c'eft en général l'effet de l'envie de tromper, & non de l'incapacité; & les longs apprentiffages ne mettent point à l'abri de l'envie de tromper. Il faut d'autres réglemens pour prévenir cet abus. L'empreinte qui eft fur la vaiffelle d'argent, & celles qu'on met fur les draps & les toiles, garantiffent mieux l'acheteur, (quoiqu'elles aient peut-être d'autres abus) qu'aucun ftatut de l'apprentiffage. Celui qui achète, regarde à ces marques, & il ne croit pas que ce foit la peine de s'informer fi celui qui a fait l'ouvrage, a fervi fes fept ans comme apprentif.

Cette inftitution n'eft nullement propre à rendre les hommes induftrieux. Un ouvrier qui trawaille à la pièce, doit être plus laborieux qu'un autre, parce que fon ardeur & fon application 1ni font utiles. Un apprentif doit être pareffeux, & il l'eft prefque toujours, parce qu'il n'a point d'intérêt immédiat à ne pas l'être. Dans les métiers inférieurs, la récompenfe eft l'unique aiguillon du travail. Ceux qui font plutôt dans le cas d'en jouir, doivent prendre auffi plutôt du goût pour le travail qui les leur procure, & acquérir plutôt l'habitude de l'induftrie. Il est tout fimple qu'un jeune homme conçoive de l'averfion pour Je travail, quand il n'en retire aucun bénéfice pendant long-temps. Les petits garçons qu'on met en apprentiffage avec les fonds des charités publiques, font obligés de fervir au-delà du nombre d'années ordinaire; & quand ils en fortent, ce font en général des fainéans & de mauvais Jujets.

IND

l'horlogerie, font fans doute le fruit de beaucou
d'idées profondes & d'un temps confidérable, &
on peut les regarder, à jufte titre, comme les
plus heureux efforts de l'efprit humain; mais une
fois trouvées & bien conçues, l'explication la
plus complette fur l'ufage des inftrumens & la
conftruction de ces belles machines, eft une af-
faire qui ne demande que quelques femaines; peut-
être même feroit-ce affez de quelques jours. Il
n'en faut certainement pas davantage dans les mé
tiers inférieurs. Il eft vrai qu'on n'y acquiert la
dextérité de la main qu'avec beaucoup de pra-
tique & d'expérience. Mais un jeune homme ap-
portera plus de foin & d'attention dans la pra-
tique, fi dès les commencemens il travaille com-
me un ouvrier à la journée, s'il eft payé à pro-
portion du peu d'ouvrage qu'il peut faire, &
s'il paye à fon tour ce qu'il peut gâter par
adreffe ou par inexpérience. Une pareille éduca
tion auroit en général plus d'effet, & feroit tou-
jours moins ennuyeufe & moins coûteuse; mais
le maître y perdroit le falaire de l'apprentif, qu'il
épargne aujourd'hui fept années de fuite. Peut-
être qu'à la fin l'apprentif y perdroit auffi car
il auroit plus de concurrens dans un métier qui
s'apprendroit aisément ; & quand il feroit un ou-
vrier confommé, fon falaire feroit moindre qu'il
ne l'eft. La même augmentation de concurrence
réduiroit les profits des maîtres auffi-bien que les
journées des ouvriers. Tous les arts, métiers &
profeffions méchaniques y perdroient; mais le
public y gagneroit, parce que tous les artifans
vendroient leurs ouvrages moins chers.

mal

Les corporations & la plupart de leurs loix ont été établies pour prévenir cette réduction de prix, & par conféquent celle du falaire & du profit, en arrêtant la concurrence libre qui l'occafionneroit. Pour ériger une corporation, il ne falloit anciennement, dans la plus grande partie de l'Europe, que l'autorité de la ville corporée où elle fe formoit. En Angleterre, il falloit ancore une charte du roi mais cette prérogative de la couronne femble avoir été réfervée, plutôt pour extorquer l'argent du fujet, que pour défendre la liberté commune contre l'oppreffion du monopole. En payant une fomme au roi, la charge s'obtenoit fans difficulté ; & quand une claffe particulière d'artifans ou de marchands s'avifoit d'a

