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primitive s'étant développée, selon l'attente universelle, fondée sur des promesses divines, la société spirituelle s'est développée pareillement; qu'elle est devenue société publique; que, depuis ce moment ou depuis JésusChrist, la société chrétienne eut toujours incontestablement la plus grande autorité, et que parmi les communions chrétiennes, le caractère de la plus grande autorité appartient à l'Eglise catholique; de sorte qu'en elle seule réside le salut1. » Nous demanderons d'abord comment, avant Jésus-Christ, la religion de la société universelle pouvait se distinguer des superstitions locales? Ces superstitions étaient partout les mêmes; on adorait partout plusieurs dieux, partout un dieu de la guerre, une déesse de l'amour et de la fécondité; c'était la superstition qui alors était catholique ou universelle. Secondement, comment dire que, depuis Jésus-Christ, la société chrétienne a toujours eu la plus grande autorité, puisqu'elle a employé plus de dix-neuf siècles à combattre les superstitions et les hérésies, et qu'elle n'a pas encore conquis la majorité des hommes. Troisièmement, enfin, comment fonder la supériorité de l'Église catholique sur l'autorité du nombre, lorsque la constitution de cette Eglise au lieu de reposer sur le suffrage universel ou même sur celui de la majorité, repose sur la hiérarchie; lorsque l'autorité descend du pape sur les évêques et des évêques sur le reste du clergé, lorsque le chef de la doctrine a le droit de mettre tous les autres croyants en dehors de sa communion? L'autorité qui règle l'Église catholique est donc l'autorité du plus petit nombre. « Mais, a dit notre auteur, fixer le nombre des témoignages nécessaires pour produire une certitude parfaite est impossible, cela dépend de mille circonstances, et en particulier du poids de chaque témoignage pris à part2. » Si vous pesez les

1. Essai sur l'indiff., p. 202.

2. Ibid., p. 40.

témoignages au lieu de les compter, vous renoncez à la suprématie de la pluralité. << Mais ce poids n'est fixé que par le consentement général 1. » Vous abandonnez alors le poids pour le nombre, et vous êtes en contradiction avec votre église et avec vous-même.

En résumé, pour apprécier la valeur du consentement général, il faut distinguer les connaissances d'avec les croyances. Dans la limite des perceptions et des conceptions, le consentement est universel; mais chaque sens individuel concourant à former ce consentement, il n'en subit pas l'action, il en est la cause et non l'effet. Le fou est seul, sur ce point, contraire au sentiment commun, mais il n'en reçoit pas l'influence, et il ne s'y range que quand il parvient à discerner par lui-même ses conceptions d'avec ses perceptions. Dans l'ordre des croyances, au contraire, le consentement général exerce une grande action; la croyance du plus grand nombre n'emporte pas toujours celle du plus petit: mais elle l'intimide et le gêne. Nous ne croyons pas nécessairement comme la majorité, mais nous aimons à croire comme elle. Il faut observer toutefois que dans ce cas le sentiment commun est aussi faillible que le sens individuel, parce qu'il n'est qu'une croyance. Il est donc impossible de considérer le témoignage général comme produisant la certitude, ni surtout comme la produisant à l'exclusion des facultés de la raison individuelle. Il est impossible, en conséquence, de le regarder comme l'expression d'une révélation primitive. L'auteur voulait placer la raison de l'homme

dans l'alternative ou de vivre de foi ou d'expirer dans le vide. » La foi fait partie de l'intelligence humaine; mais elle n'en est pas la seule faculté; et la raison ne tombe pas dans le vide dès qu'elle met le pied hors de

1. Essai sur l'indiff., p. 40.

2. Ibid., p. 2.

la foi. L'enfant qui ne sait pas par lui-même que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, et qui l'admet sur la parole du maître fait un acte de foi, il croit à cette égalité; mais le maître ne la croit pas, il la sait. La croyance permet toujours de comprendre le contraire de ce qu'on croit : le laboureur qui ensemence la terre comprend que la semence pourrait ne pas lever, mais celui qui connaît sa propre existence ne comprend pas qu'elle ne soit pas au moment où il la connaît; la croit donc pas, il la sait. Telle est la distinction qu'il faut faire entre la connaissance et la croyance et on verra par là que l'intelligence ne vit pas uniquement de foi. Sans cette distinction il est impossible d'arriver à une solution satisfaisante du problème de la certitude.

il ne

§ 12. De l'autorité d'un chef de doctrine en matière profane.

