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d'Alibée virent qu'ils ne pouvaient plus se servir de co prétexte pour le perdre, ils conseillèrent à Schah-Sephi de lui commander de faire dans quinze jours un inventaire exact de tous les meubles précieux dont il était chargé. Au bout de quinze jonrs, il demanda à voir lui-même toutes choses. Alibée lui ouvrit toutes les portes, et lui montra tout ce qu'il avait en garde. Rien n'y manquait : tout était propre, bien rangé, et conservé avec grand soin. Le roi, bien étonné de trouver partout tant d'ordre et d'exactitude, était presque revenu en faveur d'Alibée, lorsqu'il aperçut au bout d'une grande galerie pleine de meubles très-somptueux, une porte de fer qui avait trois grandes serrures. C'est là, lui dirent à l'oreille les courtisans jaloux, qu'Alibée a caché toutes les choses précieuses qu'il vous a dérobées. Aussitôt le roi en colère s'écria: Je veux voir ce qui est au delà de cette porte. Qu'y avezvous mis? Montrez-le-moi. A ces mots, Alibée se jeta à ses genoux, le conjurant, au nom de Dieu, de ne pas lui ôter ce qu'il avait de plus précieux sur la terre: Il n'est pas juste, disait-il, que je perde en un moment ce qui me reste, et qui fait ma ressource après avoir travaillé tant d'années auprès du roi votre père. Otez-moi, si vous voulez, le reste, mais laissez-moi ceci. Le roi ne douta point que ce ne fût un trésor mal acquis qu'Alibée avait amassé il prit un ton plus haut, et voulut absolument qu'on ouvrit cette porte. Enfin Alibée, qui en avait les clefs, l'ouvrit lui-même. On ne trouva en ce lieu que la houlette, la flûte et l'habit de berger qu'Alibée avait porté autrefois, et qu'il revoyait souvent avec joie, de peur d'oublier sa première condition. Voilà, dit-il, ô grand roi! les précieux restes de mon ancien bonheur: ni la fortune, ni votre puissance, n'ont pu me les ôter; voilà mon trésor que je garde pour m'enrichir quand vous m'aurez fait pauvre. Reprenez tout le reste; laissez-moi ces chers gages de mon premier état: les voilà, mes vrais biens, qui ne manqueront jamais; les voilà, ces biens simples, innocents, toujours doux à ceux qui savent se contenter du

nécessaire, et ne se tourmentent point pour le superflu; les voilà ces biens, dont la liberté et la pureté sont les fruits; les voilà, ces biens qui ne m'ont jamais donné un moment d'embarras. O chers instruments d'une vie simple et heureuse! Je n'aime que vous; c'est avec vous que je veux vivre et mourir. Pourquoi faut-il que d'autres biens trompeurs soient venus me tromper, et troubler le repos de ma vie? Je vous les rends, grand roi, toutes ces richesses qui me viennent de votre libéralité. Je ne garde que ce que j'avais quand le roi votre père vint par ses grâces me rendre malheureux. Le roi, entendant ces paroles, comprit l'innocence d'Alibée, et étant indigné contre les courtisans qui l'avaient voulu perdre, il les chassa d'auprès de lui. Alibée devint son principal officier, et fut chargé des affaires les plus secrètes; mais il revoyait tous les jours sa houlette, sa flûte et son ancien habit, qu'il tenait toujours prêts dans son trésor pour les reprendre dès que la fortune inconstante troublerait sa faveur. Il mourut dans une extrême vieillesse, sans avoir jamais voulu ni faire punir ses ennemis, ni amasser aucun bien, et ne laissant à ses parents que de quoi vivre dans la condition de berger, qu'il crut toujours la plus sûre et la plus heureuse.

Fénélon.

DISCOURS ET MORCEAUX ORATOIRES,
DÉFINITIONS, &c.

' (LVII.)—LA PUCELLE D'ORLÉANS SUR LE BÛCHER.