Les anciens ne connoiffoient point du tout les apprentiffages; les devoirs réciproques de maître & d'apprentif font un article confidérable dans chaque code moderne la loi romaine garde un profond filence à leur égard. Nous ne connoiffons pas de mot grec ou latin, ( & nous croyons pouvoir affurer qu'il n'y en a point), qui exprimegir comme corporation fans avoir de charte, le l'idée que nous attachons au mot apprentif, celle d'un ferviteur qui s'engage à travailler d'un métier particulier pour le bénéfice d'un maître, durant un certain nombre d'années, à condition le maître lui montrera ce métier. Les longs apprentiffages font abfolument inutiles. Les arts méchaniques les plus difficiles, tels que celui d'horloger, ne contiennent pas des myftères qui exigent un fi long cours d'inftructions. La première invention des horloges & des monres, l'invention même de certains inftrumens de

que

roi ne perdoit pas toujours pour cela ces tributs bâtards (comme on les appelloit ) : car elle étoit obligée de payer tous les ans une taxe au roi pour l'exercice de fes privilèges ufurpés. L'infpection immédiate fur toutes les corporations & les ftatuts qu'elles jugeoient à propos de faire pour fe gouverner, appartenoit à la ville corporée où elles étoient; & la difcipline à laquelle elles étoient foumifes, regardoit non le roi, mais la grande corporation dont ces communautés fubordonnées étoient membres..

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Le gouvernement des villes corporées fe trou- peut fe convaincre fans beaucoup de calculs. Une voit tout entier dans les mains des marchands & obfervation fort fimple & à la portée de tout le des artifans, & il étoit de l'intérêt de chaque monde, le démontrera. Nous voyons, dans tous claffe de ces citoyens d'empêcher que le marché les pays de l'Europe, que pour une perfonne qui ne fût trop garni (comme ils s'expriment ) des fait fortune par l'induftrie de la campagne, c'eltproductions particulières de fon induftrie, c'eft-à-dire, par la culture & l'amélioration de la terre, à-dire, de le tenir dégarni. Chaque claffe s'em- il y en a cent qui parviennent à de grandes ripreffoit de faire des réglemens dans cette vue; cheffes par le commerce & les manufactures, ou pourvu qu'on la laiffât faire, elle confentoit par l'induftrie propre aux villes. L'induftrie eft volontiers que les autres claffes en fiffent autant. donc mieux récompenfée, & le falaire & les béIl eft vrai que, d'après ces réglemens, chaque néfices des capitaux font donc plus confidérables claffe étoit obligée d'acheter un peu plus cher dans une fituation que dans l'autre mais les cadans la ville les marchandises des autres claffes; pitaux & le travail cherchent naturellement l'emmais elle leur vendoit les fiennes plus cher auffi; ploi le plus avantageux. De là vient qu'ils fe rende manière que tout revenoit au même, & qu'audent dans les villes, & défertent les campagnes cune ne perdoit au commerce qu'elles faifoient autant qu'ils peuvent. enfemble dans les villes. Mais elles gagnoient toutes beaucoup dans leur commerce avec la campagne, qui eft celui qui foutient & enrichit les villes.

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Chaque ville tire de la campagne fes fubfiftances & les matières de fon induftrie: elle les paye fur-tout de deux manières ; 1o. en y renvoyant une partie de ces matières travaillées & manufacturées, dont le prix s'accroît alors du falaire des ouvriers & des bénéfices de leurs maîtres ou de ceux qui les emploient immédiatement; 20. en y envoyant une partie des productions brutes ou manufacturées qui lui viennent des autres pays ou des parties éloignées du même pays, & dont le prix s'accroît, en ce cas, du falaire des voituriers ou des mariniers, & des bénéfices des marchands qui les emploient. L'avantage que les villes tirent de leurs manufactures, réfulte du gain qu'elles font fur la première de ces deux branches de commerce; & l'avantage du trafic intérieur & extérieur réfulte du gain qu'elles font fur la feconde. Tout ce qu'elles gagnent par ces deux voies, fe réduit en falaire & en profits. Par conféquent, tous les réglemens qui tendent à faire monter le falaire & les profits plus haut qu'ils n'iroient autrement, tendent auffi à donner aux villes le moyen d'acheter une plus grande quantité du produit du travail de la campagne avec une moindre quantité de leur propre travail. Ils donnent aux marchands & aux artisans des villes un avantage fur les propriétaires, les fermiers & les ouvriers de la campagne, & ils rompent l'égalité naturelle qu'il y auroit fans cela dans le commerce qu'ils font entr'eux. Le produit annuel du travail de la fociété fe partage annuellement entre ces deux claffes d'hommes. Par le moyen de ces réglemens, il en revient aux habitans des villes une part plus groffe qu'il ne leur en reviendroit, fi ces réglemens n'existoient pas; & celle qui paffe aux habitans de la campagne, eft moindre qu'elle ne devroit être naturellement.

