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FABLE.

(XIX.)-LA GUENON, LE SINGE ET LA NOIX.

UNE jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte ;

Elle y porte la dent, fait la grimace....
Dit-elle, ma mère mentit

Ah! certe

Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse! Au diable soit le fruit!
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,

Vite entre deux cailloux la casse,
L'épluche, la mange, et lui dit :
Votre mère eut raison, ma mie,

Les noix ont fort bon goût; mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,

Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.

Florian.

(xx.)-LE VISIR.

PAR une femme un visir consulté,
Ne peut d'une affaire épineuse,
Résoudre la difficulté.

Alors cette femme orgueilleuse

Dit au visir Quittez donc votre emploi,
Et végétez parmi l'épais vulgaire ;

Pour quoi recevez-vous tant de bienfaits du roi,
Si vous ne savez pas terminer une affaire ?
Femme, dit le visir, vous me faites pitié,

Et vous mériteriez quelques grains d'ellébore :
C'est pour tout ce qu'il sait, qu'un visir est payé,
Et non pas pour ce qu'il ignore.

M. Bret.

(XXI.) LE CHOIX D'UN AMI.

Edouard Salentin avait dix-neuf ans et de la fortune; il ne lui manquait qu'une position, complément essentiel à un jeune homme, surtout dans une ville de province où la vie oisive exclut presque toujours la considération. Edouard vint donc à Paris suivre les cours de l'Ecole de Droit; son but était de [se faire recevoir] avocat et de se pousser plus tard dans la magistrature. Entre plusieurs lettres de recommendation qui lui furent remises par son tuteur, il en trouva deux pour des étudiants du même pays et du même âge que lui. Ces jeunes gens se nommaient Dumesnil et Jollivet; plus précoces que leur compatriote, dans leurs études de collége, ils l'avaient devancé de trois années à Paris.

On conçoit que, par une sympathie tout naturelle, Edouard s'empressa de porter, de préférence aux autres, les lettres adressées à Dumesnil et à Jollivet. Le premier besoin qu'on éprouve en se trouvant au milieu de ce vaste labyrinthe physique et moral qu'on appelle Paris, c'est celui d'avoir un ami qui vous en enseigne les détours; et quoi de plus simple que de chercher cet ami parmi les personnes que la conformité d'âge porte à partager nos penchants, nos goûts, nos affections?

Edouard commença par Dumesnil. Celui-ci occupait, dans un hôtel garni du faubourg Sain-Jacques, une petite chambre très simplement meublée; pour tout ornement elle avait, au-dessus d'une table de travail accottée contre le mur, quelques rayons chargés de livres, et près de ces rayons, une fenêtre ouvrant sur des jardins. L'exiguité et la nudité de cet apartement firent une première impression assez défavorable sur l'esprit d'Edouard. Au moment où il entrait, Dumesnil était assis auprès de la table, tournant le dos à la porte, et complétement absorbé par la lec

ture d'un livre qui n'avait ni le format ni la robe d'un ouvrage futile. Ce fut à peine s'il se leva pour recevoir le visiteur qui paraissait lui venir si mal à propos. Cependant, lorsqu'il eût pris connaissance de la lettre qui lui était destinée, son front se dérida un peu; il offrit un siége à Edouard et entama lui même la conversation:

Je vous fais mes excuses, monsieur Salentin, de la réception un peu froide que je vous ai faite; je ne savais pas qui vous étiez, et il y a tant d'importuns à Paris!

C'est moi qui vous demande pardon de vous avoir dérangé d'une lecture fort intéressante, si j'en juge par l'attention que vous y donniez... Quelque ouvrage nouveau sans doute ?

-Oh! mon dieu! non; c'est un traité De la Possession et de la Prescription, par Pothier.

J'ai peine à me figurer que de pareilles matières soient bien attrayantes.

Que voulez-vous? nous ne sommes pas icipour notre amusement; le temps de nos études est limité, et ce serait manquer le but que de ne pas mettre tous les instants à profit.

Tous! Il en faut pourtant bien réserver quelques-uns pour se distraire,

Sans doute; aussi ai-je pris l'habitude de me promener le soir une heure ou deux dans la campagne, lorsqu'il fait beau. Si cela vous convient, nous irons ensemble quelquefois; ce sera une occasion de nous communiquer le résultat de nos travaux du jour et de nous éclairer ainsi mutuellement. Toutes vos distractions ne se bornent à cette promenade, je suppose ; j'ai toujours entendu dire que Paris était une ville de ressources, aussi bien pour le plaisir que pour l'étude.

