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(XV)-PLAINTES D'UNE MÈRE ABANDONNÉE.

Dors, mon enfant, clos ta paupière,
Tes cris me déchirent le cœur ;
Dors, mon enfant, ta pauvre mère
A bien assez de sa douleur.

Lorsque, par de douces tendresses,
Ton père sut gagner ma foi,
Il me semblait dans ses caresses,
Naïf, innocent comme toi ;

Je le crus, où sont ses promesses?
Il oublie et son fils et moi.

Qu'à ton réveil, un doux sourire,
Me soulage dans mon tourment;
De ton père, pour me séduire,
Tel fut l'aimable enchantement:
Qu'il connaissait bien son empire
Et qu'il en use méchamment !

Le cruel, hélas! il me quitte,
Il me laisse sans nul appui.
Je l'aimai tant avant sa fuite!
Oh! je l'aime encore aujourd'hui !
Dans quelque séjour qu'il habite,
Mon cœur est toujours avec lui.

Oui, le voilà! c'est son image
Que tu retraces à mes yeux :
Ta bouche aura son doux langage,
Ton front son air vif et joyeux ;
Ne prends point son humeur volage,
Mais gardes ses traits gracieux.

Tu ne peux concevoir encore
Ce qui m'arrache ces sanglots.
Que le chagrin qui me dévore
N'attaque jamais ton repos

Se plaindre de ceux qu'on adore,
C'est le plus grand de tous les maux.

Sur la terre il n'est plus personne
Qui se plaise à nous secourir ;
Lorsque ton père m'abandonne,
A qui pourrais-je recourir ?

Ah! tous les chagrins qu'il me donne,
Toi seul, tu peux les adoucir.

Mêlons nos tristes destinées,
Et vivons ensemble toujours.
Deux victimes infortunées,
Se doivent de tendres secours.
J'ai soin de tes jeunes années,
Tu prendras soin de mes vieux jours.

Dors, mon enfant, clos ta paupière,
Tes cris me déchirent le cœur ;
Dors, mon enfant, ta pauvre mère
A bien assez de sa douleur.

(XVI.)-LA FEMME.

Berquin.

À l'enfance faible et timide,
Prodiguant ses soins caressans,
Une femme devient le guide
De nos pas encore chancelans :
Et lorsque vient l'hiver de l'âge,
De fleurs semant notre chemin,
Elle nous donne encor la main.

La Fontaine.

(XVII.)-SABAN ET L'ESCLAVE ALGÉRIEN.

SABAN, fils d'un marinier, fut pris par les Turcs dans son enfance, et élevé dans la religion Mahométane. Lorsqu'il eut l'âge, on l'envoya à Alger, avec le titre d'Aga (commandant). Son affabilité, ses manières nobles lui, firent donner le surnom de Galant. Grand guerrier, habile marin, Saban acquit bientôt des richesses immenses, et se fit une brillante réputation.

Comme il passait un jour par le marché où l'on vend des esclaves, il adressa la parole à plusieurs d'entre eux, et trouva par hasard un de ses compatriotes. Il l'acheta pour un prix très-modique, car c'était un pauvre pêcheur de fort peu d'apparence.

Saban emmena l'esclave chez lui, et lui dit: J'ai payé pour vous cent cinquante patagons-à-peu-près cent cinquante écus; si vous voulez promettre de donner pareille somme dans votre pays à un tel, qui est mon parent et pauvre, je vous renverrai par le premier corsaire qui partira. Le pêcheur, fort content de cette proposition, promit de payer fidèlement, à celui que lui désignait l'aga, la somme de cent cinquante écus; en conséquence, l'Algérien le fit embarquer sur le premier navire prêt à faire voile, et donna ordre qu'on le débarquât dans son pays.

Les gens de son canton furent surpris de le revoir sitôt, car ils le savaient en esclavage. Il raconta comment la fortune l'avait servi, en lui envoyant l'homme riche et généreux qui l'avait acheté.

L'honnête pêcheur n'oublia pas sa promesse; il vendit tout ce qu'il possédait, et paya au parent de son libérateur les cent cinquante écus de sa rançon. Cet homme, ayant

reçu l'argent, écrivit à l'Algérien pour le remercier, et lui faire savoir que le pêcheur était quitte envers lui.

