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SUR LES RELIGIONS ANTIQUES.

D'UN air plus grand encore et plus majestueux,
De la religion l'appareil fastueux,

Conduisant les vainqueurs la pompe solennelle,
Consacrait la victoire et marchait devant elle;
Et du pied des autels semblait dire aux humains :
Rome commande au monde et le ciel aux Romains.
Le juste ciel, sans doute, abhorrait ces conquêtes,
Mais si quelque vertu peut expier ces fêtes,
C'est que Rome honora dans ces jours de splendeur
Ces simples déités qui firent sa grandeur:

Le Dieu du capitole habita des chaumières,
Loin de ces chars sanglans, de ces pompes guerrières,
Où le sang des taureaux, satisfaisant aux dieux,
Du sang humain versé rendait grâces aux cieux.
Que j'aime à revoler vers ces fêtes champêtres,
Où Rome célébrait les dieux de ses ancêtres,
La déesse des blés et le dieu des raisins,
Les nymphes des forêts, les faunes, les sylvains,
Toi surtout, toi, Palès, déité pastorale !

A peine blanchissait la rive orientale,
Le berger secouant un humide rameau,
D'une onde salutaire arrosait son troupeau :
O Palès, disait-il, reçois mes sacrifices;
Protège mes brebis, protège mes génisses
Contre la faim cruelle et le loup inhumain ;
Que je trouve le soir le nombre du matin :
Qu'autour de mon bercail exacte sentinelle
Sans cesse en haletant rôde mon chien fidelle;
Que mon troupeau connaisse et ma flûte et ma voix :
Que le lait le plus pur écume entre mes doigts:
Rends mon bélier ardent, rends mes chèvres fécondes;
Puissent de frais gazons, puissent de claires ondes
Dans un riant pacage arrêter mes brebis ;
Que leur fine toison compose mes habits;

Et quand le fuseau tourne entre leurs mains légères
Ne blesse pas les doigts de nos jeunes bergères !
11 dit, et tout à coup un faisceau pétillant
S'allume et dans les airs s'élève un feu brillant,

Que trois fois dans sa vive et folâtre alégresse,
D'un pied léger franchit une ardente jeunesse.
Jeux charmans, vous régnez encor dans nos hameaux !
Eh! qui n'est point ému de ces brillans tableaux.
La superstition sied bien au paysage;

Triste dans les cités, elle est gaie au village,
Et le sage lui-même aime à voir, en ses vœux,
La terre à ses travaux intéressant les cieux.

L'Abbé de Lille.

DESCRIPTION DU PRINTEMPS.

MAIS le printemps surtout seconde les travaux ;
Le printemps rend aux bois des ornemens nouveaux ;
Alors la terre ouvrant ses entrailles profondes,
Demande de ses fruits les semences fécondes ;
Le Dieu de l'air descend dans son sein amoureux.
Lui verse ses trésors, lui darde tous ses feux,
Remplit ce vaste corps de son âme puissante ;
Le monde se ranime, et la nature enfante,

Dans les champs, dans les bois, tout sent les feux d'amour,
L'oiseau reprend sa voix; les zéphirs de retour
Attiédissent les airs de leurs molles haleines;
Un suc heureux nourrit l'herbe tendre des plaines;
Aux rayons doux encor du soleil printanier
Le gazon sans péril ose se confier;

Et la vigne, des vents bravant déjà l'outrage,
Laisse échapper ses fleurs et sortir son feuillage.
Sans doute le printemps vit naître l'univers ;
Il vit le jeune oiseau s'essayer dans les airs:
Il ouvrit au soleil sa brillante carrière,
Et pour l'homme naissant épura la lumière.
Les aquilons glacés, et l'œil ardent du jour
Respectaient la beauté de son nouveau séjour
Le seul printemps sourit au monde en son aurore;
Le printemps tous les ans le rajeunit encore,
Et des brûlans étés séparant les hivers
Laisse du moins entr'eux respirer l'univers.

L'Abbé de Lille. Traduc. des Géorgiques.

SCÈNES COMIQUES.

Harpagon (qui a perdu son trésor.)

Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier. Justice, juste ciel! je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peutce être ? Qu'est-il devenu? où est-il? où se cache-t-il ? que ferai-je pour le trouver ? où courir? où ne pas courir? n'est-il point là? n'est-il point ici? qui est-ce? arrête! (à lui-même se prenant par le bras). Rendsmoi mon argent, coquin.-Ah! c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas! mon pauvre argent! mon pauvre argent, mon cher ami! on m'a privé de toi! et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Hé? que ditesvous? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin, on ait épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons, je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison, à servantes, à valets à fils, à fille, ct à moi aussi. Que de gens assemblés! Je ne jette les regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Hé! de quoi est-ce qu'on parle là! De celui qui m'a dérobé? quel bruit faiton là-haut? est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me regardent tous et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils on part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vîte, des commissaires, des archers des prévots, des juges, des chaînes, des potences, des bourreax. Je veux faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après. Molière. Scène de l'avare.

ORGON FAIT À SON FRÈRE LE PORTRAIT DE TARTUFFE.

MON frère, vous seriez charmé de le connaître,

Et vos ravissemens ne prendraient point de fin.

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Ah! si vous aviez vu comme j'en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l'amitié que je montre.
Chaque jour à l'église il venait d'un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.
Il attirait les yeux de l'assemblée entière
Par l'ardeur dont au ciel il poussait sa prière ;
Il fesait des soupirs, de grands élancemens,
Et baisait humblement la terre à tous momens;
Et lorsque je sortais, il me devançait vîte
Pour m'aller, à la porte, offrir de l'eau bénite.
Instruit par son garçon, qui dans tout l'imitait,
Et de son indigence et de ce qu'il était,
Je lui fesais des dons; mais avec modestie,
Il me voulait toujours en rendre une partie,
C'est trop, me disait-il, c'est trop de la moitié ;
Je ne mérite pas de vous faire pitié.

Et quand je refusais de le vouloir reprendre.
Aux pauvres, à mes yeux, il allait le répandre.
Enfin le ciel chez-moi me le fit retirer,

Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer.
Je vois qu'il reprend tout, et qu'à ma femme même
Il prend, pour mon honneur, un intérêt extrême;
Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moi six fois il s'en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jusqu'où monte son zèle :
Il s'impute à péché la moindre bagatelle ;
Un rien presque suffit pour le scandaliser;
Jusque-là qu'il se vint, l'autre jour, accuser
D'avoir pris une puce en fesant sa prière,
Et de l'avoir tuée avec trop de colère.

Molière, Le Tartuffe.

SCÈNES TRAGIQUES.

IMPRÉCATIONS DE CAMILLE, SŒUR D'HORACE, EN APPRENANT

QUE SON FRÈRE VIENT DE TUER CURIACE, SON AMANT.

ROME, l'unique objet de mon ressentiment!
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant!
Rome qui t'a vu naître et que ton cœur adore!
Rome, enfin, que je hais parcequ'elle t'honore!
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés,
Saper ses fondemens encor mal assurés!

Et, si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie ;
Que cent peuples unis, des bouts de l'univers,
Passent, pour la détruire, et les monts et les mers ;
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles :
Que le courroux du ciel, allumé par mes vœux,
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux!
Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,
Voir ses maisons en cendre et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,

Moi seule en être cause et mourir de plaisir !

P. Corneille. Les Horaces, Act IV., sc. V.

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