Que l'induftrie exercée dans les villes foit plus avantageufe par-tout en Europe que celle qu'on exerce à la campagne, c'est une chose dont on

Les habitans d'une ville font raffemblés dans le même lieu, & ils peuvent aifément fe liguer. Auffi voit-on que les métiers dont on fait le moins de cas, font devenus des corporations. Si ce n'eft pas dans une ville, c'eft dans une autre ; & dans celles où ils n'ont jamais fait corps, l'efprit de corporation, la jaloufie contre les étrangers, & la répugnance à prendre des apprentifs ou à communiquer le fecret de leur art, ne laiffent pas de dominer parmi eux, au point qu'ils favent bien empêcher, par des affociations & des conventions volontaires, cette liberté de concurrence qu'ils ne peuvent prévenir par des ftatuts. Ces fortes de complots fe font plus aifément dans les métiers qui n'exigent qu'un petit nombre de bras. Il faut peut-être une demi-douzaine de cardeurs de laine pour donner de l'occupation à un millier de fileufes & de tifferands. S'ils conviennent de ne pas prendre d'apprentifs, ils peuvent s'emparer de tout l'ouvrage en fe faifant employer feuls, & réduire toute la manufacture dans une forte d'efclavage par rapport à eux, & hauffer le prix de leur travail bien au delà de ce qu'il vaut.

Les habitans de la campagne vivent difperfés, & il ne leur eft pas facile de fe concerter. Nonfeulement ils n'ont jamais fait corps, mais l'efprit de corporation n'a jamais régné parmi eux. On n'a pas cru qu'il fût befoin d'apprentiffage pour mettre au fait de l'agriculture, qui eft le travail de la campagne. Cependant, après ce qu'on nomme les beaux arts & les profeffions libérales, il n'eft peut-être pas un métier qui demande une auffi grande variété de connoiffances & autant d'expérience. La multitude innombrable de livres écrits fur ce fujet, dans toutes les langues, font bien voir que les nations les plus fages & les plus favantes ne l'ont jamais regardé comme fort aifé. Or, nous tenterions vainement de puiser dans tous ces livres une connoiffance des opérations variées & compliquées du fermier, telle que la poffèdent les fermiers ordinaires, quoiqu'en puiffent dire certains auteurs qui affectent quelquefois de parler des fermiers avec dédain. A peine y a-t-il, au contraire, un seul art méchanique dont

on ne puiffe développer tous les procédés dans | un pamphlet de quelques pages, auffi complette ment & auffi diftinctement qu'il eft poffible de le faire avec des mots & des figures. Dans l'hiftoire des arts que l'académie des fciences de Paris publie, plufieurs d'entr'eux fe trouvent expliqués de cette manière. D'ailleurs la direction d'opérations qui doivent varier felon le tems qu'il fait, & felon bien d'autres circonstances, exige beaucoup plus de jugement & de circonfpection que celle d'opérations qui font toujours les mêmes ou à peu près les mêmes.

Auffi à la Chine & dans l'Indoftan, le rang & le falaire des ouvriers de la campagne font-ils, à ce qu'on dit, fupérieurs à ceux de la plupart des artifans & des manufacturiers, & il en feroit vraifemblablement de même par-tout, fans l'efprit & les loix de corporations.

L'avantage que l'induftrie des villes a fur celle de la campagne dans toute l'Europe, n'eft pas uniquement l'effet de leurs corporations & de leurs loix. Il eft foutenu par plufieurs autres réglemens. Les gros droits fur les manufactures étrangères & fur les marchandifes importées par les marchands étrangers, tendent au même but. Les loix des corps de métiers mettent les habitans des villes dans le cas de hauffer leur prix, fans craindre que la concurrence de leurs concitoyens les force à les diminuer. Les autres réglemens écartent la concurrence des étrangers. Le furhauffement du prix occafionné par ces doubles entraves, retombe fur les propriétaires, les fermiers & les ouvriers de la campagne, qui rarement fe font oppofés à ces fortes de monopole. Ils n'ont donc en général ni la volonté, ni la fermeté néceffaires pour former une contreligue, & les clameurs & les fophifmes des marchands & des manufacturiers leur perfuadent aifément que l'intérêt d'une partie ; & d'une partie fubordonnée, eft l'intérêt du tout.