Un autre écrivain de notre temps1 combat comme nous l'autorité du plus grand nombre, mais il y substitue une autorité différente que nous ne pouvons pas non plus accepter. C'est celle d'un chef de doctrine devant lequel tous les autres hommes n'auraient qu'à incliner leur raison.

L'auteur, pour appuyer sa thèse, n'invoque pas de motifs tirés de l'ordre sacré; il prétend la défendre par des arguments purement humains et philosophiques, et c'est par ce côté que son opinion tombe sous notre jugement. Il s'élève d'abord contre l'autorité de la pluralité, et par conséquent contre celle des assemblées délibérentes et des conciles universels 2. Nous lui accordons que les assemblées sont faillibles comme les individus,

1. Joseph de Maistre.

2. Du pape, édit. 1841, p. 11, 13, 21, 24, 78, 81, 90, 91, 93, 131, 132.

que leurs décisions sont plus lentes, plus embarrassées, qu'elles se déjugent les unes les autres, qu'en multipliant les voix, on ne multiplie pas nécessairement les lumières; et que les assemblées peuvent être aussi despotiques que le chef le plus absolu. Cependant il faut reconnaître que, dans les matières de pure croyance, un instinct nous pousse à nous ranger du côté du plus grand nombre. La Providence, comme nous l'avons déjà fait observer, a voulu sans doute donner plus d'unité à l'espèce humaine, en ne lui permettant de changer d'opinion que par masses et pour ainsi dire d'un mouvement d'ensemble. Bien que le sentiment de la pluralité ne nous donne pas de certitude, nous inclinons plus de ce côté par notre nature que vers l'opinion d'un seul.

Les motifs que donne l'auteur en faveur de ce chef auquel nous devrions soumettre notre jugement sont pris de la nécessité de décider les questions, de les décider promptement et d'une manière souveraine et irrévocable'. Ce qu'il recherche par-dessus tout c'est l'ordre, la règle et la paix; ce qu'il déteste c'est l'anarchie, le désordre et la guerre; quant à la vérité, à la justesse de la décision, à la pureté même de la foi, l'auteur en a peu de souci. « Notre intérêt, dit-il, n'est pas qu'une question de métaphysique divine soit décidée de telle ou telle manière, mais qu'elle le soit sans retard et sans appel2. » Peut-on avoir plus de mépris pour les dogmes d'une religion qu'on veut faire prévaloir? Il n'a pas plus de respect pour le chef dont il essaye d'établir l'autorité. Il ne lui accorde qu'une infaillibilité de convention, dont personne n'est la dupe. « Aucune promesse divine n'aurait été faite au pape qu'il ne serait pas moins infaillible.... C'est la même chose dans la pratique d'être

1. Du pape, p. 29 et 74.

2, Ibid., p. 130.

infaillible ou de se tromper sans appel1. « Ce chef peut librement abuser de son pouvoir parce que cet abus n'égalera jamais les maux qui résultent de la révolte; il peut être dissolu, parce que ses excès n'empêcheront pas de poursuivre les scandales publics dans ses tribunaux 3 Il n'est donc pas question ici de la légitimité des jugements de ce maître. L'auteur ne cherche pas à l'établir et nous n'avons pas à la combattre. Ce qu'il demande c'est une décision quelconque, pourvu qu'elle soit une décision et qu'elle soit prompte. Nous ferons observer seulement que, dans sa haine des révolutions, qui, dit-il, commencées par les plus sages sont toujours terminées par les fous, il enveloppe, lui chrétien, la révolution qui a fondé le christianisme; et que, si la religion païenne avait eu l'organisation qu'il veut établir dans la religion catholique, nous verrions sur le trône de Rome le grand pontife de Jupiter. Nous répétons que nous n'avons pas l'intention d'établir ici une discussion théologiqne, ni de prononcer entre ceux qui, d'après les textes sacrés, soumettent les conciles au pape, et ceux qui, en s'appuyant sur les mêmes textes, soumettent les papes aux conciles; nous voulons seulement établir que, dans l'ordre naturel, il est impossible de prouver la supériorité de la décision d'un seul sur la décision de la pluralité; non pas que celle-ci soit assurée de la certitude, mais parce que, si un grand homme a souvent raison contre la foule, rien ne nous garantit que celui que nous aurons choisi pour juge unique soit précisément ce grand homme.

L'ardent défenseur de l'unité du juge a lui-même obéi à la pente naturelle et a souvent senti le besoin de justifier par le suffrage du plus grand nombre les arrêts du maître souverain. « Les papes, dit-il, n'ont jamais pré

1. Du pape, p. 6 et 234.

2. Ibid., p. 142. 3. Ibid., p. 147.

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