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π 66 20

Phil 5246.2.10

Phil 5246.11

Harvard College Library,
22 May, 1890.

From the Library of

PROF. E W. GURNEY.

TRAITÉ

DES

FACULTÉS DE L'ÂME.

LIVRE IX.

LES NOMS QUI S'APPLIQUENT A DIVERS ACTES
DE L'ESPRIT.

CHAPITRE I.

LE JUGEMENT.

§ Ier. L'idée ne précède pas le jugement, c'est le jugement qui précède l'idée.

Le jugement et le raisonnement ont été longtemps considérés comme des facultés spéciales de l'intelligence. On les faisait précéder d'une autre faculté qu'on appelait la conception, et dont l'emploi était de nous faire acquérir les notions ou idées une à une. Le jugement unissait deux idées; le raisonnement en renfermait trois. → Telle était, pensait-on, la marche de la nature. Il n'en était rien cependant : nous ne débutons pas par acquérir les idées une à une, ayant plus tard à les unir: nous commençons par saisir plusieurs notions à la fois. Nous nous occuperons plus tard du raisonnement:

voyons d'abord les oppositions qu'on établissait entre l'idée et le jugement.

:

Voici comment la Logique de Port-Royal s'exprime sur ce sujet « Après avoir conçu les choses par nos idées, nous comparons ces idées ensemble, et trouvant que les unes conviennent entre elles et que les autres ne conviennent pas, nous les lions ou délions, ce qui s'appelle affirmer ou nier, ou généralement juger. Le jugement s'appelle aussi proposition (quand il est exprimé par le discours), et il est aisé de voir que la proposition doit avoir deux termes (le terme étant l'expression de l'idée): l'un de qui l'on affirme ou de qui l'on nie, lequel on appelle sujet, et l'autre que l'on affirme ou que l'on nie, lequel s'appelle attribut ou prædicatum. Et il ne suffit pas de concevoir ces deux termes, mais il faut que l'esprit les lie ou les sépare, et cette action de notre esprit est marquée dans le discours par le mot est, ou seul, quand nous affirmons, ou avec une particule négative, quand nous nions. Ainsi quand je dis: Dieu est juste, Dieu est le sujet de cette proposition, et juste en est l'attribut, et le mot est marque l'action de mon esprit, qui affirme, c'est-à-dire qui lie ensemble les deux idées de Dieu et de juste, comme convenant l'une à l'autre........ Les propositions se divisent encore, selon la matière, en vraies et en fausses, et il est clair qu'il n'y en peut point avoir qui ne soient ni vraies ni fausses: puisque toute proposition marquant le jugement que nous faisons, elle est vraie quand ce jugement est conforme à la vérité, et fausse lorsqu'il n'y est pas conforme 1. »

Il résulte de ce passage que nos idées primitives ne sont pas en rapport les unes avec les autres, qu'elles ne sont ni liées, ni déliées, ni affirmatives, ni négatives, ni

1. La logique ou l'Art de penser, I1a partie, chap. II, 5o édit., page 144.

vraies, ni fausses, et qu'elles ne contiennent rien qui puisse s'exprimer par le mot être. Ceci posé, on s'étonnera qu'en unissant de pareilles idées, nous produisions des affirmations ou des négations, des propositions vraies ou fausses, où le mot être soit légitimement employé. Il y aurait donc dans le tout ce qui n'était pas dans les parties? Pour prendre l'exemple qu'on nous donne, si nous commençons par acquérir l'idée de Dieu, sans y joindre aucune existence qui puisse s'exprimer dans le discours par le mot être, ou l'idée de juste, sans celle d'un être auquel appartienne la justice, par quel lien pourrons-nous unir ces deux idées Dieu et juste? Par quel pouvoir magique le jugement introduira-t-il le mot être entre ces deux idées, dont aucune, prise à part, ne peut justifier ce mot?

« L'action d'affirmer ou de nier est, dit-on, marquée dans le discours par le mot est; ainsi, c'est le jugement qui introduit le mot être dans le discours, c'est lui qui affirme l'existence extérieure de l'objet des idées, et le. rapport des idées entre elles. » On suppose donc que nous commençons par acquérir l'idée des corps, sans celle de l'existence des corps, l'idée de nous-mêmes sans celle de notre existence, l'idée de l'infini sans celle de l'existence de l'infini. C'est tout le contraire qui arrive : nous avons connu d'un seul coup les corps comme existants, nous-mêmes comme existants, l'espace, le temps et la cause éternelle comme existants, et c'est par une opération ultérieure, celle de la réminiscence, qu'il nous a été possible de penser aux corps sans penser à leur existence, au moi, ou aux objets infinis sans penser à l'existence du moi, ou des objets infinis, et, par une abstraction bien plus difficile, de penser à l'existence sans y joindre l'idée d'aucun sujet existant. Le premier acte de l'intelligence nous fait donc saisir les choses comme existantes, et si l'on veut donner le nom

de jugement à ce qui affirme l'existence, il faut dire que nous jugeons dès le premier acte de la pensée, et que le jugement précède l'idée abstraite. C'est pour avoir cru que l'idée, vide de réalité extérieure, était le premier acte de l'esprit, que la philosophie a cherché si longtemps, comme on le dit, le passage de l'idée à l'être, qu'elle a fait un traité de l'idée sous le titre de logique ou de psychologie, et un traité de l'être sous le titre d'ontologie, sans pouvoir jamais résoudre, comme on le dit encore, le problème du passage de la psychologie à l'ontologie. Et en effet, si nous commençons par des idées vides et isolées, comme celles de la réminiscence, nous y demeurerons toujours, sans pouvoir leur donner légitimement un objet réel qu'elles n'ont pas d'abord; le passage de la psychologie à l'ontologie est impossible; la psychologie n'est qu'un vain discours sur des apparitions et des fantômes, et le scepticisme est invincible. Mais les choses vont tout autrement qu'on ne se l'imagine: le premier acte de la pensée nous fait saisir les choses existantes, de sorte que la psychologie bien entendue contient l'ontologie, et qu'elle en est le seul fondement.

§ 2. Le jugement est un nom qui convient aux perceptions, aux conceptions idéales et aux croyances. Les conceptions de la mémoire ne sont pas des jugements.

Les premières perceptions nous font saisir non-seulement les choses existantes, mais plusieurs choses en rapport les unes avec les autres. Nous ne connaissons jamais un objet tangible ou une couleur sans une forme, ni une forme sans un objet tangible, ou sans une couleur, et ces choses ne nous sont pas données d'abord comme de pures pensées, des idées vides, ou des modifications de notre âme, mais comme des réalités dis

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