Les gens du même métier ne fe raffemblent guères, même pour fe divertir, fans que leur entretien aboutiffe à une confpiration contre le public, ou à quelqu'invention pour renchérir leur travail. Il eft impoffible d'empêcher ces affemblées par aucune loi compatible avec la liberté & la juftice. Mais fi les loix ne peuvent les empêcher, elles ne doivent rien faire pour les faciliter, ni à plus forte raifon pour les rendre néceffaires,

Un réglement qui oblige les gens d'un même métier à configner leurs noms & leurs domiciles dans un registre public, facilite ces affemblées. Il lie enfemble les individus qui, fans cela, ne fe feroient jamais connus, & donne à chacun d'eux le moyen de trouver tous les autres,

Un réglement qui les autorife à fe taxer euxmêmes pour le foulagement de leurs pauvres, de leurs malades, de leurs yeuves & de leurs orphe

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lins, rend ces affemblées néceffaires, parce qu'il leur donne un intérêt commun à diriger. Une corporation n'entraîne pas feulement la néceffité des affemblées; la pluralité des voix lie tous les membres. Dans un métier libre, il ne peut fe former de ligue efficace que de l'aveu unanime de tous ceux qui l'exercent, & elle ne peut durer qu'autant que chacun d'eux perfifte dans fon avis. Dans un corps de métier, la majorité fera paffer un ftatut accompagné d'une fanction pénale, qui limitera la concurrence d'une manière plus efficace & plus durable que ne le feront jamais toutes les conventions volontaires.

Ce qu'on dit de la néceffité des corporations pour maintenir le bon ordre & la police dans les métiers, eft dénué de fondement. La véritable difcipline & la plus efficace fur les ouvriers n'eft pas celle de leur communauté, mais celle qu'exercent leurs pratiques. C'eft la crainte de les perdre qui empêche un ouvrier de tromper, & qui le corrige de fa négligence. Or, le privilège exclufif des corps de métiers affoiblit cette difcipline, puifqu'on eft obligé de fe fervir des membres de ces corps, qu'ils travaillent bien ou mal. C'est pour cela que plufieurs grandes villes à corporations ne fourniffent pas un ouvrier paffable dans quelques métiers, même des plus néceffaires. Si on veut que l'ouvrage ne foit pas mauvais, il faut le commander dans les fauxbourgs où chez les ouvriers qui, n'ayant point de privilège exclufif, ne peuvent rien attendre que de leur réputation ; & quand cet ouvrage eft fait, il faut chercher des expédiens pour le faire entrer en fraude dans la ville.

C'est ainsi que la police de l'Europe, en limitant la concurrence, de certaines profeffions, à un plus petit nombre d'ouvriers, occafionne une inégalité importante dans la répartition du total des avantages & des défavantages des différens emplois du travail & des fonds.

2o. En augmentant dans certaines profeffions la concurrence au-delà de ce qu'elle feroit, elle

produit une autre inégalité d'un genre oppofé dans

cette même répartition.

L'idée de l'importance de certaines profeffions & la crainte de les voir manquer de fujets, ont à fonder des penfions, des écoles, des collèges, engagé le public, & quelquefois des particuliers, des bourfes, &c. pour l'éducation des jeunes gens qu'on y deftine; ce qui attire dans ces profeffions bien plus de monde qu'il n'y en auroit autrement. C'eft ainfi, je crois, qu'un grand nombre d'eccléfiaftiques font élevés. Fort peu le font entièrement à leurs frais. Le tems, l'ennui & la dépense qu'il en coûte à ceux-ci, n'ont pas toujours une récompenfe proportionnée, parce que l'églife regorge de fujets qui, pour fubfifter, font obligés de fe contenter d'honoraires fort au-deffous de ceux qui conviendroient à la décence de leur état & à la nature de leur éducation :

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