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s'indigne? Est-ce lorsque nous prions ensemble, et que le front prosterne dans la poussière devant ses autels, nous demandons une mort prochaine qui nous vienne saisir durant la jeunesse et l'amour? Est-ce au temps où rêvant seuls sous les arbres funèbres du cimetière, nous cherchions une double tombe, souriant à notre mort et pleurant sur notre vie? serait-ce lorsque tu viens t'agenouiller devant moi-même au tribunal de la pénitence, et que, parlant en présence de Dieu, tu ne peux rien trouver de mal à me révéler, tant j'ai soutenu ton âme dans les régions pures du ciel? Qui pourrait donc offenser notre Créateur? Peut-être, oui, peut-être seulement, je le crois, quelque esprit du ciel aura pu m'envier ma félicité; lorsqu'au jour de Pâques je te vis prosternée devant moi, épurée par de longues austérités du peu de souillure qu' avait pu laisser en toi la tache originelle. Que tu étais belle! ton regard cherchait ton Dieu dans le ciel, et ma main tremblante l'apporta sur tes lèvres pures, que jamais lèvre humaine n'osa effleurer. Etre angélique, j'étais seul à partager les secrets du Seigneur, ou plutôt l'unique secret de la pureté de ton âme; je t'unissais à ton Créateur qui venait de descendre aussi dans mon sein. Hymen ineffable dont l'Eterne fut le prêtre lui-même, vous étiez seul permis entre la Vierge et le Pasteur; la seule volupté de chacun de nous fut de voir une éternité de bonheur commencer pour l'autre, et de respirer ensemble les parfums du ciel, de prêter déjà l'oreille à ses concerts, et d'être sûrs que nos âmes dévoilées à Dieu seul et à nous, étaient dignes de l'adorer ensemble.

"Quel scrupule pèse encore sur ton âme, ô ma sœur? Ne crois-tu pas que j'aie rendu un culte trop grand à ta vertu? crains-tu qu'une si pure admiration ne m'ait détourné de celle du Seigneur? . . ."

A. de Vigny.-Cinq Mars.

(XXXII.)-L'ÉCOLIER.

Un tout petit enfant s'en allait à l'école,
On avait dit: Allez . . . . il tâchait d'obéir ;
Mais son livre était lourd! il ne pouvait courir.
Il pleure, et suit de loin une abeille qui vole.

"Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler?
Moi, je vais à l'école : il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire !
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler?

Non, dit-elle, j'arrive et je suis très pressée,
J'avais froid: l'aquilon m'a long-temps oppressée :
Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses;
Avant un heure encor nous en aurons d'écloses.
Vite, vite à la ruche! on ne rit pas toujours :

C'est pour faire le miel qu'on nous rend les beaux jours."
Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert;
11 saluait l'aurore, et l'aurore charmée

Se montrait sans nuage, et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe: elle effleure la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue;
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

Oh! bonjour! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle ;
Je t'ai vue à l'automne. Oh! bonjour, hirondelle,
Viens! tu portais bonheur à ma maison, et moi

Je voudrais du bonheur, veux-tu m'en donner, toi?
Jouons.-Je le voudrais, répond la voyageuse,
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;
Ils rêveraient ma mort si je tardais longtemps.

Oh! je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance, J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance. Nous allons relever nos palais dégarnis :

L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,

Je vais chercher mes sœurs, là-bas sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,

Il faut en profiter. Je me sauve.

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L'enfant reste muet; et, la tête baissée,

A demain !"

Rêve et compte ses pas pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles nœuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du fond de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure ?
"Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,
Dit l'écolier plaintif? Je n'aime pas mon livre;
Voyez ! ma main est rouge; il en est cause.
Au jeu
Rien ne fatigue, on rit; et moi, je voudrais vivre,
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours.

Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours.
J'en suis très mécontent. Je n'aime aucune affaire.
Le sort des chiens me plait, car ils n'ont rien à faire.

