Images de page
PDF
ePub

pouvoir tomber auffi fur nous, c'est Compaffion.

Il en eft de même du bien. S'il eft préfent, il caufe la Joie. S'il eft abfent, & qu'il y ait quelque moyen de l'obtenir, c'eft l'Efpérance. S'il eft dans d'autres à notre préjudice, c'eft l'Envie. Si on veut nous l'arracher quand nous le poffédons, il produit la Colère. Il feroit aifé de pouffer loin ces détails & de multiplier les exemples: tous les tragiques en font pleins d'un bout à l'autre. D'ailleurs on les fent affez, quand on les trouve dans les Auteurs. S'il s'agit de les exprimer, il faut les éprouver en foi-même ; & on n'arrive point à les fentir, ni par fyftême, ni par règles. Nous traiterons ci-après de la manière de les exprimer.

SECTION SECOND E.

DE LA DISPOSITION ORATOIRE.

LA Difpofition dans l'Art Oratoire confifte à arranger toutes les parties fournies par l'Invention, felon la nature & l'intérêt du fujet qu'on traite. La fécondité de l'efprit brille dans I'Invention: la prudence & le jugement dans la Difpofition.

Tout ouvrage doit avoir, s'il eft entier, un commencement, un milieu, une fin. Il y aura donc dans le difcours oratoire, un exorde, enfuite viendront les récits, ou les preuves, & enfin une conclufion, quelle qu'elle foit, qui avertiffe au moins que tout

eft dit.

L'Exorde eft la partie du difcours qui prépare l'auditeur à entendre le refte. Le Récit eft l'expofé clair & court d'un fait. Une Preuve est un raifonnement qui établit la vérité

d'une propofition. On entend affez te que c'eft que Conclufion : les chofes claires s'obfcurciffent quand on veut les expliquer. Reprenons toutes ces parties, & voyons ce que l'Art prefcrit à l'Orateur par rapport à chacune d'elles.

CHAPITRE I

De l'Exorde.

L'EXORDE eft une partie très-importante dans le difcours. Il s'agit de difpofer les efprits à recevoir favorablement ce qu'on va leur adreifer. Pour cela, les maîtres de l'Art veulent que l'Exorde foit ingénieux, modefte, court, & tiré du fond même du fujet.

Les Orateurs,tant Grecs que Romains en avoient ordinairement des provifions de toute efpèce, tirés de la perfonne même qui parle, ou de celie des auditeurs, ou de celle de l'accufé, de l'accufateur, des juges, ou des

circonftances des lieux, des tems, &c. Ils les accommodoient au fujet le mieux qu'il étoit poffible, fauf à les retravailler ou à en fubftituer d'autres, quand le difcours fe donnoit au public. Aujourd'hui on ne veut point tant d'art. S'il faut parler fur le champ, on faifit l'exorde qui fe préfente; ou s'il ne s'en préfente point, on entre en matière fans autre apprêt.

On veut que l'Exorde foit ingénieux. Ce qui ne fignifie pas qu'il fera pétillant, étincellant de pointes & d'antithèses; mais raifonnable, & af faifonné dans un dégré qui donne bonne opinion du talent, du génie, du bon fens de l'Orateur; qui annonce bien ce qui doit fuivre, & qui détermine l'auditeur à écouter avec attention.

Il fera modefte. Qualité qui rehauffe toujours le prix du talent & de la vertu, & que l'Orateur ne doit jamais montrer plus qu'à l'entrée de fon difcours. L'amour-propre de l'auditeur est & délicat, fi aifé à bleffer, le perfonnage de

quiconque s'élève pour faire la leçon aux autres, eft fi voifin de l'orgueil, qu'il faut beaucoup d'art pour faire les premiers pas fans déplaire. A la bonne heure que ceux qui ont miffion, fe préfentent avec confiance, comme ambaffadeurs de la vérité, pro Chrifto legatione fungimur. Mais on fait diftinguer la confiance du ministère de la confiance du miniftre. L'une redouble: les forces de l'éloquence, l'autre les détruit.

Il fera court, c'est-à-dire, proportionné à l'étendue du difcours. On ne mettra point la tête d'un pygmée fur les épaules d'un géant, ni celle d'un géant fur le cou d'un pygmée. S'il falloit que la proportion ne s'y trouvật pas, il feroit mieux qu'il fût trop court que trop long. Rien ne déplaît tant à l'auditeur que la perfpective d'une longue difcuffion.

On diftingue deux fortes d'Exordes; l'un qui fe fait par la voie de l'infinuation ; quand il s'agit de difpofer peu à peu les efprits à prendre la route qu'on

« PrécédentContinuer »