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-

pas

C'est vrai; mais il est difficile de servir deux maîtres à la fois; il y a nécessairement lutte entr'eux, et si c'est le plaisir qui l'emporte, adieu tous les rêves de gloire et de considération, adieu toutes les espérances qu'[on s'était faites]

pour l'avenir. Je vous avoue sincèrement que je ne me sens pas assez de forces pour m'exposer à une pareille alternative.

- Il est impossible que vous n'alliez pas quelquefois dans les bals.

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A quoi bon? Le moindre danger que j'y courrais se rait d'avoir, le lendemain, l'esprit lourd et la tête malade. . . et voilà une journée perdue pour le travail.

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Vous suivez au moins les spectacles?

Pas précisément; je me permets un ou deux théâtres, lorsqu'on y donne de bonnes pièces et qu'elles y sont bien jouées, [ce qui fait que] j'y vais assez rarement.

Vous devez périr d'ennui avec une pareille existence! -Je me porte parfaitement bien, comme vous voyez mais pardon; j'entends sonner dix heures et demie; le cours de législation comparée commence à onze, et pour rien au monde je ne consentirais à en perdre la plus petite partie. Vous permettez, [n'est-ce pas], que j'agisse avec vous sans façon, comme avec une vieille connaissance; je serai heureux que vous agissiez de même avec moi, en toute occasion.

Les deux jeunes gens descendirent ensemble et se quittèrent au bas de l'escalier; Dumesnil prit le chemin de l'Ecole de Droit; Edouard remonta dans le cabriolet qui l'avait amené et donna ordre au cocher de le conduire rue du Helder; c'était là que demeurait Jollivet.

Quel singulier original que ce ce Dumesnil ! pensait Edouard, chemin faisant; outre que je n'ai pas à me louer grandement de la réception qu'il m'a faite, j'avoue que je me sens fort peu de penchant à partager sa manière de vivre. L'étude est une belle chose, certainement; mais je suis de l'avis des sages qui disent qu'il ne faut jamais abuser, même des meilleures choses. Au reste, je ne suis pas tout-à-fait dupe de ce puritanisme affecté; ce que j'y vois de plus clair, c'est que je ne lui ai point convenu, et qu'il a voulu se débarrasser tout de suite d'une amitié qu'il jugeait devoir lui être importune. A son aise; ce n'est as

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surément pas sa société [qui me fera faute]; s'il m'arrive de lui faire une ou deux visites de politesse, ce sera uniquement par égard pour les amis communs qui ont cru me rendre service en m'adressant à lui.

Le cabriolet s'arrêta devant une maison de belle appa. rence; Edouard n'eut pas à monter plus haut que l'entresol, et un groom vêtu à l'anglaise, l' introduisit dans un charmant petit appartement d'une fraicheur parfaite et d'un goût exquis. Jollivet, nonchalamment enfoncé dans un moelleux fauteuil à la Voltaire, était enveloppé d'une magnifique robe de chambre de cachemire, que serrait autour de sa taille une riche cordelière à glands d'or; d'élégantes broderies, également en or, décoraient le bonnet de velours nacarat d'où s'échappaient avec profusion les boucles de ses cheveux noirs. Il fumait de petites cigarettes espagnoles dont il secouait les cendres dans une coupe de cristal placée près de lui sur un guéridon de la marquetterie la plus délicate.

Jollivet pria Edouard de s'étendre sans façon sur un têteà-tête de satin rose, et se mit à décacheter la lettreque venait de lui présenter son compatriote; à peine en eut-il parcouru quelques lignes qu'il se leva et alla serrer avec effusion la main d'Edouard.

-Salentin, s'écria-t-il, Salentin! Je crois pardieu bien que ce nom-là m'est connu ! Les Salentin et les Jollivet furent toujours unis par les liens d'une vive amitié; je crois même me rappeler qu'il y eut autrefois quelque alliance entre les deux familles. Les Salentin jouissaient d'une grande estime dans le pays, [sous le double rapport] du mérite et de la fortune. Comme dernier et unique rejeton, vous tenez toute la fortune réunie entre vos mains; je ne doute pas qu'il n'en soit de même, quant au mérite. Aussi serai-je heureux de vous voir accepter mon amitié avec la même cordialité que je vous l'offre.

Edouard, pour toute réponse, se jeta dans les bras de Jollivet.

- Ah! çà, reprit celui-ci, vous n'avez pas encore, je pense,

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