Ecolier! voyez-vous ce laboureur aux champs? Eh bien! ce laboureur, dit stentor, c'est mon maître. Il est très vigilant : je le suis plus peut-être. Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants. J'éveille aussi ce boeuf qui d'un pied lent, mais ferme, Va creuser les sillons quand je garde la ferme. Pour vous-même on travaille; et grace à nos brebis, Votre mère, en chantant, vous file des habits. Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange. Allez donc à l'école; allez, mon petit ange!

Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :

K

L'ignorance toujours mène à la servitude.

L'homme est fin... l'homme est sage: il nous défend l'étude.
Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ;
Les chiens vous serviront." L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue il pense, il marche, il court.
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
A l'école un peu tard, il arrive gaîment.

Et dans le mois des fruits il lisait couramment.

M. D. Valmore.

(XXXIII.)-VANINI.

"Je l'ai vu, quand sur la charrette on le conduisait au gibet, se moquant du franciscain qui s'efforçait de fléchir la férocité de cette âme obstinée. . . Il rejetait les consolations que lui offrait le moine, repoussait le crucifix qu'il lui présentait, et insulta au Christ en ces termes: "Lui, à sa dernière heure, 66 sua de crainte; moi, je meurs sans effroi." Il disait faux, car nous l'avons vu, l'âme abattue, démentir cette philosophie dont il prétendait donner des leçons. Au dernier moment, son aspect était farouche et horrible, son âme inquiète, sa parole pleine de trouble, et quoiqu'il criât de temps en temps qu'il mourait en philosophe, il est mort comme une brute. Avant de mettre le feu au bûcher, on lui ordonna de livrer sa langue sacrilége au couteau: il refusa; il fallut employer des tenailles pour la lui tirer, et quand le fer du bourreau la saisit et la coupa, jamais on n'entendit un cri plus horrible; on aurait cru entendre le mugissement d'un boeuf qu'on tue. Le feu dévora le reste, et les cendres furent livrées au vent."

(XXXIV.)—ADIEUX DE CINQ-MARs a marie de goNZAGUE.

Il était alors plus de minuit, et la lune s'était cachée. Tout autre que le maître de la maison n'eût jamais su trouver son chemin par une obscurité si grande. Les tours et les toits ne formaient qu'une masse noire qui se détachait à peine sur le ciel un peu plus transparent, aucune lumière ne brillait dans toute la maison rendormie. Cinq-mars, caché sous un chapeau à larges bords et un grand manteau, attendait avec anxiété.

Qu'attendait-il? qu'était-il revenu chercher ? un mot d'une voix qui se fît entendre très-bas derière la croisée : Est-ce vous, monsieur de Cinq-Mars?

Hélas! qui serait-ce? qui reviendrait comme un malfaiteur toucher la maison paternelle sans y rentrer et sans dire encore adieu à sa mère? qui reviendrait pour se plaindre du présent, sans rien attendre de l'avenir, si ce n'était moi ?

La voix douce se troubla, et il fut aisé d'entendre que des pleurs accompagnaient sa réponse :-Hélas! Henri, de quoi vous plaignez-vous? n'ai-je pas fait plus, et bien plus que je ne devais ? Est-ce ma faute si mon malheur a voulu qu'un prince souverain fût mon père? peut-on choisir son berceau ? et dit-on: Je naîtrai bergère? Vous savez bien quelle est toute l'infortune d'une princesse : on lui ôte son cœur en naissant, toute la terre est avertie de son âge, un traité la cède comme une ville, et elle ne peut jamais pleurer. Depuis que je vous connais, que n'ai-je pas fait pour me rapprocher du bonheur et m'éloigner des trônes! Depuis deux ans, j'ai lutté en vain contre ma mauvaise fortune qui me sépare de vous, et contre vous qui me détournez de mes devoirs. Vous le savez bien, j'ai désiré qu'on me crût morte: que dis-je ! j'ai presque souhaité des révolutions! J'aurais peut-être béni le coup qui m'eût ôté mon rang, comme j'ai remercié

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