Celui

Eн Bien êtes-vous à la fin de vos souhaits? m'avezvous enfin amenée à un endroit où vous pensez que je ne vous serai plus redoubtable? lâches que vous êtes, qui avez eu peur d'une fille, et qui, n'ayant pu être soldats, êtes devenus bourreaux; impies et impitoyables, qui vous efforcez en vain de combattre contre Dieu, dites-moi, pensez-vous par votre tyrannie détourner les secrets de sa toute-puissance? Ne restait-il plus pour comble à votre orgueil et à vos injustices qui veulent, en dépit de la Providence divine, ravir la couronne de France au légitime héritier que de faire mourir une innocente prisonnière de guerre, par un supplice digne de votre cruauté ? même qui m'a donné la force de vous châtier en tant de rencontres, de vous chasser de tant de villes, et de vous mener battant aussi facilement que j'ai mené autrefois un troupeau de moutons, m'a encore, par sa divine bonté donné le courage de craindre aussi peu vos flammes que j'ai redouté vos épées. Vous ne me faites point injure, parce que je suis disposée à tout souffrir pour sa glorie mais votre crime s'élevant contre Sa Majesté, vous sentirez bientôt la pesanteur de sa justice, dont je n'étais qu'un faible instrument. De mes cendres naîtront vos malheurs et la punition de vos crimes. Ne vous [mettez pas dans l'esprit] qu'avec moi la vengeance de Dieu soit étouffée;"

ces flammes ne feront qu'allumer sa colère, qui vous dévorera; ma mort vous coûtera deux cent mille hommes, et, quoique morte, je vous chasserai de Paris, de la Normandie et de la Guyenne, où vous ne remettrez jamais le pied. Et après que vous aurez été battus en mille endroits et chassés de toute la France, vous n'emporterez avec vous en Angleterre que la colère divine, qui, vous poursuivant toujours sans relâche, remplira votre pays de beaucoup plus grandes calamités, meurtres et discordes, que votre tyrannie n'en a fait naître dans ce royaume; et sachez que vos rois perdront le leur avec la vie pour avoir voulu usurper celui d'autrui. C'est le Dieu des armées, protecteur des innocents et sévère vengeur des outrages, qui vous l'annonce par ma bouche.

Mézeray.

(LVIII.)-LA JALOUSIE.

Nous fûmes conduits, par un chemin de fleurs, au pied d'un rocher affreux nous vîmes un antre obscur; nous y entrâmes, croyant que c'était la demeure de quelque mortel. Oh, Dieu! qui aurait pensé que ce lieu eût été si funeste ? A peine y eus-je mis le pied que tout mon corps frémit, mes cheveux se dressèrent sur ma tête: une main invisible m'entraînait dans ce fatal séjour; à mesure que mon cœur s'agitait, il cherchait à s'agiter encore. Ami, m'écriai-je, entrons plus avant, dussions-nous voir augmenter nos peines. J'avance dans ce lieu, où jamais le soleil n'entra, et que les vents n'agitèrent jamais j'y vis la jalousie; son aspect était plus sombre que terrible; la pâleur, la tristesse, le silence, l'entouraient, et les ennuis volaient autour d'elle. Elle souffla sur nous, elle nous mit la main sur le cœur, elle nous frappa sur la tête, et nous ne vîmes, nous n'imaginâmes plus que des monstres,

Entrez plus avant, nous dit-elle, malheureux mortels; allez trouver une Déesse plus puissante que moi. Nous vîmes une affreuse divinité à la lueur des langues enflammées des serpents qui sifflaient sur sa tête, cétait la Fureur. Elle détacha un de ses serpents le jeta sur moi je voulus le prendre déjà, sans que je l'eusse senti, il s'était glissé dans mon cœur. Je restai un moment comme stupide;: mais dès que le poison se fut répandu dans mes veines, je crus être au milieu des enfers, mon âme fut embrasée, et dans sa violence tout mon corps la contenait à peine; j'étais si agité qu'il me semblait que je tournais sous le fouet des Furies.

Montesquieu..

(LIX).-L'HYPOCRISIE.

QUAND je parle de l'hypocrisie, ne pensez pas que je la borne à cette espèce particulière qui consiste dans l'abus de la piété, et qui fait les faux dévots; je la prend dans un sens plus étendu, et d'autant plus utile à votre instruction, que peut-être, malgré vous-mêmes, serez-vous obligés de convenir que c'est un vice qui ne vous est que trop commun; car j'appelle hypocrite, quiconque, sous de spécieuses apparences, a le secret de cacher les désordes d'une vie criminelle. Or, en ce sens, on ne peut douter que l'hypocrisie ne soit répandue dans toutes les conditions, et que parmi les mondains il ne se trouve encore bien plus d'imposteurs et d'hyrocrites que parmi ceux que nous nommons. dévots.

En effet, combien dans le monde de scélérats travestis en gens d'honneur? combien d'hommes corrompus et pleins d'iniquité, qui se produisent avec tout le faste et toute l'ostentation de la probité? combien de fourbes insolents à vanter leur sincérité? combien de traîtres, habiles à sauver

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