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CHAPITRE IX.

Exemple du ftyle brillant & fleuri, ou Examen de l'Oraifon funèbre de M. de Turenne par M. Fléchier.

ON a obfervé & dit plus d'une fois, Na que la plupart des préceptes d'Eloquence étoient d'une médiocre utilité à ceux qui veulent devenir orateurs. Peut-être en trouveroit - on la raifon dans l'infuffifance des exemples, tels qu'on les donne. On définit une figure, on cite pour modéle un trait de quelque orateur célébre, ancien ou moderne : cela peut fuffire pour donner une idée de la chofe qu'on définit; mais cela ne fuffit pas pour faire connoître l'art, qui tient plus à la liaison & aux rapports des parties qu'aux parties elles-mêmes. Il faut fuivre l'orateur dans un fujet, examiner fous quel point de vûe il le

il le développe, comment il l'habille, comment il le pare; en un mot, ce que le génie, le goût, l'oreille ont produit ou de concert, ou féparément, dans le fujet traité ; & quel parti l'orateur a pris quand les intérêts de ces différentes facultés fe font trouvés oppofés. C'est ce que je me propofe de faire dans l'examen de l'Oraifon funèbre de M. de Turenne par M. Fléchier. On fait que cet Orateur a excellé dans le genre fleuri: il pourra fervir ici d'exemple.

Le difcours fleuri n'eft pas celui où tous les mots feroient autant de fleurs. C'eft, felon la defcription que nous en donne Denys d'Halicarnaffe, celui dont le ftyle eft léger & rapide, dont les mots fe pouffent & s'attirent mutuellement par des liaifons douces & par une certaine mélodie qui les unit & femble n'en faire qu'un mot. Le même Rhéteur le compare à une eau vive & limpide, qui coule fans ceffe, & toujours avec la même facilité; à un tiffu de foie, varié de nuances

délicates; à un tableau brillant dont les couleurs font fondues, mêlées, contraftées avec intelligence. Toutes les expreffions qui y font employées font polies, fonores, revêtues de graces, & parées d'une certaine fraîcheur de jeuneffe: tout y eft mefuré, compaffé. Les membres des périodes fe lient fans fe mêler, s'accordent fans se confondre, se graduent pour tomber au gré de celui qui écoute : leurs finales nombreufes & variées font préparées de loin & amenées comme par degrés. Les périodes elles mêmes femblent fortir du texte pour être plus apparentes & avoir plus d'effet. Là on ne rencontrera point de mots ou de figures furannées, rien de lourd, de dur, de traînant: tout eft délicat, fin, gracieux, brillant, tout eft fait pour Hatter l'oreille & pour féduire l'efprit. Paffons à l'exemple.

Le fujet s'annonce par le titre feul: c'est l'éloge de M. de Turenne. C'étoit un héros, un guerrier fameux par

K

vent fortir toutes les branches du dif cours. Quelle eft la division?

La vie de tout homme n'eft qu'une fuite de combats; les Chrétiens le favent, le Sage l'a dit. Celle d'un grand homme doit donc être une fuite de victoires. M. de Turenne a triomphé des ennemis de l'Etat par fa valeur, première branche de divifion; des paffions de l'ame par fa fageffe, feconde branche; des erreurs & des vanités du fiécle par fa piété, troifième branche. Cette divifion eft jufte : on fent bien que toutes les actions d'un héros vraiment chrétien, peuvent être rapportées à ces trois points, & qu'elles doivent fortir de ces trois branches comme autant de fruits. Voilà donc le fil qui doit conduire & l'orateur & l'auditeur dans la fuite du difcours. Il pourra fe faire que quelquefois ces différentes parties rentrent un pen les unes dans les autres, à cause de la nature du fujer, & parce que les actions des hommes, & fur-tout des hommes vertueux, ne peuvent être

féparées de leurs principes, qui font toujours à peu-près les mêmes; l'Orateur en avertit, & fe juftifie d'avance par une raifon ingénieufe, qu'il a mieux aimé tirer d'une circonstance qui tient au fentiment, que de fa vraie caufe: » Si j'interromps cet ordre de » mon difcours, pardonnez un peu de » confusion dans un fujet qui nous a » donné tant de troubles (a).

Exorde. Tout orateur qui commence doit prendre fes auditeurs au point où ils font, pour les mener au but qu'il fe propofe. On fait l'effet que produifit fur les efprits, dans toute la France, la mort de M. de Turenne. L'Orateur habile, favorifé d'ailleurs par l'appareil même de la cérémonie lugubre, fe remet au moment où l'on apprit cette trifte nouvelle quelques mois auparavant, & d'une voix baffe & demi- plantive, il

(a) Nous mettons | nous avons fuivie, & en marge les chiffres qui eft celle de 1734, qui marquent les pa- chez Defaint & Sail

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