Le bon homme retourna à la pêche pour gagner de quoi vivre. Le malheur voulut qu'il fût pris encore une fois par les corsaires et mené à Alger. Il fit savoir son infortune à Saban, qui l'acheta encore, le fit venir dans sa maison, le traita comme son propre frère, lui donna du linge, des habits et tout ce dont il avait besoin. Lorsqu'il eut pris quelque repos, Saban lui dit parce que vous êtes homme de bien, et que vous avez accompli votre promesse, retournez chez vous et payez à la même personne ce que vous m'avez coûté. Le pêcheur lui répondit: Je suis hors d'état d'acquitter cette dette, parce que j'ai vendu tout ce que je possédais pour mon premier rachat : j'aime mieux rester votre esclave que de manquer à ma parole. Plein d'estime pour cet honnête homme, Saban lui dit : Payez à votre commodité, en deux ans, de six mois en six mois.

Ayant accepté cette condition, le pêcheur revint dans son village, et raconta tout ce qu'il devait au noble et magnifique aga. Il prit avec le parent de cet homme libéral, les mesures convenables pour le payer dans l'espace de deux ans.

Mais le bon homme ne possédait plus rien au monde ; il avait vendu sa barque et tous ses équipages de pêche pour payer sa première rançon; en le prenant, la seconde fois, les corsaires avaient emporté le peu qui lui restait; de sorte que, pour vivre, il fut contraint de servir les autres pêcheurs. Dans cette situation malheureuse, ayant à peine le nécessaire, il sut encore 'épargner quelques petites sommes qu'il donnait à son créancier.

Mais, au bout de deux ans, malgré tous ses efforts, il devait les deux tiers de sa rançon. Pour satisfaire à sa promesse, il acheta cent livres de tabac; puis montant sur un vaisseau qui allait à Alger, où le tabac doublait de prix, il arriva en peu de jours dans cette ville et se rendit chez l'aga, qui parut étonné de le voir: Patron, lui dit le

pêcheur, je n'ai payé que le tiers de ce que je vous dois, comme cette quittance le prouve; pour le reste, n'ayant point d'autre moyen, j'apporte cent livres de tabac, afin de vous payer sur le gain que je pourrai faire. Si je suis trompé dans mon espérance, je resterai votre esclave; j'aurais honte d'être accusé d'ingratitude par votre seigneurie, de laquelle j'ai reçu tant de beinfaits.

Saban écouta le pêcheur avec admiration; sa scrupuleuse probité, son exactitude à tenir sa parole, et sa reconnaissance, lui paraissaient au-dessus de tout éloge. Emu jusqu'au fond de l'âme, il lui dit: Homme de bien, vendez votre tabac, retournez dans votre patrie; gardez votre argent, votre liberté, et soyez heureux! Il le retint quelques jours dans sa maison, lui donna des habits, des vivres; puis il le renvoya dans son pays.

(XVIII.) VISITE AU CIMETIÈRE.

ENFANT, Vois-tu cette croix sainte? c'est le symbole révéré de notre rédemption, c'est le blason de cette dernière demeure. Ici, toute vaine et terrestre gloire disparaît; tout se nivelle sous la faux de la mort; le monument de marbre, comme la simple pierre, sont surmontés d'un même signe, d'une même croix. C'est que celui qui douta pendant sa vie croit et se repent à l'heure de la mort, et qu'alors son front s'abrite sous la croix de Jésus-Christ, seul bouclier contre la colère céleste.

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Ici, tous dorment du même sommeil; et pourtant que l'aspect de leur dernier asile est différent! Vois cette tombe abritée par de sveltes et tremblants peupliers; écoute les oiseaux dont le doux ramage semble un hymne aux vertus de celle qui repose ici. Ecarte cette branche . . . lis . . . C'était une bonne mère ! ... Une bonne mère ! Que ce mot renferme de bénédictions! Et sans doute elle a laissé de nobles enfants, pour la pleurer, et lui rendre la terre légère!... A genoux, mon fils! c'est ainsi qu'il faut dire ta plus sainte prière.

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